Car il y a du jeu dans cette exposition de près d'une cinquantaine de portraits photographiques d'hommes politiques libanais baptisée – ironiquement? – «Your Excellencies» (la majorité de ces derniers n'ayant, à vrai dire, rien à voir avec aucune forme d'excellence!).
Un jeu de «name dropping» d'abord, auquel va forcément se livrer le visiteur devant le flot de photos de ces célébrités locales. Puis, évidemment, le jeu de lecture de chacune de ces images. «Que cherche à (dé)montrer la photographe? Qu'a-t-elle réussi à capter de son sujet? Et, surtout, qu'a voulu montrer de lui-même ce dernier?», se demande-t-on devant chacun de ces clichés solos juxtaposés le long d'un immense drapeau libanais ceinturant les quatre murs de la galerie beyrouthine. Et enfin il y a un jeu frondeur, facétieux de Lamia-Maria Abillama à rassembler ainsi dans le calme ouaté d'une même salle quelques-uns des grands fauves de l'arène politique du pays du Cèdre. Dont certains pires ennemis!
Amine, Wi'am, Samir, Michel, Saad et les autres...
Portraitiste chevronnée, cette artiste libano-brésilienne, désignée par le BJP (British Journal of Photography) comme l'un des vingt photographes à suivre en 2013, a déjà à son actif des séries de portraits de «Femmes de la haute société de Rio de Janeiro» et d'autres de Libanaises posant dans des intérieurs fastueux dans une société minée par la guerre, cette dernière éloquemment baptisée «Clashing Realities».
Pour l'élaboration de sa série sur les hommes de pouvoir au Liban, Lamia-Maria Abillama a dû non seulement décliner une carte professionnelle incluant des collaborations avec le New York Times, le New York Magazine ou encore Fortune Magazine, mais également et surtout user de son nom de famille. Fille de feu l'émir Farouk Abillama, elle a eu recours à ses connaissances, ses accointances ainsi qu'à des personnes déjà photographiées. «La notoriété de celui qui a accepté de poser en premier influence le oui du deuxième... et ainsi de suite suivant un bel effet domino», est-il indiqué dans le texte d'introduction à l'exposition. Nous sommes au Liban après tout, pays où la politique est affaire de clans et de tribus!
Mais Lamia-Maria Abillama a sans doute dû faire preuve de beaucoup de persuasion et de détermination pour «capturer», le plus souvent à leur insu, l'être profond de ces professionnels du paraître. Le politicien libanais étant une sorte de mix entre un demi-dieu – plus honni que révéré d'ailleurs ! – et un acteur mystificateur toujours en représentation devant ses ouailles n'est pas franchement un adepte du «portrait vérité» qui dévoilerait son intimité.
Car ces portraits d'hommes politiques n'ont, pour la plupart, rien à voir avec leurs photos officielles. Rien à voir avec leurs «tronches électorales»... Et cela autant du point de vue de la forme que du fond. De la composition et du cadrage. Du décor «intime» dans lequel ils posent et de l'expression «sincère» qu'ils ont laissé échapper devant une photographe à qui, visiblement, rien n'échappe!
C'est ainsi qu'elle a réussi à capter l'ego surdimensionné des uns, les ambitions démesurées des autres, l'insensibilité de certains, le kitch de certains autres... Et à mettre l'accent sur le poids de l'héritage, la transformation, la solitude, la détresse, la lassitude, ou encore les désillusions de nombre d'entre eux !
Parmi le florilège de photos accrochées sur les cimaises, voici un «Top Ten» absolument personnel (mais, évidemment, chacun d'entre vous fera sa liste en fonction de ses affinités et révulsions):
– Amine Gemayel, au regard d'une tristesse abyssale, recroquevillé dans un coin de sa demeure familiale.
– Samir Geagea assis au bord de son lit au centre duquel est posé un petit peluche bleu!
– Wi'am Wahhab «encastré» dans un siège-trône... damasquiné.
– L'ex-député Farès Boueiz en duo avec un ours brun empaillé...
– Michel el-Murr devant une coiffeuse de style empire, près d'un amoncellement baroque d'effigies saintes de toutes les dimensions...
– Karim Pakradouni dans une mise en scène évoquant Les Affranchis.
– Samir Frangié, caméra rapprochée sur son regard débordant de désillusion et cependant toujours dirigé vers l'avenir...
– Saad Hariri cerné, écrasé par l'image, les images du père...
– Bahia Hariri dans une sorte d'avant-après...
– Et enfin le sourire à pleines dents d'Émile Lahoud!
Une petite sélection parmi une cinquantaine de tableaux photographiques qui portraiturent avec éloquence les principaux joueurs de l'échiquier politique libanais (exception faite du grand absent, Hassan Nasrallah, qui n'a sans doute pas accepté de poser). Et qui font de cet accrochage, qui se tient jusqu'au 30 janvier 2014, un « événement inratable ». À voir absolument !
*Mar Mikhaël, rue d'Arménie. Tél. : 76/557662.
Pour mémoire
La Libano-Brésilienne Lamia Maria Abillama, une "photographe à suivre en 2013"
Beirut Photography Marathon, 12 heures, 83 photographes, 1 200 photos
Un jeu de «name dropping» d'abord, auquel va forcément se livrer le visiteur devant le flot de photos de ces...
LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE, SEUL VRAI LIBANAIS, ET HOMME DE BONNE VOLONTÉ, N'EST CATÉGORIQUEMENT ET CERTES PAS CIBLÉ PAR MES COMMENTAIRES DE CETTE RUBRIQUE !
18 h 48, le 15 décembre 2013