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Culture - Festival de Byblos / E-terview

Cinq Beyrouthins de fer dans un gant de velours

Ils sont cinq : Hamed Sinno, le chanteur ; Haig Papazian, le violoniste ; Carl Gerges, le bassiste ; Ibrahim Badr et Firas Abou Fakhr, les guitaristes. Cinq Beyrouthins comme les doigts d'une main – de fer dans un gant de velours – qui caresse les sonorités et les bienséances à rebrousse-poil, avec un plaisir corrosif. De retour d'une tournée à guichets fermés en Égypte, en Jordanie (après une interdiction déjouée in extremis), en Tunisie, et après avoir foulé des scènes prestigieuses en Europe et aux États-Unis, comme celles du Exit Festival (Croatie), du Pop Montréal Festival (Canada), du Paléo Festival (Switzerland) ou du festival d'Île-de-France (France), Mashrou' Leila se produit demain soir sous la belle étoile de Jbeil. Les fils de la nuit ont pris le temps, pour l'occasion, de répondre à quelques questions en vrac de « L'Orient-Le Jour », entre deux concerts et moult discussions à bâtons rompus avec leur très paternel manager Karim Ghattas.

Photo Saeed Aman

Au fil des années, Mashrou' Leila s'est taillé une place très particulière dans l'industrie de la pop arabe. Une place qu'il convoite depuis le lancement de la campagne de financement participatif #OccupyArabPop en 2013.
Ibn el-Leil (Le fils de la nuit), son opus numéro 4, dont le lancement a eu lieu lors d'un spectacle unique au Barbican de Londres, a été retransmis en direct sur la MTV Europe, en collaboration avec le festival de Beiteddine. Un spectacle dont l'aspect visuel a été signé par divers artistes illustrant leur vision de la nuit beyrouthine, dont Bernard Khoury, Amin Dora, Chadi Younes, Roger Moukarzel... Distillé avec un esprit pop électrifiant, ce nouvel album cherche à réinventer les sonorités musicales du groupe en les mêlant aux résonances de Beyrouth. C'est avec celles de Jbeil et son vieux port antique, dans le cadre du festival de Byblos, que le groupe se produira demain vendredi 5 août.

 

Quel est ton souvenir le plus fort avec Mashou'Leila ?
Carl : Il y en a tellement, mais si je dois en choisir un seul, c'est lors du concert de lancement de notre dernier album Ibn el-Leil : le moment où nous avions décidé de joindre les deux mondes en transmettant en direct, sur l'écran à l'arrière de la scène, des images de Beyrouth. L'idée était de faire se rencontrer, durant nos concerts, nos publics partout dans le monde, avec notre ville natale. Le moment fort ? Précisément lorsque la connexion satellite s'est faite, la réaction du public dans la salle, l'adrénaline pour nous sur scène (cela aurait pu tomber à l'eau vu le défi technique) et, surtout, l'impression d'être entre deux mondes et de leur appartenir à tous les deux. Et, surtout, de les réunir.
Ibrahim : Le moment fort, pour moi, a été sans doute lorsqu'André – qui n'a jamais été un virtuose et qui a quitté le groupe en 2012 – a composé la ligne de guitare de Fasateen. Il y a toute sa personnalité dans cette mélodie : simple, efficace, « catchy » et touchante. J'étais là, cela s'est passé devant moi et en l'entendant pour la première fois, la ligne de basse était déjà dans ma tête. Nos premiers titres avaient ce truc, à la fois hype et spontané. Ensuite, il a fallu un an au moins pour finir la chanson et en faire ce qu'elle est devenue. Mais le point de départ était ces quelques notes spontanées.

 

De votre répertoire sur scène, quelle est ta chanson préférée en ce moment ?
Haig : Marikh, parce qu'elle est lente et langoureuse et parce qu'elle achève le concert sur une note très haute.
Firas : L'opposé, je dirais AEODE, parce qu'elle ouvre le concert et que c'est aussi la chanson d'ouverture du disque. Elle plante le décor.

 

Pour quelles raisons pensez-vous que des stades entiers dans lesquels vous jouez s'identifient à Mashrou' Leila ?
Les gens s'identifient à l'expression libre de toute censure. Ils en ont marre de suivre des codes établis, de s'exprimer selon ce qu'on attend d'eux. Quand ils viennent au concert, ils découvrent des gens de leur génération qui disent les choses qui leur tiennent à cœur, sans complexes.

 

(Lire aussi : Byblos est une fête « d’effervescence et d’espoir »)

 

On entend toujours dire qu'on ne comprend pas les paroles que vous chantez. Pourquoi, à votre avis ?
Hamed : Étiez-vous au concert de Tunis, il y a quelques jours ? Il n'y a pas une chanson que le public n'a pas chantée en entier, connaissant les paroles par cœur. La preuve aussi, c'est que lorsque les premiers titres du groupe ont été mis en ligne, il y a 8 ans, les gens transcrivaient les paroles dans les « captions » sur YouTube et c'étaient, à 99 %, les bonnes paroles.

