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Culture - Performance

Ce que la mer de Aïn el-Mreissé raconte aux riverains de Beyrouth...

Depuis une semaine, trente à cinquante personnes viennent se rassembler tous les soirs, à la tombée de la nuit, devant les rochers de la mer de la station balnéaire « Ajram », abandonnée et désaffectée. Pour un « happening » théâtral intitulé « Un billet pour Atlantis »*. Une ode à trois voix entre poésie et méditation, face à la grande bleue. Un moment hors du temps, dans un cadre qu'on a oublié et négligé dans sa beauté naturelle...

La mer, douce, caressante, berceuse, mais aussi colérique, impétueuse, déchaînée, finit par tout engloutir, tout recracher, puis à nouveau tout ensevelir… Photo Michel Sayegh

À l'heure où le disque solaire coule à l'horizon, les spectateurs dévalent les escaliers estropiés de la place et s'installent sur des coussins à même le béton éraflé, faisant face aux vagues qui battent la côte en paquets écumeux. Pour premier accueil – à part Santiago Cordoba, pieds nus, jeune musicien argentin qui gratte sa guitare électrique installé sur le ponton de la plage – une naïade, Lina Issa, en combinaison de plongeur marin avec colliers de coquillages blanc. À ses pieds, un monticule de sel blanc. Grave et solennelle, telle une vestale investie d'une mission divine, elle y plonge ses mains et offre aux visiteurs une poignée de ce sel, don de la mer. Et droit dans les yeux, elle déclare : « Ce sel est pour vous préserver, remettez-le à la mer, mère nourricière... »
Rituel et cérémonial pour un hommage à la mer qui parle des relations de l'homme avec l'infini de l'eau, par le biais de ces cordages bleus avec un bout d'éponge enchâssant un micro avec bande enregistrée, que chacun prend et met à l'oreille comme un bout de coquillage. Heureuse enfance où l'on jouait aux ailleurs accessibles grâce à ce stratagème de petits sous, en gambadant sur une côte qui murmure ici, non seulement le roulis de la mer, le ressac des vagues, mais aussi des mots, dans un discours arabe poétique, pour conter les fonds marins... Ainsi que cette houleuse, dangereuse et fructueuse relation avec les mondes aquatiques et la nature téméraire de l'homme que rien n'arrête.
Entre synthétiseur, guitare, rythmiques diverses, harmonica, sur une musique omniprésente mais un peu sirupeuse, constante compagne des vagues qui battent les rochers avec le déclin du jour, surgit Mayar Alexan, jeune homme qui veut affronter tous les périls aquatiques. Brave et courageux, il nargue l'imprévisible, au prix de sa vie....
La mer, douce, caressante, berceuse, mais aussi colérique, impétueuse, déchaînée, finit par tout engloutir, tout recracher, puis à nouveau tout ensevelir... On n'a qu'à se souvenir du redoutable Océano Nox de Victor Hugo ou des contemplations et des considérations d'Ernest Hemingway et de son Vieil homme et la mer...

Joie de la découverte et menace de la mort
Dans ce rapport tissé de la joie de la découverte et de la menace de la mort, dans cet amour duel, la mer est presque toujours la grande victorieuse. La nuit presque tombée, à la fraîcheur de la brise du soir, à la lueur d'une lanterne vacillante, partis au fond de l'univers sous-marin, les personnages sont secourus par un banc de méduses luminescentes.... Elles entraînent en une douce farandole, dans les paysages aquatiques inconnus, ceux qui ont passionnément aimé la mer, les océans, le large, les fleuves, les lacs, l'infini de l'eau...
Superbe moment de calme et de plénitude avec ces méduses piquées sur une canne à pêche (en fait, des lanternes couvertes de tulles) se balançant dans une nuit avec croissant de lune orangé et, un peu plus loin, les monolithes de Aïn el-Mreissé illuminés le long de la corniche grouillante de promeneurs.
Comme un rêve fugace, en dépit de ses défauts (élocution peu perceptible, qualité d'enregistrement dans des micros-éponge peu fiables), la performance laisse une belle empreinte. Avec ce constat amer et ce questionnement inquiétant : qu'avons-nous fait (ou pas fait ?) pour saccager un site aussi paradisiaque et grandiose que celui de la plage Ajram, aujourd'hui délabrée, si triste en ses ruines en lambeaux ?

* La performance en langue arabe « A ticket to Atlantis » (Un billet pour Atlantis), avec Lina Issa et Mayar Alexan, se donne à la plage Ajram (face au Palm Beach Hotel) jusqu'à ce soir, avec possibilité de prolongation – à suivre sur Facebook.

À l'heure où le disque solaire coule à l'horizon, les spectateurs dévalent les escaliers estropiés de la place et s'installent sur des coussins à même le béton éraflé, faisant face aux vagues qui battent la côte en paquets écumeux. Pour premier accueil – à part Santiago Cordoba, pieds nus, jeune musicien argentin qui gratte sa guitare électrique installé sur le ponton...

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