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Liban - Pollution

Dans le lac du Qaraoun, une prolifération « sans pareille » d’organismes sécrétant des toxines

« Pour sauver durablement le Litani, il faut confier cette mission à une institution unique qui mettra en place un plan de gestion complet du bassin », souligne le secrétaire général du CNRS.

Des poissons morts asphyxiés dans une eau verte de pollution... Sans plan global d’urgence, le plus grand fleuve du Liban, le Litani, et le lac artificiel de Qaraoun resteront à l’agonie. Photo Kamal Slim

Dans la nuit du 9 au 10 juillet, plus de cinq tonnes de poissons morts ont été observés flottant sur la surface du lac artificiel du Qaraoun (Békaa), pour la plupart des carpes d'une espèce locale (Capoeta damascina) et des gambuses (Gambusia holbrooki). Si la pollution du Litani et du lac du Qaraoun n'est pas une donnée nouvelle, l'ampleur de la catastrophe a fait prendre conscience au grand public, qui n'avait pas encore été suffisamment rebuté par la couche verte recouvrant l'eau du lac, du danger de la pollution.

Dans un rapport soumis par le Conseil national de la recherche scientifique (CNRS) aux responsables à la suite de l'hécatombe des poissons, rédigé par les experts Kamal Slim, Omar Samad, Ali Fadel et Rana Beydoun, et dont L'OLJ a pu consulter une copie, il est indiqué que les examens effectués sur des échantillons de poissons morts ont montré un fort taux d'algues toxiques dans leurs entrailles.

Dans la conclusion de ce rapport, qui passe en revue toutes les données scientifiques, il est écrit : « La cause principale de cette catastrophe écologique ne se situe pas au niveau de forts taux de radiations ou de produits chimiques toxiques, tel l'arsenic. Elle est due à une dégradation de la vie biologique dans le lac, causée par une hausse soudaine de la température de l'eau, qui a avoisiné les 30 degrés. C'est cela qui a provoqué l'excrétion, dans le milieu aquatique, d'une toxine, la cylindrospermopsine, par les cellules de (certaines) cyanobactéries (voir plus loin). La mort en masse des poissons s'en est suivie, sachant que la température idéale de l'eau pour ces espèces est de 18 à 20 degrés. »

 

(Pour mémoire : Kabbani expose les causes de la pollution du Litani et du Qaraoun)

 

Cinq mètres de matières fécales au fond
C'est une dégradation générale, donc, qui a provoqué la mort des poissons, et qui constitue en soi un risque majeur pour la santé humaine et animale, comme pour l'environnement en général.

Le lac « est à l'agonie », insiste Mouïn Hamzé, secrétaire général du CNRS, lors d'un entretien avec L'OLJ. Que signifie cela pratiquement? « Cela signifie que la biodiversité, la faune, la flore du lac sont en train de disparaître, dit-il. Il n'y a plus de production d'oxygène ni de chlorophylle. Les algues toxiques continuent à envahir le bassin. Il existe quatre à cinq mètres de matières fécales agglutinées au fond du lac, ainsi que des sédiments toxiques. Tout plan de dépollution du lac devra prendre en considération le nettoyage du fond, avec l'interruption du flot d'égouts, de toute évidence. Les dégâts sont réversibles mais il faut commencer sans tarder. »

Pourquoi cette présence si importante de ces cyanobactéries, des embranchements de bactéries qu'on appelle parfois « algues bleues » (à cause de leur pigment, bien qu'elles ne soient pas vraiment des algues), dont parle le rapport des experts ? « Nous avons constaté cette année une croissance sans pareille de l'Aphanizomenon, une cyanobactérie qui prolifère généralement à 18-20 degrés, mais qui s'est développée de manière significative cette année dans un milieu à 30 degrés, affirme à L'OLJ Kamal Slim, hydrobiologiste spécialiste des algues, chercheur au CNRS. Cela s'explique par sa plasticité considérable et sa remarquable faculté d'adaptation. D'habitude, cette cyanobactérie disparaît à une certaine période de l'année, mais pas cette fois. D'où le désastre : au cours de la phase de sa croissance maximale, en mourant, elle libère les émanations toxiques qui ont tué les poissons. En général, elle a ce comportement soit avant de disparaître, soit en cas de hausse de température, soit pour se protéger contre un prédateur.

Mais, dans tous les cas, cela est le signe d'une dégradation du milieu. Il n'y a actuellement pas de biodiversité dans le lac. Il faut attendre l'hiver pour constater un changement. »
Kamal Slim, qui suit la progression de ces cyanobactéries dans le lac depuis une dizaine d'années, souligne qu'il s'agit d'un problème mondial rencontré dans les eaux stagnantes (comme les lacs artificiels des barrages par exemple) subissant de la pollution.

 

(Pour mémoire : Bou Faour déplore un taux de pollution "très élevé" dans les eaux du Litani et du lac de Qaraoun)

 

Un réservoir d'eau qui ne se renouvelle plus
Quatre types de pollution sont responsables de l'actuel état du Qaraoun : celui des déchets solides, qui nécessitent des usines de tri et de traitement, celui des eaux usées (des cinq stations d'épuration de la Békaa, seule celle de Ferzol fonctionne), celui des rejets industriels (très dangereux car ils peuvent causer des dégâts irréversibles) et celui des pesticides et herbicides utilisés dans l'agriculture le long du fleuve.

