Alors qu'il lui est demandé de gérer une tâche écrasante – restaurer un patrimoine endommagé, assurer la préservation des sites et par conséquent la permanence de leur entretien, superviser des chantiers archéologiques, dresser l'inventaire des dépôts, pleins à craquer suite aux fouilles urbaines –, la Direction générale des antiquités souffre d'un manque de ressources humaines et de moyens financiers. Depuis la guerre de 1975-1990, la plupart des archéologues ont quitté le service pour enseigner dans des universités où ils perçoivent un traitement supérieur. Il ne reste aujourd'hui plus que huit archéologues et deux architectes pour couvrir le Liban et les fonctionnaires se comptent sur les doigts des deux mains.
C'est pour redonner du muscle à la politique du patrimoine archéologique que le ministre de la Culture Rony Araiji a élaboré quatre décrets approuvés en Conseil des ministres, qui fixent l'organigramme officiel de la Direction générale des antiquités (DGA).
La mise en application du premier décret a tout d'abord permis la nomination du directeur général de la DGA, Sarkis Khoury, et le recrutement de 21 nouveaux archéologues contractuels, d'un architecte-restaurateur, un ingénieur civil, un topographe, une bibliothécaire et archiviste, ainsi que trois fonctionnaires. Un effectif important par rapport à celui qui existait. Cependant, « le nombre reste insuffisant. On aurait encore besoin (au moins) du double. Mais en raison des salaires modiques, personne ne se présente », révèle le directeur de la DGA.
Par ailleurs, pour prévenir de nouveaux dommages envers le patrimoine, le ministre de la Culture relève que les fouilles obéiront désormais à « une réglementation claire et précise, qui prend en compte toutes les nouvelles méthodologies », soulignant que les conditions et les critères relatifs au démantèlement ou à l'intégration des vestiges mis au jour ont été définis. « Rédigé par une équipe de la DGA, le texte a été soumis, pour plus d'objectivité scientifique, aux responsables des départements d'archéologie de l'Université libanaise, de Balamand et de l'AUB, dont les commentaires ont été pris en compte », ajoute-t-il.
Une approche « pas agressive »
De même, un décret octroie à la DGA le droit de regard sur les collections archéologiques des particuliers. « D'après la loi libanaise et les conventions internationales, le Liban a l'obligation de dresser l'inventaire de son patrimoine archéologique », rappelle M. Araiji. « Or un grand nombre de pièces sont détenues par des particuliers. J'aimerais qu'elles soient déclarées à la DGA afin que celle-ci puisse établir sa liste, parfaire l'étude des sites et compléter leur histoire », explique le ministre. Il précise toutefois que loin des controverses de la fin des années 90, « notre approche n'est pas agressive. Nous ne sommes pas là pour saisir les pièces. Le décret ne prévoit pas de peine pénale. Ce n'est pas le but. Notre objectif est scientifique. À moins évidemment que l'objet n'ait été volé de l'un des musées ou de l'un des sites archéologiques inventoriés. Le principe de base de ce décret est d'établir un partenariat entre la DGA et le privé. Une campagne, étalée sur six mois, sera lancée pour éclairer les gens sur la procédure à suivre ». Le ministre rappelle également qu'il est « formellement interdit » de faire sortir les pièces archéologiques en dehors du pays. Sauf sous le contrôle de la DGA et ce, en vue d'une exposition à l'étranger.
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Il convient de signaler qu'en faisant connaître par une publication scientifique sa collection de 66 stèles funéraires phéniciennes, Jawad Adra a non seulement brisé le tabou, mais il a permis aux historiens d'alimenter leurs recherches sur les cimetières et la classe moyenne de Tyr dans la première moitié du premier millénaire avant J.-C. Une haute époque, qui est rarement documentée, selon les spécialistes.
La billetterie constitue un levier important de développement des ressources propres pour les musées créés dans les différentes régions. Or la DGA souffrait de l'enchevêtrement des prérogatives. Ce sont le ministère des Finances et la municipalité qui perçoivent les recettes d'entrée alors que l'entretien et la surveillance des lieux sont payés par la DGA. La loi 35/2008, dont le projet avait été déposé il y a 6 ans et relégué aux oubliettes, a été adoptée grâce à l'impulsion de M. Araiji. Désormais, cette fonction publique au budget rachitique (3,5 millions de dollars par an) pourra disposer de sa caisse sans passer par les formalités et les longues procédures administratives.
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Le mécénat et les robes de la façade
Pour surmonter ces difficultés, la contribution des États étrangers constitue un complément important de financement pour la préservation du patrimoine. Ainsi la restauration de la citadelle de Tripoli a été financée par l'AFD (Agence française de développement). Celle des fresques de la tombe de Tyr par le bureau de la Coopération italienne, qui entreprend également la restauration du temple de Bacchus à Baalbeck, de l'arc de triomphe à Tyr et de la citadelle de Saïda. L'Usaid est prêt à fournir les fonds pour la mise en valeur du temple de Faqra, mais attend l'accord du gouvernement libanais. La consolidation des citadelles de Chameh, près de Naqoura, et de Tebnine, sont également au programme, indique le ministre.
À titre d'exemple encore, ce sont de généreux mécènes, Antoine et Samia Méguerdiche, qui ont permis l'installation de l'application pour smartphone et du système audioguide du musée national. Grâce aussi à des donateurs, sa façade se vêtira de robes de lumière qu'elle dévoilera lors de grands événements : Indépendance ou célébrations des Journées mondiales, ou encore Coupes du monde. La conception du design est offerte par l'architecte Galal Mahmoud ; les équipements de l'éclairage, par Light box et la main-d'œuvre par la société Abnia, sans oublier la contribution financière de la Fondation du patrimoine. Le coût global du projet est estimé à 100 000 dollars.
Le ministère de la Culture a réussi, d'autre part, à contourner son dérisoire budget par une idée ingénieuse : toute institution ou fondation qui financera la restauration d'objets archéologiques aura le privilège de les exposer dans ses locaux. Le but de l'opération est de ressusciter des trésors dormant depuis des décennies dans les dépôts de la DGA. La Middle East Airlines a été la première à s'engager. Son espace Business Lounge exhibe 31 pièces archéologiques depuis décembre 2014 et pour un temps indéterminé (loi 834 datant du 23 octobre 2014).
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L'extension du musée
Les documents administratifs relatifs à la propriété du musée (le cadastre) ont été mis en règle. L'établissement est en effet construit sur quatre parcelles appartenant à la municipalité et à l'État. Il fallait donc transférer la propriété à la DGA pour obtenir le permis de construction de l'annexe du musée, approuvée le 19 septembre 2014 en Conseil des ministres. Financée par la fondation Nohad el-Saïd, conçue par le groupe Raëd Abillama Architects, elle comprend un rez-de chaussée et un sous-sol de 450 m² chacun. Le premier niveau intégrera une salle à usages multiples, qui servira à l'organisation d'événements culturels de tous genres, une cafétéria offrant une vue sur l'hippodrome, ainsi qu'un bar et une zone de sécurité. Le sous-sol comportera une seconde salle polyvalente et un dépôt pour accueillir les pièces de collection.
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