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Moyen Orient et Monde - Transition

La Tunisie en quête d’un modus vivendi entre islam politique et démocratie

Après les attentats de Nice et l'altération du modèle turc, le parti Ennahda face à de nouveaux défis.

Près de 29 ans après, la statue de Bourguiba sur son cheval retrouve le centre de Tunis. Fethi Belaid/AFP

Tiraillée entre l'image négative d'un pays-réservoir de jihadistes et celle d'une démocratie qui tâtonne et s'interroge, la Tunisie offre toutefois par sa stabilité relative un exemple de réussite postrévolutionnaire vanté par nombre d'analystes politiques.

Alors que le pays se trouve à un tournant majeur de son histoire où se forgerait l'embryon d'une synthèse entre islam politique et modernité, les efforts entrepris par les forces politiques et civiles actives se trouvent une fois de plus éclaboussés par la violence signée, à Nice, par un ressortissant franco-tunisien, d'obédience présumée daechiste, originaire de la ville de Masaken, dans le Nord-Est.
Les attentats violents qui ont secoué la Tunisie au cours des quatre dernières années, et les informations faisant état de près de 5 000 Tunisiens ayant rejoint les rangs des groupes radicaux depuis 2011, font craindre de plus en plus un amalgame entre le phénomène de la radicalisation d'une frange de la société, et sa composante islamiste incarnée principalement par le parti Ennahda, proche du courant des Frères musulmans, qui ne cesse de se défendre et de nier tout lien avec le wahhabisme à l'origine de l'islam radical jihadiste.

Ennahda, qui a annoncé, lors d'un congrès fondateur tenu en mai dernier, un « aggiornamento politique », à savoir une séparation entre la prédication (Daawa) et les activités politiques, pourrait se trouver une fois de plus acculé à montrer patte blanche sur la scène politique interne, mais aussi envers l'Occident, à la lumière des craintes d'une islamisation rampante et de la psychose de la menace terroriste qui saisit le monde dans son ensemble.
L'annonce par le parti islamiste de sa « réforme interne » continue d'ailleurs de susciter des doutes, alors que les interrogations sur les objectifs réels visés par cette mesure restent aujourd'hui nombreuses.

Qualifiée par certains de « poudre aux yeux », voire de « simple manœuvre ou tactique politique » destinée à assurer la survie du parti dans un contexte local et international qui lui était devenu défavorable, cette rénovation structurelle et idéologique ne serait autre qu'« un coup de communication », voire « une tactique électorale », en vue de rafler des voix par la base, tout en montrant une façade réformiste, dans l'espoir de briguer à nouveau le pouvoir. Certains experts l'interprètent comme une simple séparation « entre le partisan et le non-partisan », les activités religieuses et sociales devant servir à fournir au parti le réservoir des voix lors des élections pour reprendre le pouvoir. Fort de l'expérience du passage avorté des Frères musulmans en Égypte et de l'éviction de Mohammad Morsi par l'armée en juillet 2013, Ennahda aurait ainsi appris la leçon.
Pour d'autres, cette initiative n'en est pas moins une maturation fondamentale, voire même un « tournant » dans l'histoire de ce parti. Les tenants de cet avis estiment en effet que l'amorce d'une telle réflexion au sein de la mouvance islamiste reflète le début d'une mutation en direction d'un modèle de l'islam politique propre à la Tunisie, un peu comme celui qui a été forgé en Turquie sous le président Erdogan. Or l'expérience turque se trouve aujourd'hui sérieusement remise en cause, dans son volet politique pour le moins, au lendemain du putsch militaire dont les conséquences ont indéniablement terni ce modèle longtemps vanté dans les milieux islamistes.

Dictée par son histoire tumultueuse avec les régimes précédents, notamment sous Zine el-Abidine Ben Ali, et d'une courte expérience postrévolutionnaire au pouvoir qui s'est conclue par son rejet en 2014, Ennahda aurait ainsi pris du recul pour mieux se redéfinir sur l'échiquier politique dans un moule revu et corrigé. Il s'agirait en somme d'un pas de plus en direction d'une « formule originale et propre à la Tunisie » dans laquelle les tenants du renouveau au sein du parti islamiste seraient en quelque sorte disposés à reconnaître l'héritage laïc du pays et à composer, à long terme, avec ses défenseurs, illustrant ainsi une volonté d'intégrer le jeu démocratique sans pour autant renier l'ancrage islamiste. L'exercice consisterait, selon des proches du parti, à revisiter le contenant idéologico-religieux et sa concrétisation sur le plan politique.

