Le corps arabe se devine et se donne à voir, actuellement et jusqu'au 1er août, au cœur des bâtiments du Dodge Hall du campus de l'Université américaine de Beyrouth, ainsi qu'au musée Rose and Saheen Saleeby de Hamra.
L'exposition The Arab nude : the artist as an awakener, mise en place par les conservateurs Octavian Esanu et Kirsten Scheid, met en perspective des peintures où les corps se découvrent, des sculptures où les courbes se dessinent et des coupures de presse où les traits se dévoilent. Les figures mystiques de Gibran répondent aux silhouettes sensuelles de Moustapha Farroukh. Lever les voiles des tabous et des tissus est, pour Octavian Esanu, un acte moderne en essence : il a permis aux artistes sous le mandat français d'émanciper les corps et d'éveiller les esprits. Cette éclosion du printemps nu des peintres arabes est un combat intellectuel contre les impérialismes, européens et ottomans – impérialismes politiques, mais également des pensées et des mœurs. Le corps devient la toile de fond des contestations, le canevas des émancipations, l'anatomie des paradoxes sociaux à fleur de peau : les silhouettes oscillent entre libération effrontée de la femme et célébration d'une pudeur sensuelle, entre panarabisme réconciliateur et nationalisme affirmé.
Se mettre à nu, c'est se découvrir entièrement et questionner son identité d'homme, de femme, de citoyen. C'est également faire tomber le masque des conventions et les costumes des faux-semblants qui hantent et pèsent sur les foules arabes, engagées et sentimentales. Les motivations politiques des artistes et la soif d'idéal des intellectuels entrent en résonance avec le caractère universel de ce questionnement identitaire et intime. Lorsqu'il pénètre dans la salle, le spectateur ne se sent pas voyeur : la volupté, la délicatesse, l'érotisme et l'impudence qu'il dévisage sont ceux de ses propres aspirations, et soudain c'est son corps à lui qu'il contemple en miroir. Il réalise que cette émancipation a été gravée dans la chair des silhouettes arabes par chaque coup – de pinceau ou de marteau, d'éclat ou de crayon – de ces intellectuels, sculpteurs et peintres, qui lui enjoignent maintenant en chœur de prendre la relève : désormais, son corps dit plus que leurs courbes.
*« The Arab nude : the artist as an awakener », jusqu'au 1er août, à la galerie du Dodge Hall, American University of Beirut.
Pour mémoire
Micheline, Fatmé et les filles d’Ève de Dikran Tamirian
commentaires (3)
Je souhaiterais que le nu "L'Origine du monde" de Gustave Courbet, réalisé en 1866 à la demande de son commanditaire le diplomate turco-égyptien Khalil-Bey (1831-1979) soit exposé à Beyrouth. Il est exposé au musée d'Orsay depuis 1995, visité par des millions d'amateurs venus de tous les coins du monde y compris des pays arabes.
Un Libanais
16 h 32, le 29 juin 2016