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Résidences corsées

Une maison aux nombreuses demeures. Tel est le titre, on ne peut plus éloquent, du magistral essai que publiait en 1990 l'historien Kamal Salibi pour déplorer les fractures nationales de notre pays : cela à la lumière des liens noués au fil des siècles entre les diverses communautés libanaises et les puissances étrangères. Bien entendu, la situation gagne en complexité quand, à l'intérieur de l'une de ces demeures libanaises, les pensionnaires décident de faire chambre à part. Et elle se complique davantage encore quand c'est la maison mère, la puissance protectrice elle-même, qui, soudain, abrite dans ses murs plus d'une demeure.

Ainsi, il n'est question, depuis quelque temps, que de la sourde lutte pour le pouvoir que se livrent les deux princes Mohammad, en Arabie saoudite : le neveu et le fils du vieux roi Salmane, qui occupent le premier et le deuxième rang dans la ligne de succession sur le trône. La cohésion proverbiale de la famille des al-Saoud en prend naturellement un sérieux coup ; et la tentation est grande de voir dans ce remue-ménage sans précédent une des causes des déboires que connaît, au même moment, la maison Hariri.

Naguère enfant chérie du royaume, celle-ci n'y compte plus seulement des amis. Depuis des années, l'empire Saudi Oger accumule les créances en souffrance, sa trésorerie est à sec, ses employés attendent d'être rémunérés et certains d'entre eux viennent même de saccager le bureau de Saad Hariri à Riyad : incident d'un genre rarissime, dans un pays où l'ordre public est préservé d'une main de fer.

Il y a quelques jours, le ministre de l'Intérieur Nouhad Machnouk, un des piliers du courant du Futur, faisait sensation en attribuant à de malheureuses pressions saoudites, remontant au règne du roi défunt Abdallah, plus d'un de ces gestes de conciliation, aussi stériles qu'impopulaires, qu'a été amené à faire, ces dernières années, Saad Hariri : notamment l'humiliante accolade que ce dernier donnait à Bachar el-Assad en 2010, ainsi que le soutien que les chancelleries l'auraient prié d'apporter à la candidature du député Sleiman Frangié, pourtant ami notoire du dictateur syrien, à la présidence de la République.

Ce service rendu va-t-il s'avérer payant ? Mais est-ce vraiment là un service absolument désintéressé, à l'heure où les ambitions plus ou moins déclarées des apparatchiks locaux paraissent faire écho aux bras de fer et autres règlements de comptes qui ont lieu en Arabie ? Encore plus spectaculaire – et significatif – aura été, sur ce plan, le triomphe électoral réalisé, dans le bastion sunnite de Tripoli, par Achraf Rifi. Car non seulement le frondeur ministre démissionnaire de la Justice a battu à plate couture une redoutable coalition réunissant les forces politiques établies ; non seulement il se pose en véritable dépositaire du legs politique laissé par le père fondateur, mais il trouve moyen de prêcher au fils et successeur de celui-ci le retour à l'orthodoxie haririenne !

L'annonce, hier, de prochaines élections au sein du courant du Futur est révélatrice du malaise qui frappe cette formation. Par son intransigeance face au Hezbollah et au régime syrien, le général Rifi fait certes barrage au glissement, vers les groupes islamistes, d'une part notable de sa communauté qui reproche à Saad Hariri ses nombreuses et improductives concessions. Ce faisant, il ne manque pas cependant d'affaiblir ce qui reste, jusqu'à nouvel ordre, le porte-étendard d'un sunnisme modéré et profondément attaché au principe de la parité islamo-chrétienne.

C'est plus d'une demeure libanaise qui est donc concernée par les réaménagements et chantiers de ravalement en cours.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Une maison aux nombreuses demeures. Tel est le titre, on ne peut plus éloquent, du magistral essai que publiait en 1990 l'historien Kamal Salibi pour déplorer les fractures nationales de notre pays : cela à la lumière des liens noués au fil des siècles entre les diverses communautés libanaises et les puissances étrangères. Bien entendu, la situation gagne en complexité...