Selon un ancien rédacteur en chef d'un quotidien local, Abdel Latif Derbala, le courant moderniste au sein d'Ennahda serait ainsi prêt à « composer avec la formule de l'État civil à condition que ce dernier lui reconnaisse la liberté de croyance ». Bref, une ligne qui serait en faveur d'une « concorde avec l'État » et non de « sa négation » dans le cadre d'une formule et d'un modèle de société « viables » pour l'ensemble des parties.
La réinsertion récente du legs de la laïcité dans la vie publique par le biais du retour de la statue de l'ancien président Habib Bourguiba sur la place publique, en juin dernier, refléterait cette nouvelle dynamique mue par une volonté de faire converger, à un carrefour, un islam politique, l'héritage de la sécularisation et les requis démocratiques, pavant la voie à un modèle de tunisianité inédit, attestent certains intellectuels et activistes tunisiens.

Jérôme Heurtaux, chercheur à l'IRMC (Institut de recherche sur le Maghreb contemporain ), Mohammad Fadhel Saihi, avocat et ancien conseiller au ministère de la Justice, et Leila Bahria, ancienne secrétaire d'État aux Affaires étrangères, ex-magistrate et présidente de l'Observatoire Chahed, chargé de la surveillance des élections et du soutien des transitions démocratiques, répondent aux questions de L'Orient-Le Jour, et tentent, à travers leurs analyses, d'expliciter les problématiques auxquelles fait face la Tunisie.

 

(Lire aussi : Une question sociale orpheline d’un parti politique)

 

Jérôme Heurtaux : La stratégie d'Ennahda, islamiser la société par le bas et soigner son image publique par le haut

Où en est aujourd'hui la Tunisie en termes de recherche d'identité et de changement social et politique postrévolutionnaire ?
Une période de changement, marquée par de fortes incertitudes, entraîne une redéfinition du rapport au passé. Une « transition », c'est aussi chercher à mettre un peu d'ordre dans le désordre, définir de nouvelles normes tout en maintenant des formes de continuité, inscrire le présent par rapport à un avenir souhaitable et bien sûr, aussi, par rapport au passé. Un passé réinventé, qui permet de comprendre la résurgence de la figure de Habib Bourguiba, « héros » de l'indépendance et premier président du pays. Dès après le 14 janvier 2011, Bourguiba est « revenu » dans nombre de discours, politiques, militants ou profanes, qui cherchaient à séparer le bon grain (Bourguiba) de l'ivraie (Ben Ali). La valorisation du bourguibisme est depuis une constante de l'énonciation du politique, tous courants confondus ou presque. Il faut dire qu'aucun examen critique n'a été fait de la période Bourguiba (1956-1987), sinon dans des espaces confinés historiens, associatifs ou militants.

La tentative de résurgence de la mémoire de Bourguiba n'est-elle pas une manière de renouer avec le legs laïc pour mieux affronter l'islam politique ascendant ?
Bourguiba incarne quelque chose de l'identité nationale, tout en étant à la fois un personnage clivant. Ceux qui s'en réclament mettent en avant le sécularisme, la politique d'émancipation des femmes. C'est une référence légitimante. Les islamistes ou l'ancien président Moncef Marzouki s'inscrivent davantage dans l'héritage du Yousséfisme (du nom du principal opposant à Bourguiba au sein du mouvement national, Salah Ben Youssef), qui incarne plutôt l'héritage arabo-musulman de la Tunisie. Mais les islamistes se sont récemment ralliés à l'héritage bourguibien.
Tout cela conduit à retenir une image épurée, voire falsifiée du régime du « leader suprême », qui fait l'impasse sur l'absence de pluralisme et les exactions en matière de droits de l'homme. Ce n'est pourtant pas Ben Ali qui a inventé la torture !

On parle aujourd'hui d'une généralisation de la corruption qui serait l'un des maux majeurs en Tunisie.
La corruption, sous ses formes les plus ostentatoires, comme la prédation organisée par la belle-famille de Ben Ali aux plus hauts niveaux de l'État, a été un moteur du soulèvement tunisien. Les protestataires dénonçaient ce pillage outrancier des ressources publiques. Après la révolution, la corruption n'a pas disparu, bien sûr, mais des institutions ont été conçues pour la combattre. Mais je pense qu'elle a muté dans ses formes et qu'elle s'est développée au niveau local, sur fond de réduction de la crainte inspirée par la police et la justice.
Quel est l'apport des élites et de la société dite civile en termes de réformes sociales et politiques ?
La société qu'on appelle communément civile milite pour la transparence de l'activité des élus, dénonce la torture, les exactions policières, réclame des réformes. Elle a surveillé et accompagné le processus constitutionnel, etc. Elle justifie son activité par des considérations éthiques, une conception du juste et de l'injuste, le sens de l'intérêt général. Les juristes, par exemple, ont eu un rôle majeur dans le processus politique.

