Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole - Rabih NASSAR

Tomber le masque

Un jour on naît. Comme ça, sans avoir rien demandé. Et avec la vie, le mensonge se perpétue. On nous injecte ce sentiment d'appartenance à une communauté, ou à une autre. Et, comme on aime bien appartenir, alors on s'abandonne. La famille, les cousins, le village, la confession, le parti. Oublions la réflexion. Plus tard, on parlera du pays. Entre-temps, on zyeute les passeports des autres. Comme au restaurant.
Remarquez comment souvent, quand on demande aux gens ce que représente pour eux le Liban, on commence toujours par la géographie. On a des montagnes, on a la mer. Puis la gastronomie. Le hummus, que les Israéliens veulent nous voler. Le taboulé, que les Turcs et les Grecs réussissent moyennement, dit-on très vite pour signifier la fierté qu'on en tire. Grattant un peu la surface on s'aperçoit bien vite qu'on ne saurait pas aller au-delà de ces quelques plages et terrasses ou « les plus belles femmes du Moyen-Orient se déhanchent ». Dieu qu'on a de la chance. Ces femmes, celles-la mêmes pour lesquelles on n'est même pas foutu de faire passer des lois contre le machisme tribal et animal dont elles meurent banalement, dans l'indifférence générale.
Mais cette indifférence générale et généralisée ne touche pas uniquement le droit des femmes. Si les Libanais ne savent pas pour quoi se battre, c'est principalement parce qu'on ne sait pas autour de quoi s'unir. Des années que cette sale guerre est finie. Que les cousins se sont tapés dessus pendant quinze ans sans vraiment savoir pourquoi. Sans vraiment se poser de questions. Comme au Moyen Âge, les hallucinogènes en plus. Parce qu'il faut bien sortir de la réalité pour terminer des vies. Pour miser sur l'après-vie. Enfin bref. Le Liban n'a pas et n'a jamais eu des valeurs communes, capables d'unir un nombre infini de confessions au km2. Et depuis 1943, on se définit en tant que « république à visage arabe ». Quelle que soit cette définition. Pas d'entente sur les bases citoyennes. Le modèle économique, le modèle éducatif, la couverture sociale, le financement, le mariage civil, le droit de vote, les armes... En politique étrangère, la moitié des États du monde est alliée à la moitié de la population, tandis que la deuxième moitié du monde court au secours de ceux qui restent. Des guerres froides à l'échelle des quartiers. Et, pendant que la planète devient un village, on n'arrête pas de trouver des raisons de se différencier. Tant et si bien que même les plus démunis d'une confession se sentent plus proches des riches bandits de leur confession que des pauvres des autres confessions !
L'hérésie pastorale. Oubliez le clown de Trump. Regardez le cirque qui nous entoure. Oubliez l'EI, les talibans, le Ku Klux Klan. Le Liban peine à finir sa crise d'adolescence et ce sont ses chefs, à peine pubères, quelques poils aux joues et rien dans le crâne, qui nous dirigent vers l'apocalypse. Et on y court. En bêlant de plaisir.
Il est temps de mettre à bien ces tables de dialogue inutiles. Discuter des vraies valeurs qu'on veut donner au Liban. Identifier le dénominateur commun autour duquel on pourra finalement tous se mettre à chanter « koullouna lilwatan – pam papam ». Pour commencer, il faudra se lancer dans une nouvelle ère d'ouverture aux autres, forcer le brassage inévitable dans ce mouchoir de poche que représentent cette vallée, ces deux chaînes de montagnes, et ces 200 km de front de mer – ou ce qu'il en reste. Faire taire nos peurs des autres. Faire taire les propagandes partisanes et encourager la curiosité des partisans. Dans cette mascarade renouvelée, tomber le masque de l'ignorance arrogante. Non, ma communauté n'est pas la meilleure. Non, nous ne sommes plus le pays le plus cultivé du Moyen-Orient. Non, le Liban n'est plus un exemple de démocratie et d'entente sociale dans un océan d'intolérance. Non. Mais il pourrait le redevenir. Pourvu qu'on veuille bien mettre fin au cycle infernal du mensonge, de l'intolérance et de la corruption. Alors peut-être qu'à ce moment, on pourra apprécier ce plat qui nous est servi, et arrêter de lorgner le passeport du voisin.

Un jour on naît. Comme ça, sans avoir rien demandé. Et avec la vie, le mensonge se perpétue. On nous injecte ce sentiment d'appartenance à une communauté, ou à une autre. Et, comme on aime bien appartenir, alors on s'abandonne. La famille, les cousins, le village, la confession, le parti. Oublions la réflexion. Plus tard, on parlera du pays. Entre-temps, on zyeute les passeports des...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut