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Moyen Orient et Monde - Crise migratoire

Les réfugiés face à la peur de tomber dans l’oubli

De nouveaux défis attendent tous ceux qui ont été évacués du camp improvisé d'Idomeni, leur séjour en Grèce s'éternisant contre leur gré.

Une famille attend patiemment dans sa tente pendant que la pluie tombe sur le camp improvisé d’Idomeni près de la frontière gréco-macédonienne (22 mars). Photo archives AFP

« La traversée des Balkans pour l'immigration clandestine n'existe plus », avait affirmé le 9 mars dernier le Premier ministre Slovène, Miro Cerar, après la décision de la République de Macédoine et d'autres pays (notamment la Serbie et la Croatie) de fermer leurs frontières aux réfugiés souhaitant se rendre en Europe. Le blocage de la route des Balkans, qui en 2015 avait vu passer près d'un million de personnes, avait eu comme effet de voir quelque 36 000 personnes bloquées en Grèce au début du mois de mars. Parmi elles, environ 13 000 personnes restent piégées entre la frontière macédonienne et Idomeni, un village de 150 habitants. Ce point de transit a été vite transformé en camp improvisé, rassemblant tous les migrants ne constituant pas des « exceptions humanitaires ».

Vivant dans des conditions inhumaines, ces « refoulés » (parmi lesquels un grand nombre d'enfants et de mineurs non accompagnés) s'appuyaient principalement sur l'immense soutien fourni par des volontaires et des membres d'organisations humanitaires. Cependant, l'aide n'est pas suffisante, alors que des incidents violents ont eu lieu dans le camp sans toutefois entraîner l'intervention de la police grecque. « C'est la première fois que nous nous trouvons face à une telle situation et nous ne possédons pas le savoir-faire nécessaire pour pouvoir répondre efficacement aux besoins existants. Par ailleurs, malgré l'existence de plusieurs ressources disponibles, celles-ci restent souvent inexploitées », souligne Ioanna Theodorou, fondatrice de Campfire Innovation, une organisation qui cherche à développer des solutions durables à la crise des réfugiés.

L'évacuation du camp d'Idomeni s'est réalisée fin mai sans résistance particulière. Pendant l'évacuation, « aucun journaliste n'a eu le droit d'être présent, tandis que seulement cinq membres de chaque organisation humanitaire y étaient autorisés, rendant l'accès à des services de base très limité. En d'autres termes, le gouvernement avait rendu le camp intentionnellement invivable pour inciter les gens à partir », témoigne Tania Karas, journaliste indépendante couvrant la crise des réfugiés depuis la Grèce. Malgré tout, beaucoup de migrants et réfugiés refusaient de monter à bord des bus censés les amener aux nouvelles installations, dans l'espoir que la frontière allait ouvrir de nouveau. Par ailleurs, « ils se méfiaient des autorités et ne voulaient pas croire que les camps vers lesquels ils étaient redirigés allaient être meilleurs. Ils étaient également conscients de l'avantage symbolique du camp d'Idomeni dont l'emplacement et la forte médiatisation les empêchaient de tomber dans l'oubli », souligne Tania Karas, s'étant elle-même rendue plusieurs fois à Idomeni. Ainsi, parmi les 8 400 réfugiés et migrants, environ la moitié n'est jamais arrivée aux nouveaux centres d'accueil. D'après elle, « beaucoup de personnes se sont dirigées vers des villes ou d'autres camps, vers la forêt ou même vers des stations d'essence et des terrains de stationnement à proximité ».

(Lire aussi : Migrants : près de 900 morts la semaine dernière, et une nouvelle image choc "pour alerter l'UE")

 

Des réfugiés détenus dans des usines abandonnées
C'est vers des usines abandonnées, de vieux entrepôts et d'anciennes zones industrielles dans plusieurs régions au nord de la Grèce que les réfugiés ayant accepté de quitter Idomeni ont été évacués. « Certaines de ces nouvelles installations sont loin d'être conformes aux critères d'une vie décente et humaine. Bien qu'il existe dans certains cas des possibilités d'amélioration, dans d'autres cela est impossible... » souligne Stella Nanou. Des volontaires s'étant rendus sur les lieux les décrivent comme insalubres, ne possédant souvent ni toilettes ni eau potable, sans parler des soins médicaux inexistants.
Face à de telles conditions, il est nécessaire de s'interroger sur la capacité de l'État grec et de l'Union européenne à relever collectivement les défis liés à la crise des réfugiés. « Il est nécessaire que l'aide parvienne à ceux qui en ont le plus besoin, d'une manière efficace et organisée », affirme Stella Nanou, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) à Athènes. Selon Ioanna Theodorou, l'évacuation des réfugiés vers des lieux dont les conditions sont similaires, sinon pires, ne fait qu'aggraver le problème : « Plus les camps sont dispersés, plus il sera difficile de les identifier et donc de répondre aux besoins réels. Le seul avantage, c'est qu'ils auront accès, à travers leur enregistrement, à une assistance juridique. »