La séparation de la prédication et du politique est-elle véritablement un point de transformation majeure chez Ennahda comme certains l'ont jugé ?
Il est trop tôt pour le dire. Je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'une « séparation du politique et du religieux ». Les leaders du parti parlent plus volontiers de « spécialisation ». Pour moi, il s'agit d'une distinction formelle entre activités partisanes et non partisanes. Comme parti, il reconnaît le caractère civil de l'État et ne présentera pas d'imams aux élections. Mais comme mouvement et réseau bien implanté dans la société, il continuera de bénéficier d'une importante base électorale. Certains cadres sont persuadés qu'Ennahda remportera haut la main les premières élections locales pluralistes prévues en mars 2017.

Certains évoquent un islam politique revu et corrigé qui préluderait à un nouveau modèle propre à la Tunisie, un peu à la manière de la formule turque ?
La stratégie d'Ennahda consiste toujours à islamiser la société par le bas et à soigner son image publique par le haut. Il s'agit à mon avis de rendre acceptable un retour au pouvoir. Il ne faut pas minimiser la crainte chez les cadres de ce parti qui ont connu de longues années de clandestinité et d'exil, d'une interdiction ou d'une répression dirigée contre eux. Rached Ghannouchi a pris acte du coup d'État mené en Égypte contre Mohammad Morsi en 2013.

L'attentat de Nice risque-t-il d'accroître – sur le plan local et international – les craintes et les doutes exprimés à l'égard d'Ennahda ?
Dans certains milieux politiques et sociaux, Ennahda suscite un véritable rejet, qui trouve son origine, non dans le développement du terrorisme, mais dans l'identité islamique du parti et son ascension après la révolution. Sa victoire aux élections à l'Assemblée constituante en 2011 était déjà fort critiquée. Mais il est vrai que sa conduite hésitante du pouvoir, les erreurs commises et sa tolérance, au début du moins, à l'égard des courants les plus radicaux de l'islam politique ont largement alimenté ce rejet.

 

(Lire aussi : Un Tunisien tué à Istanbul voulait rapatrier son fils, qui avait séjourné avec l'EI en Syrie)

 

Leila Bahria : Le défi réel est de trouver des réponses aux problèmes sociaux de la Tunisie

Quels sont vos espoirs pour la Tunisie de demain après l'aggiornamento annoncé par Ennahda ? Cette mesure peut-elle être considérée comme un tournant majeur ?
Tout d'abord, mes espoirs pour la Tunisie de demain dépassent de loin le cadre de ce qu'a annoncé Ennahda lors de son dernier congrès. En effet, pour celles et ceux de ma génération ayant vécu sous la dictature de Bourguiba et de Ben Ali, la révolution du 14 février 2011 nous a permis de croire qu'une Tunisie meilleure est possible : une démocratie où les libertés publiques et privées sont respectées et qui pave la voie à la réalisation d'un essor socio-économique qui profiterait à toutes les couches sociales et à toutes les régions du pays. Cela dit, lier l'avenir de la Tunisie à cette unique donne est une erreur car tous les partis politiques en Tunisie, et non seulement Ennahda, sont appelés à faire des révisions souvent douloureuses, mais nécessaires, afin de s'adapter à une nouvelle réalité et de mieux répondre aux aspirations et aux attentes légitimes du peuple, surtout de la jeunesse ainsi que des habitants des régions longtemps défavorisées. Bien évidemment, l'initiative d'Ennahda n'a pas été facile à prendre. Elle connaît et connaîtra certainement beaucoup de résistance au sein même du parti islamiste, que ce soit de la part des figures de la vieille garde ou bien au sein d'une grande majorité de la base. Il ne faut pas oublier que ce mouvement qui a donné naissance à Ennahda est vieux de plus de 40 ans. Il est né principalement sur cette idée de l'unicité entre religion et politique. Cependant, il est encore trop tôt pour évaluer l'impact de cette décision sur le paysage politique en Tunisie. Des efforts sont requis de la part d'Ennahda certes, mais aussi des autres composantes de la classe politique tunisienne, ce qui n'est pas facile.

