Rechercher
Rechercher

Lifestyle - La bonne nouvelle du lundi

Kamal Mouzawak et Bahia Shehab, lauréats du Prix Prince Claus

Crise des déchets, attentats, coupures d'électricité, malaise social, clivages politiques accrus, tensions
communautaires... Face à l'ambiance générale quelque peu délétère, « L'Orient-Le Jour » se lance un défi : trouver une bonne nouvelle chaque lundi.

Kamal Mouzawak (crédit : Red Bull Amaphiko/Philipp Benedikt) et Bahia Chehab (crédit : Ryan Lash).

Si le Grand Prix Prince Claus 2016 a été attribué, début septembre, au cinéaste et artiste visuel thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, deux Libanais figurent parmi les lauréats des cinq prix additionnels remis cette année. Kamal Mouzawak et la Libano-Égyptienne Bahia Shehab ont en effet été retenus dans le palmarès de ce prestigieux prix à travers lequel la Fondation Prince Claus rend hommage, depuis 20 ans, à des artistes et des organisations visionnaires pour l'excellence et le caractère innovateur de leur travail dans le domaine de la culture et du développement. Son objectif étant d'attirer l'attention sur d'importantes réalisations dans des régions où les possibilités d'expression culturelle, de production créatrice et de préservation du patrimoine culturel sont limitées.
Le food activist Kamal Mouzawak et la graphiste, artiste, enseignante et historienne Bahia Shehab répondaient à ce cahier des charges.

Anthropologique
«Tout le monde doit être activiste et apporter du changement à ce monde.» Le ton est donné. Kamal Mouzawak ne fait pas de la cuisine pour la cuisine. «Le côté recettes ne m'intéresse pas, c'est le côté anthropologique qui m'intéresse», explique-t-il à L'Orient-Le Jour.

Kamal Mouzawak, né en 1969, a grandi dans un Liban en guerre sur fond de clivages communautaires aigus. Lorsque les combats prennent fin au début des années 1990, il décide de sillonner le Liban. «J'ai découvert un pays extraordinaire grâce à ses gens différents, mais qui au final sont les mêmes. J'ai réfléchi à un projet commun qui les réunirait, tout en célébrant leurs différences.» Écrivain culinaire et enseignant l'alimentation macrobiotique à l'époque, il trouve la réponse dans «la terre, l'agriculture et la cuisine que l'on en fait».

Kamal Mouzawak veut jeter des ponts entre les Libanais, soulignant que, finalement, «un chrétien et un musulman mangent la même chose». Le 10 juin 2004, Souk el-Tayeb, le premier marché bio de Beyrouth, voit ainsi le jour. À Souk el-Tayeb, le samedi matin, dans le centre-ville de Beyrouth, on retrouve les producteurs des différentes régions et communautés libanaises et leurs produits locaux, cultivés de manière éthique et vendus à des prix équitables et abordables.

 


Photo Ayla Hibri

 

Perpétuer les traditions de la cuisine libanaise est un autre cheval de bataille de Kamal Mouzawak, qui aime «à travailler sur l'humain ». Pour cet «homme du monde », comme il se définit, «la cuisine est l'expression la plus sincère de la tradition». En 2009, il crée le restaurant Tawlet (Table), en s'appuyant, entre autres, sur le savoir culinaire des femmes du monde rural qui perpétuent les traditions culinaires libanaises en cuisinant pour leurs familles. Tawlet, présent à Beyrouth, Ammik et Deir el-Kamar, propose aussi des cours de cuisine et organise des campagnes santé-environnement.

En attribuant un prix à Kamal Mouzawak, la Fondation Prince Claus a voulu le récompenser «pour la réconciliation et le respect qu'il inspire entre les différentes communautés, jetant des ponts par-dessus les divisions ethniques, religieuses, politiques et sociales par le partage d'un besoin humain et le plaisir de la table».
«Ce prix est une reconnaissance extraordinaire. Mais je ne travaille pas seul, je ne suis pas un scientifique dans un laboratoire. Il y a toute une équipe qui travaille avec moi», souligne Kamal Mouzawak qui prépare déjà le Souk el-Tayeb Book, un projet d'ouvrage en coopération avec la Fondation Prince Claus, pour «raconter le Liban à travers l'histoire des gens, de la terre, de l'agriculture et de la cuisine».

