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Nos Lecteurs ont la Parole - Georges H. MALLAT

Un parapluie militaire pour les sites historiques

Pour protéger les chefs-d'œuvre artistiques du déroulement des batailles militaires sur le continent européen, le président Roosevelt avait formé vers la fin de la Seconde Guerre mondiale une unité spéciale de l'armée américaine dont la mission était d'identifier, de suivre et d'intercepter ces chefs-d'œuvre. Si nous avons la chance d'apprécier aujourd'hui certaines de ces merveilles dans les musées d'Europe c'est en grande partie grâce à cette initiative, ainsi qu'à d'autres dont notamment les actions du directeur des musées nationaux, Jacques Jaujard, qui avait organisé l'évacuation de plus de 4 000 trésors du Louvre, et de Rose Valland, conservatrice des musées nationaux, qui avait participé au sauvetage puis à la récupération de près de 45 000 œuvres d'art volées par les nazis. C'est cette action coordonnée de la Résistance française avec les armées et aviations alliées qui avait permis à tant de chefs-d'œuvre d'éviter une fin que d'autres ont connue lors de cette guerre et dont beaucoup restent à ce jour introuvables.
Inutile de rappeler que cette même aviation alliée, à laquelle s'ajoutent les Russes, ne cesse de survoler actuellement, et peut-être pour longtemps encore, le théâtre des opérations d'une guerre qu'il serait bon d'appeler dorénavant la guerre du Levant. Cette guerre particulièrement violente contre toute trace, toute mémoire, tout vestige et tout monument qui évoque des croyances religieuses, civilisationnelles ou culturelles. Les plus grands adjectifs sont permis : barbarie, ignorance, obscurantisme – mais même les plus grandes paroles ne sauraient préserver ce grand héritage historique de la menace sans une action méthodique et concertée. Car si le pouvoir politique des années 1940 avait élevé la préservation du patrimoine culturel au même rang que les hautes priorités politiques et militaires, rien n'empêche que la génération actuelle de politiciens et militaires dans le monde ne puisse relever le même défi. Certes, et même pour des superpuissances, le coût d'une protection de ces sites serait exorbitant tant au niveau humain, militaire que financier ; mais la disparition silencieuse d'un patrimoine auquel s'identifie parfois l'humanité toute entière touchera longtemps les fondements et principes même des grandes démocraties avec le risque d'un coût indirect bien plus élevé que l'engagement direct.
La préservation de l'héritage culturel et religieux a toujours été un des axes phares des guerres. Il suffit d'évoquer le cas de Jérusalem dont les vestiges religieux n'ont jamais été menacés d'éradication et même qu'ils furent préservés par ses gouvernants successifs ; ou le cas de l'Alhambra en Espagne, ou même le cas des pyramides d'Égypte. Mais force est de constater que depuis la destruction en 2001 des statues de Bamiyan par les talibans en Afghanistan, cette vague d'éradication civilisationnelle n'a toujours pas perdu de sa force et aucun État ne saurait se croire à l'abri d'une telle menace. Les historiens mesurent amèrement jusqu'à ce jour la destruction de la Bibliothèque d'Alexandrie, qui regroupait, dit-on, tout le savoir d'un monde antique dont l'Europe de la Renaissance devra s'inspirer dans sa quête de renouveau humaniste.
C'est pourquoi la naissance tant espérée d'un nouveau Levant ne saurait se permettre la lourde dette d'une éradication culturelle et archéologique d'un espace historiquement si fertile.

Georges H. MALLAT
Avocat à la cour

Pour protéger les chefs-d'œuvre artistiques du déroulement des batailles militaires sur le continent européen, le président Roosevelt avait formé vers la fin de la Seconde Guerre mondiale une unité spéciale de l'armée américaine dont la mission était d'identifier, de suivre et d'intercepter ces chefs-d'œuvre. Si nous avons la chance d'apprécier aujourd'hui certaines de ces...

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