Les élites en Tunisie et la société civile, dont les avocats et magistrats, devraient-elles faire à leur tour un pas de plus en direction d'Ennahda pour les retrouver à mi-chemin? Quelle est la formule viable selon vous ?
Certainement et sans aucun doute. Mais malheureusement jusque-là aucun pas n'a été fait, malgré toutes les tentatives de la main tendue
d'Ennahda et ses efforts certainement douloureux pour arriver à un consensus sur une plate-forme qui doit rapprocher et unir, et non diviser. Cela est dû à des décennies de suspicions et de diabolisation envers tout ce qui a trait à l'islam politique, mais aussi à des querelles idéologiques vieilles d'une trentaine d'années au moins, querelles que nos élites de tout bord n'arrivent pas à dépasser. Et franchement, dans l'état actuel des choses, la formule viable selon votre question semble difficile à atteindre, cette formule qui à mon avis nécessite de dépasser les anciennes querelles idéologiques et les petits calculs électoralistes, de tendre de nouveaux ponts de confiance et d'être plus attentifs aux attentes réelles des Tunisiens qui en ont ras le bol de ces querelles qui n'ont fait que leur faire perdre toute confiance dans la classe politique.

Beaucoup en Tunisie, notamment parmi les partisans de la laïcité, et à l'extérieur restent suspicieux par rapport à cette initiative. Quelles en sont les raisons selon vous ?
C'est vrai que malgré cette initiative de séparer prédication et activité politique, beaucoup restent suspicieux quant à la sincérité de cette décision. Les raisons sont multiples et vont, pour l'élite tunisienne, comme je l'ai expliqué plus haut, des querelles idéologiques qui ne vont pas encore finir aux petits calculs électoralistes jusqu'au refus de la différence. À l'extérieur, il faudrait ajouter à l'élément idéologique l'échec des expériences de l'islam politique. C'est dire que le chemin est encore long devant les islamistes tunisiens et leurs adversaires de tout bord pour s'accepter dans la différence, et ce pour l'intérêt du pays.

La Turquie d'Erdogan a souvent été pour le parti Ennahda le modèle de la réussite de l'islam politique dont il faut s'inspirer. Qu'en est-il aujourd'hui après le putsch militaire qui, selon
certains, a remis en question ce modèle ?
C'est vrai que la Turquie d'Erdogan était un modèle de réussite de l'islam politique pour Ennahda, sans prendre en compte les limites et même les échecs de ce modèle, bien avant la tentative de putsch, quant aux questions des libertés et de l'indépendance de la magistrature, pierre angulaire de toute démocratie, sans oublier les bavures de la politique étrangère.
Et là je pense
qu'Ennahda se trouve aujourd'hui devant un grand défi : celui de forger son propre modèle de parti civil ancré dans les valeurs arabo-musulmanes de la majorité du peuple tunisien et ouvert aux valeurs universelles des droits de l'homme. Toutes ces valeurs figurent d'ailleurs dans la Constitution tunisienne de 2014. Il est encore prématuré d'évaluer l'impact de ce qui se passe actuellement en Turquie sur le positionnement d'Ennahda par rapport audit modèle turc, mais disons qu'Ennahda a toutes les chances, à condition de les saisir, de forger un modèle tunisien de cet islam politique qui serait la synthèse entre les valeurs arabo-musulmanes du peuple tunisien et la modernité ou les valeurs universelles. Ces chances découlent de l'absence de clivages ethniques, religieux ou autres en Tunisie. Pour terminer, je dirais que le défi réel aujourd'hui en Tunisie, que ce soit pour Ennahda ou les autres composantes de la classe politique, c'est de trouver des réponses aux problèmes sociaux de la Tunisie.

 

(Lire aussi : Un an après les attentats, le tourisme peine à se relever à Sousse)

 

Mohammad Fadhel Saihi : Ennahda pratique
la politique de la main tendue

Quels sont le sens et la portée de la séparation entre « prédication » et « politique » selon Ennahda ?
Il s'agit d'une réponse aux demandes des tenants de la laïcité bien plus que d'un choix effectué par le parti, et ce pour mettre un terme au débat qui envenime la société.
Le grand problème à mon avis, c'est l'incompréhension chez les laïcs, même tunisiens, mais aussi en Occident, du cheminement intellectuel de l'islam. Ils ne comprennent souvent pas que cette religion, dans son essence, n'est pas contradictoire avec les valeurs universelles des droits de l'homme et la démocratie. Nous savons pertinemment qu'en islam, il y a une imbrication entre le politique, entendu comme la gestion des affaires des citoyens, et le religieux, entendu sous l'angle de la relation entre l'individu et son créateur. Donc l'islam n'a pas besoin de faire cette séparation, d'autant qu'il se fonde sur le principe (dicté dans l'un des versets coraniques) qui prévoit la nécessité de composer et d'interagir avec l'autre même s'il porte des idées contraires, et ce pour parvenir à la concorde et à des relations positives avec l'autre, quelle que soit sa religion, voire même s'il est mécréant.
C'est le principe de l'égalité dans la coexistence avec l'autre. Mais cela ne remet pas en cause la sincérité de l'initiative prise par le parti qui a été décidée afin de rassurer les tenants de la laïcité, que ce soit sur le plan interne ou externe. Il s'agit d'un cheminement qui est en harmonie avec l'essence même de la religion même si, théoriquement, il va à l'encontre du principe de l'imbrication entre politique et religion.

Comment cette séparation se traduira-t-elle en pratique ?
Concrètement, le parti vaquera aux questions purement politiques et la prédication sera du ressort des associations civiles. Les changements au niveau politique se sont d'ailleurs traduits bien avant le congrès d'Ennahda, par le biais de la refonte de la Constitution et des nouveaux principes fondateurs édictés dans le texte et avalisés par les islamistes également. Aujourd'hui, la politique d'Ennahda est celle de l'ouverture à toutes les composantes de la scène politique, y compris l'opposition. Le parti est plus que jamais disposé à un système de partage du pouvoir, et par conséquent des responsabilités. Il est désormais convaincu de l'idée que la gouvernance comporte dans son sillage plus d'échecs que de réussites, notamment face aux défis et aux attentes des citoyens. D'où la nécessité de mettre à l'œuvre les efforts cumulés de toutes les parties.
L'initiative d'Ennahda a été possible grâce au nouveau climat de liberté qui prévaut actuellement et qui permet aux différentes parties d'interagir entre elles et de débattre de ces idées de manière sereine. D'où la liberté avec laquelle s'expriment les théoriciens et les intellectuels en Tunisie, notamment au sein d'Ennahda.

Cette « ouverture » n'est-elle pas contestée par un courant plus conservateur au sein du parti ?
En effet, ces idées ne sont pas partagées par tout le monde. Il ne faut pas oublier que ce processus est encore à ses débuts. Les doutes ou les appréhensions peuvent venir de l'intérieur du parti comme de l'extérieur. Mais ce qui est positif, c'est que ce nouveau mode de pensée est en train de se développer rapidement sous l'impulsion du chef du parti, Rached Ghannouchi.

Que fait Ennahda pour essayer de séparer son image de l'islamisme radical et éviter l'amalgame ?
Ce qui est demandé à l'ensemble des musulmans aujourd'hui, c'est une évolution intellectuelle qui doit se faire de l'intérieur et à partir de notre perception du texte coranique. Si aujourd'hui l'islam dit modéré souhaite absorber les mouvements radicaux, il se doit de les inciter au retour aux fondamentaux du texte pour leur montrer les erreurs d'interprétation du texte, par exemple en ce qui concerne les questions de liberté et d'égalité comme valeurs universelles, et la relation entre religion et coexistence avec l'autre.
Il faut savoir que le respect et la foi véritable ne peuvent s'épanouir que dans un climat de liberté, entendue comme une libération de l'oppression, de la dictature mais aussi des pressions sociales et économiques. Lorsque je dis Allah Akbar, je dois d'abord être rassasié. Notre devoir à tous aujourd'hui, y compris au sein d'Ennahda, c'est de tenter de pousser vers cette évolution. Il faut inciter ces groupes – que je qualifie de forces du désespoir – qui se trouvent en « exil » (Ghourba) par rapport à leur religion, à cette réflexion. L'islam ne saurait devenir un fardeau pour l'homme et un obstacle à sa dignité. Le plus grand danger est, encore une fois, l'ignorance. L'issue réside dans la coalition des énergies positives contre le mal et l'ignorance.

 

 

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Tiraillée entre l'image négative d'un pays-réservoir de jihadistes et celle d'une démocratie qui tâtonne et s'interroge, la Tunisie offre toutefois par sa stabilité relative un exemple de réussite postrévolutionnaire vanté par nombre d'analystes politiques.
Alors que le pays se trouve à un tournant majeur de son histoire où se forgerait l'embryon d'une synthèse entre islam politique...

commentaires (1)

La Tunisie , comme la Turquie , paye le prix d'avoir, à un moment de son histoire , flirté avec les bactéries wahabites . C'est difficile de s'en défaire , mais il faut le faire quand même ...

FRIK-A-FRAK

20 h 02, le 27 juillet 2016

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Commentaires (1)

  • La Tunisie , comme la Turquie , paye le prix d'avoir, à un moment de son histoire , flirté avec les bactéries wahabites . C'est difficile de s'en défaire , mais il faut le faire quand même ...

    FRIK-A-FRAK

    20 h 02, le 27 juillet 2016

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