« La plaine de la Békaa a été envahie par une petite et moyenne industrie, ainsi que par des fermes d'élevage, qui sont extrêmement polluantes, explique Mouïn Hamzé. Parmi les fermes de production laitière, seules quelques-unes ont installé des systèmes d'épuration des déchets liquides. Quant aux herbicides, ils contiennent des principes actifs qui ne sont pas tous biodégradables. » Kamal Slim renchérit : « Près de 14 pesticides ont été détectés dans l'eau, dont quatre à cinq connus pour être cancérigènes. »

Le lac est en mauvais état aussi parce qu'il n'y a plus assez d'eau pour que son réservoir se renouvelle complètement, poursuit M. Hamzé. « Ce lac, qui devait contenir quelque 220 millions de mètres cubes, n'a jamais été au-delà de 100 à 150 millions de mètres cubes ces trois à quatre dernières années – il en est à 90 millions actuellement », précise-t-il. Kamal Slim explique que cette quantité se réduira étant donné l'évaporation, la production d'électricité hydroélectrique et l'utilisation de l'eau.

Pourquoi cette pollution est-elle si dangereuse pour l'environnement ? « Ce bassin couvre 25 % de la surface du Liban et irrigue 30 000 hectares, sachant que toute la zone irriguée au Liban ne va pas au-delà de 110 000 hectares, s'insurge Mouïn Hamzé. Ces 30 000 hectares sont aujourd'hui irrigués par des eaux d'égouts ! Sans compter que dans cette zone s'épanouissent les écosystèmes les plus importants du pays : de l'écosystème aride à la source du fleuve à l'écosystème semi-aride dans la Békaa centrale, jusqu'à une zone assez humide (900 millimètres de précipitations par an en moyenne) dans la Békaa-Ouest, et plus loin vers le Sud. Les cultures principales du pays se trouvent dans ces terres : les rosacées (pommes...), les agrumes, les cultures de montagne, les cultures semi-tropicales, etc. Nous sommes en train de tuer nos écosystèmes et tout ce qui fait la spécificité du pays. »

Une « décision politique »
Le secrétaire général du CNRS insiste sur la nécessité d'une « décision politique » pour résoudre la question de la pollution du Litani. « Actuellement, ce dossier combine les prérogatives de multiples institutions : les ministères de l'Énergie, de l'Intérieur par le biais des municipalités, de l'Environnement, de l'Industrie, de l'Agriculture et de la Santé, ainsi que le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), les mohafazats, les caïmacamats, etc. », note-t-il. Il rappelle qu'un plan directeur de lutte contre la pollution du Litani a été élaboré en 2013 par un comité formé suite à une décision du Conseil des ministres. Ce document avait alors fourni toutes les solutions à court, moyen et long terme pour un nettoyage total du Litani sur une période de cinq ans. Un plan qui est, à l'évidence, resté dans les tiroirs...

La principale mesure que prône le rapport présenté par le comité en 2013 est de mettre en place un plan intégré (complet) de nettoyage du bassin, qui serait exécuté par une seule autorité, pour plus d'efficacité. Comme mesure urgente, il faut surtout, selon le CNRS, placer des stations d'épuration sur tout le bassin, trouver une solution aux déchets solides et limiter l'utilisation des herbicides.

« Ce plan avait alors été approuvé par six ou sept ministères, souligne M. Hamzé. Cependant, si ces institutions ne vont pas abandonner certaines de leurs prérogatives pour confier cette tâche à une institution ayant pour seule mission de sauver le Litani, je ne vois pas comment on pourrait arriver à bout de ce problème. » Cette institution ne pourrait-elle pas être l'Office du Litani ? « Il faudra alors modifier son mandat, puisque cette institution gère actuellement l'investissement de l'eau, mais n'a pas les prérogatives nécessaires pour contrôler tout le bassin et mettre un terme aux abus », estime-t-il.

Des sommes importantes ont été englouties pendant des années dans les études sur le Litani, sans aucune incidence sur le terrain. L'irresponsabilité provient aussi bien des responsables politiques que des autorités ou des citoyens. Une fois ces malheureux poissons oubliés et passées les images scandaleuses dans les médias, la pollution du plus grand fleuve libanais, qui dépasse largement cette affaire, sera-t-elle toujours une priorité ?

 

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Dans la nuit du 9 au 10 juillet, plus de cinq tonnes de poissons morts ont été observés flottant sur la surface du lac artificiel du Qaraoun (Békaa), pour la plupart des carpes d'une espèce locale (Capoeta damascina) et des gambuses (Gambusia holbrooki). Si la pollution du Litani et du lac du Qaraoun n'est pas une donnée nouvelle, l'ampleur de la catastrophe a fait prendre conscience au...

commentaires (1)

le lac de Qaraoun est à l'image de la dégénérescence du pays ...il n'y a que les requins qui survivent... et pour combien de temps...?

M.V.

20 h 43, le 28 juillet 2016

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Commentaires (1)

  • le lac de Qaraoun est à l'image de la dégénérescence du pays ...il n'y a que les requins qui survivent... et pour combien de temps...?

    M.V.

    20 h 43, le 28 juillet 2016

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