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Nos Lecteurs ont la Parole - Sandra BARRÈRE

Faut-il que nous soyons bêtes au point de ne pas voir ?... Petite réflexion sur le désir

De la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne, commentée par Kamel Daoud en des termes problématiques au regard de la réalité du harcèlement et du viol en Allemagne, jusqu'aux compétitions sportives féminines des JO de l'été, en passant par le burkini sur les plages cannoises, jamais me semble-t-il les médias n'ont été à ce point obsédés par le corps de la femme. Signe des temps ? Ou bien plutôt trace de nos errements ? Jamais l'on ne se pose la question, la seule qui vaille à mon sens : de quoi cette obsession est-elle l'indice ? Et puis cette autre qu'elle contient sans le savoir : de quoi ce métrage de tissu, plus ou moins grand en fonction de l'humeur, du temps, de la culture, etc., diversement accommodé sur le corps des femmes, est-il le signal ?
La question mérite d'être posée et d'être passée au crible d'une sémiologie du corps, du regard qu'il provoque, du désir qu'il inspire ou qu'il ne s'autorise pas... Prenons le cas de la championne de tir de Chicago, Corey Cogdell-Unrein, tellement « sexy » n'est-ce pas ?
Son statut de championne est éclipsé par celui d'épouse, et tous de congratuler le mari d'une si belle poupée. Prenons la nageuse hongroise Katinka Hosszu, ses performances, elle les doit à son entraîneur de mari. L'un des commentateurs voudrait voir la judoka française Automne Pavia « ailleurs que sur des tapis de combat ». Suivez mon regard... Dans un autre registre, lorsque Donald Trump, en référence à un certain Monicagate, défie Hillary Clinton de « satisfaire » son mari plutôt que de briguer la Maison-Blanche, sommes-nous en régime égalitaire ? Faut-il rappeler aussi ce que cet imaginaire phallocentré coûte d'enfer esclavagiste aux prostituées nigérianes qui négocient la fellation à 10 euros (pour la fellation bulgare, comptez le double) aux abords de la bonne ville de Bordeaux, par exemple ? En contexte patriarcal ou postpatriarcal, il y a une multitude de raisons de mettre le voile. Se protéger de la prédation de l'homme est l'une d'elles. Je garantis qu'elle prévaut dans bien de nos quartiers en France.
On me rétorquera : c'est un marqueur de la foi. On oublie trop vite que le voile ne fait que de très brèves apparitions dans le Coran (trois, il me semble), ce texte à ce point sacré qu'on s'exonère d'en faire une exégèse raisonnée. On hausse les épaules. On passe à autre chose, l'étrangeté du musulman est de toute façon irréductible. On laisse aux générations futures le soin de compenser nos impensés... Et puis, il y a le match de beach-volley, opposant des Égyptiennes et des Allemandes en ce torride mois d'août. La photo de Doaa Elghobashy (l'Égyptienne) et de Kira Walkenhorst (l'Allemande) qui immortalise la rencontre est saisissante. Elle pose en opposant deux visions du corps et deux désirs posés sur lui. La première est couverte de leggings et de manches longues, la seconde est quasi nue, hormis quelques centimètres carrés chichement appliqués sur les endroits sexués. Tout d'un coup, les puissances hégémoniques de l'Occident prennent peur : mais si les corps sont désormais couverts, le public suivra-t-il ? Comment se comporteront les sponsors si le spectacle devient prude ? Elles s'insurgent, elles sont, par avance, les uniques porte-parole de l'émancipation des femmes. Elles sont les étendards de la foi dans le corps, de la foi dans le désir universel.
On ne voit pas une chose qui pourtant crève les yeux : qui porte le regard ? Qui commente ? Qui signe les articles ?
Les médias occidentaux sont, faut-il le rappeler, hégémoniquement masculins. Les sujets qu'ils portent aussi (les études sur les unes le montrent). Quand bien même la photographie est le fait d'une femme (Lucy Nicholson), n'oublions jamais le contexte d'hégémonie où elle se niche, et qui détermine tout. Ces corps féminins dans l'effort qui se taillent tout, soudain une petite place, une petite « part » pour emprunter au vocabulaire rancérien (NDLR : référence au philosophe français Jacques Rancière), dans le vaste champ médiatique, portent la marque de ce regard exclusivement masculin : un regard hypersexualisé. Le désir sur ces corps exposés est celui d'hommes ni moins ni plus prédateurs que les autres, et qui se servent de leurs mots pour assujettir le corps des femmes à un objet désirable, à une enveloppe, ou une surface, plus ou moins appétissante, pour ne pas dire à un « trou pénétrable », au mépris de la profondeur de champ et du talent. Mais voit-on dans la presse des commentaires sur les muscles parfaits des nageurs de 400 mètres nage libre ? Glose-t-on à l'envi sur le corps longiligne de tel ou tel coureur venu de Somalie ? Je garantis que mon amie S., délurée entre toutes, n'avait d'yeux que pour Leonardo de Deus (Brésil) lors du 200 mètres dos crawlé. Je reconnais que le spectacle était beau. Mamma mia, ce corps impeccable portait bien son nom !
C'est au point que, devant cette concurrence déloyale (ce sont ses termes), mon autre ami G. a purement et simplement éteint la télé... ! Nous en avons beaucoup ri. L'anecdote est « symptomale ».
Quand on est femme, le regard sur l'homme est-il possible ? Autorisé ? C'est-à-dire : le désir de la femme pour l'homme ? Ou bien : le désir de l'homme pour l'homme. Celui de la femme pour la femme. Ou pour la personne qu'on voudra pourvu qu'elle y consente. Merde. Non. Il n'y a qu'un seul regard, et donc qu'un désir autorisé. Un désir hétéronormatif et unilatéral. C'est ce qu'on appelle l'émancipation en terres d'Occident, c'est elle qui légitime en creux l'infini du sexisme jusque dans le cercle étroit de la politique en France. C'est au point que ce que l'on appelle liberté, liberté de se mouvoir, liberté de se vêtir comme l'on veut, cette liberté-là porte encore infiniment la marque de cette unilatéralité, et donc de cet assujettissement, ou de cette aliénation, au désir de l'homme. Qu'importe le paradoxe, nous détenons la vérité, nous sommes fondés, et donc bien avisés de donner des leçons d'émancipation aux terres d'islam. Sauf que le patriarcat est partout, ne le voyez-vous pas ?
D'un bord à l'autre du monde, c'est juste une question de degrés ou de perception. Nous serions donc bien avisés de repenser les données du problème, hors de toute arrogance. C'est-à-dire de penser le rapport au corps de la femme sous toutes les latitudes. Et de travailler. C'est-à-dire d'éduquer à une véritable culture du respect et de l'égalité. Cette éducation-là devra prendre en compte la réversibilité du désir, l'infini de la réversibilité du désir. En clair, il nous faut poser des égalités quant à cette chose qui nous porte « infiniment vers l'aube », en dépit de tout, à savoir : le désir. Le jour où nous y parviendrons, il y a de fortes chances que les voiles tomberont...
Cette aube-là, la désire-t-on ?