(Lire aussi : Bientôt un camp de réfugiés à Paris)

 

Jusqu'à présent, pourtant, les réfugiés ont été à peine informés de leurs droits et obligations, ainsi que de leurs trois options : la demande d'asile, de réunification familiale ou de réinstallation. Comment d'ailleurs procéder à de telles demandes quand celles-ci doivent être faites à travers des appels Skype depuis des camps sans accès Internet ? « Même en mettant de côté les problèmes de connexion à Internet, le service d'asile a une capacité très limitée quant à l'enregistrement des demandes. On fait déjà des efforts pour accroître son personnel », affirme Stella Nanou. À cet égard, la porte-parole du HCR a annoncé le lancement d'un nouveau programme, destiné à préenregistrer les demandes d'asile à travers la création d'une structure qui se déplacera elle-même dans les nouvelles installations. À travers ce programme, censé débuter cette semaine, les demandeurs d'asile obtiendront la carte de séjour temporaire destinée aux demandeurs de protection internationale, et auront aussi accès à des services de base (services médicaux, programmes d'éducation, etc.). Ils seront par la suite informés d'une date précise de rendez-vous avec le service d'asile afin de finaliser l'enregistrement de leur demande.

En quête de solutions durables
Entre-temps, le flux des migrants en provenance de la Turquie continue à diminuer depuis l'entrée en vigueur fin mars de l'accord entre Ankara et l'UE, censé barrer la route migratoire européenne à travers le renvoi de tous ceux qui arrivent à partir du 20 mars en Grèce, y compris les demandeurs d'asile syriens. Selon Frontex, l'agence chargée des frontières extérieures de l'UE, les arrivées en avril ont chuté de 90 % en Grèce où se trouvent désormais environ 55 000 réfugiés. Toutefois, l'accord de Genève interdit le renvoi des réfugiés dans des pays n'étant pas considérés comme sûrs, et de son côté, Amnesty International accuse la Turquie d'avoir forcé des milliers de Syriens à rentrer dans leur pays ces dernières semaines, au mépris du droit international.

 

(Pour mémoire : En France, des migrants jugés pour avoir tenté un passage en force vers l'Angleterre)

 

La route des Balkans étant fermée, les migrants « irréguliers » se tournent ainsi vers la route, plus dangereuse, entre l'Afrique du Nord et l'Italie. Près d'un millier de personnes ont perdu la vie la semaine dernière lors de la traversée de la Méditerranée. « Il est nécessaire de créer des alternatives légales pour les personnes faisant face à la persécution, et plusieurs propositions existent déjà, comme par exemple le programme de réinstallation du HCR dans des pays tiers. On pourrait également rendre plus flexibles le programme de réunification familiale et l'émission de visas d'études ou de travail... » affirme Stella Nanou. D'après elle, de telles mesures sont nécessaires puisque « si l'on essaye de fermer la porte à une personne désespérée, elle ouvrira la fenêtre. Si l'on ferme la fenêtre, elle creusera un tunnel, tout simplement parce qu'elle ne lutte pas juste pour une meilleure vie, mais pour sa survie ». Elle souligne d'ailleurs qu'« il ne faut pas oublier que la grande majorité des réfugiés ne se trouve pas en Europe. Par exemple, les réfugiés syriens se sont déplacés vers des pays voisins comme la Turquie, le Liban, la Jordanie, qui se trouvent sous une très grande pression. Il faudrait donc tout d'abord aider ces pays à gérer la crise des réfugiés et changer de point de vue quand on parle de "flux de réfugiés" se dirigeant vers l'Europe ».

De leur côté, ceux qui ont eu la « chance » de passer les frontières sont appelés à faire face à une autre sorte de guerre et à lutter pour préserver leurs droits et leur dignité. Soutenus durant des mois par les efforts héroïques d'organisations humanitaires et de volontaires grecs et étrangers, ils restent désormais seuls face à l'inconnu, mais surtout seuls face à la peur de tomber dans l'oubli jusqu'à ce que leur sort soit décidé.

 

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