Quarante-huit heures. C'est le temps de répit que le régime et les rebelles ont offert aux Alépins, en acceptant de conclure une trêve après d'intenses pressions diplomatiques menées par Washington et Moscou. Après deux semaines de combats ayant fait plus de 280 morts, la ville plurimillénaire profitait ainsi hier d'un certain retour au calme. Plusieurs considérations amènent toutefois à penser que cette accalmie pourrait être de très courte durée.
La bataille d'Alep est d'une importance stratégique majeure pour toutes les parties au combat. Plus qu'aucune autre bataille, elle est un épitomé des cinq ans de guerre qu'a connus la Syrie. La communauté internationale est complètement absente et ce sont les civils qui souffrent le plus. Surtout, tous les grands acteurs du conflit y jouent un rôle important : le régime et ses alliés, qui contrôlent l'ouest de la ville et qui mènent une offensive pour ceinturer les zones occupées par les rebelles et pour couper les routes d'approvisionnement qui relient ces zones à la Turquie ; les « rebelles modérés » qui contrôlent l'est de la ville et qui tentent de résister à la triple offensive des forces du régime, des Kurdes du PYD (Parti de l'Union démocratique) et des jihadistes de l'État islamique (EI) ; le Front al-Nosra (branche syrienne d'el-Qaëda en Syrie) qui profite de cette bataille pour gagner de l'influence dans la région d'Alep où il n'est pas le plus important ; les Kurdes du PYD qui tentent de relier le canton d'Afrin à ceux de Kobané et de Jazira pour disposer d'une zone kurde unifiée à la frontière syro-turque; l'EI qui essaye de grappiller du terrain aux rebelles et qui défend ses positions dans les campagnes au nord-est d'Alep, notamment la ville de Dabiq où doit se dérouler, selon les jihadistes, la dernière bataille avant l'apocalypse.
(Reportage : Alep reprend vie après deux semaines de tueries)
Moscou maître du jeu
À ces acteurs, plus ou moins locaux, s'ajoute le jeu des grandes puissances qui participent directement ou non aux combats. Les Russes, les Iraniens et leurs affranchis libanais, afghans, pakistanais, irakiens sont en première ligne pour soutenir le régime. L'opposition peut compter sur le soutien des Saoudiens, des Qataris et surtout des Turcs pour qui la bataille d'Alep est d'autant plus importante qu'elle les concerne directement : il s'agit d'éviter que le régime, les Kurdes du PYD ou l'EI mettent la main sur la dernière zone aux mains des rebelles à la frontière turco-syrienne.
La position américaine est, pour sa part, nettement plus ambivalente. Le porte-parole américain des opérations contre l'EI, le colonel Warren, affirmait le 20 avril, soit avant le début des opérations, que la partie est de la ville était essentiellement occupée par le Front al-Nosra pour expliquer pourquoi Alep était exclue de la zone de cessation des hostilités. Une affirmation pas tout à fait exacte puisque d'autres groupes, comme Ahrar el-Cham, sont plus importants qu'al-Nosra dans cette zone – affirmation donc qui pouvait signifier que Washington ne s'opposait pas à une reprise des hostilités à Alep. Washington aurait pourtant, dans le même temps, fourni de nouveaux armements aux groupes rebelles et a critiqué à plusieurs reprises la reprise des hostilités.
(Repère : La bataille d'Alep : les dates clés depuis 2012)
Les Américains, dont la marge de manœuvre sur le terrain syrien s'est considérablement réduite depuis l'intervention russe en septembre 2015, ne semblent pas faire de la bataille d'Alep une priorité. Tout juste sont-ils prêts à fournir assez d'armes aux rebelles pour faire durer l'offensive du régime et pour éviter que le Front al-Nosra ne gagne davantage d'importance par rapport aux autres groupes. L'administration Obama continue de faire de la lutte contre l'EI et de la préparation de la bataille de Raqqa sa priorité en Syrie. On est loin du fameux plan B annoncé par le secrétaire d'État américain John Kerry au moment des dernières négociations de Genève.
Compte tenu de la passivité américaine, Moscou est le seul maître du jeu de la bataille d'Alep. La Russie, qui considère que cette bataille fait partie intégrante de la lutte contre le terrorisme, sait à quel point son issue peut être déterminante pour l'avenir de la Syrie. Si les rebelles perdent la partie est d'Alep, ils seront totalement isolés tant sur le plan militaire que diplomatique. S'il reprend la partie est de la ville, Bachar el-Assad se retrouvera une nouvelle fois renforcé et il sera encore plus difficile de négocier son départ. L'enjeu est vital pour les rebelles. Capital pour la Syrie. Primordial pour la crédibilité de la communauté internationale...
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Chez cet aSSaSSin Monchâr, la conscience n'est qu'un mot à l'usage des lâches !
15 h 05, le 06 mai 2016