Sandra BARRÈRE
Enseignante de lettres modernes et doctorante en littérature comparée (Université Bordeaux-Montaigne). Elle a exercé des fonctions à l'Institut français du Liban de janvier 2011 à août 2014

De la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne, commentée par Kamel Daoud en des termes problématiques au regard de la réalité du harcèlement et du viol en Allemagne, jusqu'aux compétitions sportives féminines des JO de l'été, en passant par le burkini sur les plages cannoises, jamais me semble-t-il les médias n'ont été à ce point obsédés par le corps de la femme. Signe des...

commentaires (2)

Réflexion très intéressante qui méritait mieux, selon moi, qu'un "courrier des lecteurs". L'interdiction faite aux femmes d'exprimer leur désir et de le vivre, l'hégémonisme du désir masculin : voilà deux pistes non explorées que je sache, qui pourraient conduire à une compréhension plus réfléchie du phénomène du Burkini et autres hijab.

Marionet

12 h 24, le 18 août 2016

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Commentaires (2)

  • Réflexion très intéressante qui méritait mieux, selon moi, qu'un "courrier des lecteurs". L'interdiction faite aux femmes d'exprimer leur désir et de le vivre, l'hégémonisme du désir masculin : voilà deux pistes non explorées que je sache, qui pourraient conduire à une compréhension plus réfléchie du phénomène du Burkini et autres hijab.

    Marionet

    12 h 24, le 18 août 2016

  • DE LA DIVAGATION D,UN BOUT A L,AUTRE ! SI ON A DES MOEURS ARCHAIQUES ET ON VEUT LES GARDER ON NE VA PAS VIVRE ET LES ETALER CHEZ LES EMANCIPES... ON RESTE AUX PAYS DES DEUX FACES DE LA MEME MONNAIE... LA OU ILS EN SONT IMPOSES ET TOLERES...

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 18, le 18 août 2016

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