 

Êtes-vous, ou avez-vous, une réponse particulière à la brutalité de plus en plus flagrante qui règne dans un monde de plus en plus violent et intolérant ?
Haig : Pendant que les politiciens négocient, les gens continuent de souffrir et d'avoir peur de vivre. La musique, et l'art en général, sont des échappatoires qui donnent la possibilité aux gens de s'accepter mieux les uns les autres, avec toutes leurs différences, et donc de se rapprocher.
Firas : C'est aussi une vague d'espoir, une ouverture du champ des possibles... Dans un pays comme le Liban, où la musique pop n'a fait que se répéter depuis 20 ans, sans proposer d'alternative, le fait d'avoir des artistes libres de produire des choses différentes et dans des conditions différentes représente une réponse importante à la stagnation de l'industrie musicale dont les méthodes préétablies ne sont jamais remises en cause dans notre pays.

 

Est-ce que c'est pour cela qu'on dit que Mashrou' Leila est un groupe politique ?
Firas : Je crois qu'en ces temps où l'on en vient presque à avoir peur de quitter sa maison parce que les surprises ne sont que pour le pire, n'importe quel concert (rassemblement public par excellence) devient un acte politique. Pas seulement les nôtres, mais aussi ceux de tous les artistes, même les plus commerciaux, comme celui de SIA (le 9 août à Byblos).

 

Après 8 années de travail et d'expériences, après 4 albums et des concerts devant des centaines de milliers de personnes, est-ce que vous avez encore des choses à dire ?
Haig : Les méthodes changent, notre façon d'aborder la musique évolue. Nous travaillons beaucoup ensemble. Nous aimons l'idée d'aller de l'avant ensemble. Aujourd'hui, c'est la musique, la mise en scène, les visuels qui nous unissent... Un jour peut-être, ce sera la politique (rires).

 

(Pour mémoire : « Nous continuerons à prôner l’égalité et l’amour dans nos chansons »)

 

On dit que l'amour dure 3 ans, après 8 ans de vie commune, est-ce que vous vous aimez toujours autant ?
Carl & Firas : Nous sommes très différents les uns des autres et, petit à petit, nous sommes devenus une famille. Comme dans une famille, nous respectons nos différences. C'est un mélange d'amour et de haine fraternelles. Mais aujourd'hui, l'aventure Mashrou' Leila fait que nous sommes encore plus liés les uns aux autres.

 

Qu'est-ce qui fait l'identité de ML ?
Ibrahim : À mon avis, ce sont des aspects très pratiques et rationnels : nous sommes cinq garçons arabes natifs de Beyrouth. Nos environnements sociaux sont, au départ, assez différents, et le fait de nous réunir autour d'un projet nous a rapprochés les uns les autres, petit à petit... Pour servir ce projet qui est plus grand que chacun de nous, individuellement.

 

En quoi Byblos 2016 va-t-il marquer un tournant nouveau dans la vie du groupe ?
Notre premier concert a eu lieu à Byblos. Aujourd'hui, les choses ont changé. Nous avons plus d'expérience et de moyens. Cela nous permet d'être plus précis, d'anticiper mieux les choses et donc de créer des émotions nouvelles, plus fortes.

 

Quelles surprises préparez-vous pour le concert de demain vendredi ?
Nous ne pouvons pas tout révéler de ce show qui va être unique en son genre. Le « setup » est totalement nouveau. Nous y travaillons encore. Byblos nous a toujours inspirés. De la « set list » du concert, aux effets sonores ou visuels, en passant par la mise en scène ou l'éclairage, tout est un défi. Nous sommes entourés par des équipes techniques et artistiques qui nous aident à emmener nos idées encore plus loin.

 

Si vous deviez garder un seul souvenir de l'expérience Mashrou' Leila ?
ML : C'est compliqué, il y en a tellement. Nous avons donné des centaines de concerts, passé des mois en tournée ensemble, enregistré des albums, fait des tas de rencontres... Pas évident...
Karim Ghattas : J'ai une réponse spontanée si vous me le permettez ? Je n'oublierai jamais le jour où nous nous sommes rencontrés pour la première fois. Vous n'avez, à mes yeux, jamais été aussi beaux que ce jour-là. Je découvrais sept jeunes gens d'une vingtaine d'années, tous plus beaux les uns que les autres, avec des regards qui transpiraient les rêves et l'ambition. Cela m'a vraiment touché. C'est un jour hyper important dans ma vie.

 

Qu'est-ce qui a changé depuis ?
Karim : Tout. L'habitude s'est installée, la plupart de nos ambitions sont devenues des « expectations ». Nous négocions beaucoup plus entre nous, ce qui est normal parce que les enjeux sont devenus plus grands. Ce sont toujours de belles aventures, bien sûr, mais le premier jour a été un grand tournant. Dans ma vie, en tous cas. J'ai cru en vous dès le premier instant. Je suis très fier de ce que vous accomplissez et très impatient de vous voir à Byblos, après un an d'absence au Liban.

 

 

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