Calligraphie militante
Autre lauréate de la Fondation Prince Claus, Bahia Shehab, graphiste, historienne, enseignante et artiste militante. «Je suis également maman, et j'ai des responsabilités en tant que femme arabe, ajoute-t-elle à L'OLJ. Être mère vous donne une vision du monde moins égoïste. La révolution en Égypte, nous l'avions menée pour l'avenir de nos enfants.»

La Libano-Égyptienne de 39 ans, qui s'est installée au Caire en 2003, ne cache pas son militantisme. Durant le printemps arabe, elle met la calligraphie au service de ses idées politiques. Bahia Shehab tague le mot «Non» en arabe sur les murs du Caire, en l'associant à des déclarations coup de poing, telles que «Non au régime militaire » ou «Non à la violence». Sa manière de dénoncer le pouvoir en place.

«Dans sa pratique de l'art contemporain, Bahia Shehab combine l'histoire de l'art musulman avec les politiques arabes actuelles et un discours féministe», écrit la Fondation Prince Claus, qui voit en cette femme, professeure associée au département des arts de l'Université américaine du Caire, une femme engagée dans la «revalorisation de l'éducation artistique en Égypte».



"Tu peux piétiner les fleurs, mais tu ne peux pas retarder l'arrivée du printemps", peut-on lire sur ce graffiti réalisé par Bahia Shehab. Photo fournie par Bahia Shehab

 

Le jury de la fondation a choisi Bahia Shehab pour «sa façon de transformer son exceptionnelle recherche sur la calligraphie arabe en matériel pour un activisme social et politique (...), pour sa diffusion de la culture visuelle arabe du passé et sa démonstration de l'immense potentiel qu'elle représente pour les designers d'aujourd'hui; pour son enseignement, son accompagnement et pour l'exemple féminin transnational qu'elle représente pour les générations plus jeunes; pour sa façon d'établir des passerelles entre l'histoire et la modernité, l'université et le monde commercial, les rues et les galeries, l'Orient et l'Occident, l'art et la révolution ».
«Cette distinction est un signe de reconnaissance et j'en suis très honorée, se félicite-t-elle. Mais ce prix est aussi pour toutes les femmes du monde arabe.» Elle espère qu'il « ouvrira la voie à d'autres femmes qui emprunteront le même chemin ».

Actuellement, c'est un grand projet qui occupe Bahia Shehab: la collecte d'anciens exemples de calligraphie arabe afin d'en faire une encyclopédie pour sensibiliser les designers à leur patrimoine. Avec la Fondation Prince Claus, elle aimerait concentrer ses efforts sur l'éducation dans le monde arabe: «Je crois que tous les problèmes trouvent leur racine dans l'éducation. Nous devons nettoyer la pensée des gens. Le chemin sera long, mais nous devons persévérer.»
Les lauréats recevront leur prix des mains du prince Constantin, le 15 décembre prochain.

 

Dans la même rubrique

Le street art de Yazan Halwany encapsulé pour un grand horloger

Ivan Debs tutoie Bob Marley, au nez et aux dreadlocks des fans du monde entier

« Lebanese Wanderers », une nouvelle initiative pour promouvoir le tourisme rural au Liban

« Tawouk et Falafel », le restaurant d'un jeune Libanais, récompensé en France

Les Beyrouthins dans les dicos français : le pari réussi de Tania Hadjithomas Mehanna

Si le Grand Prix Prince Claus 2016 a été attribué, début septembre, au cinéaste et artiste visuel thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, deux Libanais figurent parmi les lauréats des cinq prix additionnels remis cette année. Kamal Mouzawak et la Libano-Égyptienne Bahia Shehab ont en effet été retenus dans le palmarès de ce prestigieux prix à travers lequel la Fondation Prince Claus...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut