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Liban - Patrimoine

À Gemmayzé, la fin d’une époque

Trois rues de Gemmayzé. Trois personnes qui racontent la disparition progressive du vieux Beyrouth.

Le vieux carrelage et la vieille cheminée utilisée comme espace de rangement sont là depuis 1945.

Rue Gouraud, non loin du poste de gendarmerie de Gemmayzé : l'épicerie Kiamé a ouvert ses portes en 1954. Elle avait connu de vrais moments de gloire. Ses nombreuses vitrines donnant sur deux rues en témoignent. À l'intérieur, toutefois, la plupart des étagères sont vides. « Ce n'est pas que nous sommes en rupture de stock, mais nous n'avons plus de clients. Les années de vaches maigres ont commencé avec l'ouverture des supermarchés. Maintenant, plus personne ne vient chez nous, à part quelques ouvriers qui achètent des boîtes de conserve bas de gamme et du pain ou encore des passants qui prennent de l'eau ou du soda », raconte, un brin d'ironie dans la voix, Joseph Kiamé. D'ailleurs, il vous prend à témoin quand une famille de réfugiés syriens ou un groupe d'ouvriers étrangers entre dans le magasin pour acheter pain ou conserves.

« Nous vendions du fromage français, du jambon, de la mortadelle, toutes sortes de charcuteries et de produits laitiers. L'un de nos frigos faisait 2 X 3 mètres. Regardez. Les deux trancheuses de charcuterie, nous les avons mises sous plastique. Vous voyez les étagères vides ? Elles étaient en permanence remplies de marchandises. Nous faisions des livraisons aux magasins et aux maisons alentours. Nous avions trois employés », se rappelle-t-il.
« Les choses ont commencé à changer avec la guerre, en 1975, avec les premières balles et les premiers bombardements. Cela ne s'est pas amélioré depuis... Aujourd'hui, presque tous les anciens habitants du quartier sont partis et les nouveaux ne font pas leurs courses chez nous », observe Joseph Kiamé.


(Lire aussi : À Gemmayzé, une épicerie fait de la résistance)

 

« Gemmayzé s'est éteinte »
Rue Boutros Dagher, perpendiculaire à la rue Gouraud : Élias Stephan vend, dans une échoppe, des billets de loto et de loterie, de l'eau, du jus, des sodas, de petites bouteilles d'alcool, des cigarettes et quelques chocolats.
Il habite non loin de là, à Mar Mikhaël. Il a pratiquement grandi dans ce magasin. « Mon père y avait ouvert une sandwicherie. C'était en 1945. Regardez, les lieux n'ont pas changé », dit-il, montrant d'un geste de la main une cheminée qu'il a convertie en espace pour rangement : « C'est là que mon père faisait le méchoui. » Élias dévoile ensuite un lavabo derrière la porte d'entrée, en faisant observer que du temps de son père, il y en avait deux. « Les murs non plus n'ont pas changé. Le carrelage est le même depuis 1945 », poursuit-il.

Le père d'Élias Stephan, que tous les habitants du quartier appelaient « Abou Élias », vendait des sandwiches de viande grillée, des falafels, du foul (fèves) et du hommos. « Quand j'étais petit, je venais l'aider. Je passais au mortier le foul et le hommos. Ça m'amusait d'être là. La sandwicherie ne désemplissait pas », se souvient Élias dont le père est décédé en 1990.

Quelques mois plus tard, Élias a transformé la sandwicherie en magasin de vente de matériel électrique : lampes, prises, fils...
« Avec le boom qu'a connu le quartier et l'ouverture de pubs et de restaurants, les anciens habitants ont commencé à partir. Je n'avais plus de clients. J'ai donc de nouveau réaménagé les lieux, devenus une toute petite épicerie qui vend notamment des cigarettes et des boissons aux noctambules », raconte-t-il.
« Gemmayzé s'est éteinte et ses habitants sont partis. L'immeuble qui abrite le magasin a été vendu et on ne sait pas s'il va être restauré ou démoli. En tout cas, nous serons expulsés », lâche Élias.

(Lire aussi : À Gemmayzé, un nouveau « concept store » pour booster l’industrie créative)

 

« Je ne connais plus personne et plus personne ne me connaît »
Rue Mar Antonios, perpendiculaire à la rue Boutros Dagher : Élie Gholam, Beyrouthin par excellence, tient un studio photo qu'il a dû déménager il y a une quinzaine d'années de la rue Gouraud. Il avait été expulsé à l'époque de son établissement et une tour a poussé à la place du vieux bâtiment qui abritait le studio. « Quand je venais à pied, de chez moi à Rmeil, jusqu'à Gemmayzé, je passais une heure dans la rue, à saluer les gens et à prendre un café ici ou là. Maintenant, je ne connais plus personne et plus personne ne me connaît. Les épiceries et les petites sandwicheries ont disparu. C'est l'effet de la mondialisation. On va au supermarché et dans les chaînes de restaurant », explique-t-il.

« Les habitants ne sont plus les mêmes. Ceux qui ont grandi ici n'ont pas les moyens, une fois adultes et mariés, de s'installer dans le quartier, devenu trop cher. Beaucoup d'anciens locataires sont partis après avoir été indemnisés. Ils ont acheté des appartements au Mont-Liban, les prix étant exorbitants en ville. Il y a maintenant les nouveaux venus qu'on ne connaît pas. Il y a aussi tous ces Syriens, ouvriers et réfugiés installés à plusieurs dans des appartements situés dans des bâtiments croulants. Je pense qu'ils sont désormais bien plus nombreux que nous, les vieux habitants de Beyrouth », se lamente-t-il encore.

 

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