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Liban - Tribune

Municipales : quelles motivations derrière le vote des électeurs ?

Les électeurs se sont exprimés dans les urnes, ou bien se sont abstenus de le faire, dans les grandes villes du moins. Quelles étaient leurs motivations ? C'est par l'idée de la mutation qu'il faudrait initier une telle réflexion. Ces élections municipales interviennent à point nommé pour nous rappeler que les adeptes de certains courants idéologiques affirment que l'État régi par la Constitution actuelle est illégitime, dans la mesure où il ne se conforme pas à la loi divine. Il faut donc le vider de sa substance en l'amputant de ses attributs souverains et en déplaçant le pouvoir réel vers les mains d'une caste cléricale non élue.

C'est ainsi qu'on en fait moins un État qu'une fédération de municipalités, mal gérée de surcroît.
Il est donc paradoxal, mais du reste fondé, de soutenir que le prochain scrutin que l'on insistera à qualifier de « législatives » sera en fait, lui aussi, une forme de scrutin municipal.
L'existence d'une formation politique disposant d'une puissante milice, qui ne reconnaît pas la suprématie de l'ordre constitutionnel établi ni ses mécanismes, qui rejette l'État dont cet ordre procède et qui légitime l'usage de la force armée pour mater des concitoyens ayant des opinions différentes, a réduit la politique a une empoignade dont les gagnants peuvent prétendre s'arroger temporairement les prérogatives qui sont, à proprement dire, ceux d'un maire. Mais sans pouvoir gouverner.
On ne relèvera pas l'État, on n'en fera autre chose qu'une fédération municipale glorifiée, que lorsque les Libanais s'uniront pour protester contre cette dérive.
N'ayant pu le faire par la voie d'élections législatives pour cause de prolongation du mandat de la Chambre, les électeurs ne l'auront pas davantage fait à l'occasion des municipales. Contre la grande dérive de l'État, l'électeur aura, au final, peu contesté.

 

(Lire aussi : Dynamique électorale au Liban : ce que les municipales ont démontré)

 

Contrairement aux municipales de 2010, l'électeur n'a pas placé le débat sur le plan identitaire, mais, là où il l'a pu, sur le plan économique et social.
Il reste cependant beaucoup à faire, d'une manière générale, pour assurer l'intégrité du scrutin.
Les mesures visant à protéger les électeurs contre la captation ou l'intimidation demeurent insuffisantes. On soudoie à tour de bras sans trop craindre la répression. Et l'on cherche aussi à être soudoyé.
Pourtant, quelques mesures simples auraient un effet démesuré sur la qualité du processus électoral. Le bulletin de vote pré-imprimé, l'agrégation des bulletins exprimés dans l'ensemble des urnes d'un bureau de vote avant le comptage, un meilleur aménagement des bureaux de vote, un contrôle plus sévère et crédible du financement des campagnes électorales, des fonctionnaires mieux formés. Voilà quelques exemples.

Or les mêmes causes produisent les mêmes effets.
Quelle que soit la puissance de la volonté de changement, elle sera défaite, dans n'importe quel scrutin, par deux réalités. D'abord, que les élections sont par définition un acte de contestation qui divise l'électorat en deux blocs au moins, qui seront généralement de poids plus ou moins égal. Ensuite, l'intimidation et l'achat de voix feront invariablement pencher les électeurs les plus vulnérables dans la direction d'un des deux blocs.
C'est donc cette masse d'électeurs vulnérables qui, souvent, décide d'une élection. Il faut en prendre conscience. Celle et ceux qui ont mené des élections auront ainsi bien des histoires à raconter sur les professionnels du racket électoral. Ceux qui en font un métier. Il faut donc réfléchir sérieusement aux moyens de protéger le processus électoral. C'est là un rôle important, que s'est assignée la société civile, laquelle n'est cependant pas encore suffisamment mobilisée. Le changement en dépend largement.

Mais il ne faut pas se leurrer. Les élections municipales sont d'abord des élections politiques. C'est-à-dire qu'elles obéissent à une logique politicienne. Cette logique tend à considérer les municipalités et les fédérations comme des structures de soutien et d'appui aux partis, courants ou hommes politiques qui patronnent les listes. Lorsque la logique politicienne cède, elle le fait au profit d'une logique de familles. Dans les deux cas, la motivation première est de renforcer les forces politiques ou familles amies et de miner les forces politiques ou familles adverses. Le développement, la qualité de vie, l'esprit de communauté, l'environnement ; tout cela peut passer en second. Les programmes sont rarement au centre d'une élection municipale. Quand ils sont soumis, ils tendent à être mal construits, rédigés à la va-vite, pauvrement détaillés et peu novateurs. Quand ils sont débattus, ils le sont superficiellement et à la hâte. Les dernières élections ont labouré le même sillon : pas de grande mutation perceptible au niveau de l'électorat.

Il reste à constater le paradoxe suivant : d'une manière générale, ce sont les municipalités dans lesquelles les coalitions politiques les plus larges ont été construites qui ont favorisé l'émergence de listes à surprises. Plus les coalitions politiques ont été larges, et plus elles ont été contestées. On peut y voir un signe encourageant. Mais, dans un climat de confrontation entre forces politiques, les contestations auraient-elles autant porté? L'on peut légitimement en douter.

Jawad BOULOS
Ancien député

 

 

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