Rechercher
Rechercher

Campus - Mémoire de la guerre

Quand des étudiantes se mettent à l’écoute de demeures abandonnées

Dans le cadre d'un cours intitulé « Arts in Politics », trois étudiantes en master d'histoire à l'USJ se sont intéressées au sort de quelques-unes de ces demeures abandonnées qui continuent, en dépit d'un urbanisme galopant, de ponctuer le paysage libanais.

En emmenant les participants « au cœur de la mémoire individuelle et collective libanaise », Caterina, Élissa et Nada cherchent à « restructurer » leur rapport à la guerre. Photo prise dans une demeure abandonnée du quartier de l’Hôpital orthodoxe, situé dans l’ancien Beyrouth-Est

Caterina Belardi, Élissa Ghaoui et Nada Danach se passionnent toutes trois pour l'histoire de leur pays, mais également pour les questions d'identité – les deux premières sont binationales –, ou encore de mémoire. En abordant ces thématiques en marge du cours Arts in Politics, elles se sont aperçues que ce qui n'était au départ qu'un loisir, un « passe-temps du dimanche », pouvait trouver ici matière à s'incarner. Les trois étudiantes sont en effet amatrices d'« exploration urbaine », cette tendance qui consiste à s'intéresser aux espaces abandonnés des villes. Avec quelques amis, elles ont ainsi pris l'habitude de se promener le week-end en quête de maisons en ruine, susceptibles de receler des trésors historiques ou simplement d'incarner un passé figé. Concentré dans un premier temps au centre-ville, ce hobby s'est peu à peu étendu en périphérie de Beyrouth et jusqu'à d'autres communes du Liban. C'est ainsi que leur est venue l'idée d'organiser une série de visites en deux temps, non seulement au cœur de la capitale, mais également dans le sud du pays, d'où est originaire Nada.
Leur travail met principalement en opposition une demeure abandonnée du quartier de l'Hôpital orthodoxe, situé dans l'ancien Beyrouth-Est, et la résidence répertoriée au nom de Akar à Kantari, à Beyrouth-Ouest. La première est une maison oubliée, difficile d'accès bien que son balcon offre une vue imprenable sur le quartier du port. Envahie par une végétation luxuriante qui, en fin de compte, l'a relativement préservée des intrusions, elle regorge de vestiges témoignant tant du vécu quotidien d'une famille que de sa rupture soudaine : sommiers, armoires contenant encore quelques vêtements, des valises vides, journaux et magazines datés des années soixante-dix, en français ou en arménien, des reliques de vaisselle ou encore quelques flacons vides. À moitié détruite, ouverte aux quatre vents, la seconde a connu à l'inverse de nombreuses reconversions liées notamment à sa position stratégique : elle fournit un poste d'observation prépondérant, ce qui vaudra d'ailleurs aux visiteurs d'être interpellés par les soldats en faction devant la sinistre tour Murr, située à l'opposée du carrefour et occupée par l'armée.

Revisiter le rapport à la guerre
L'objectif est ambitieux : il s'agit pour les trois jeunes femmes « de redécouvrir, de revisiter la mémoire de la guerre et son héritage à travers une perspective différente de celle que l'on explore habituellement dans les salles de classes, les médias ou encore l'art en général ». En emmenant les participants « au cœur de la mémoire individuelle et collective libanaise », elles cherchent à « restructurer » leur rapport à la guerre, en l'affranchissant des influences politiques et religieuses pour mettre l'accent sur « une mémoire plus distancée et plus objective, centrée sur l'individu ». Après la visite, Caterina, Élissa et Nada s'efforcent de recueillir à chaud les impressions des visiteurs. Pour la première maison domine un sentiment diffus d'intrusion, d'impudeur, mais de l'excitation également, en tentant de recomposer le puzzle de cette vie de famille qui semble s'être brusquement interrompue. Pour la seconde, au contraire, un sentiment de vide qui laisse tout loisir d'imaginer les tireurs embusqués et la guerre des hôtels. Mémoire de vie contre mémoire de mort, en somme. Que faire de tous ces lieux ? Des musées ? Des centres culturels plutôt, propose l'une des participantes : pour un rappel plus diffus, moins frontal, de ce que fut la guerre du Liban. Les préserver, en tout cas, et ce de manière systématique et non au gré des rapports de force. Moins chanceuse que le palais Hneiné qui lui fait face, récemment inscrit sur la liste du World Monument Fund, Akar est aujourd'hui en passe d'être démolie pour faire place nette à un nouveau complexe commercial...
Réhumaniser ce conflit que beaucoup jugent inhumain : c'est tout un programme. En attendant, l'initiative semble avoir fait des émules. Le second week-end organisé par les trois étudiantes a été un franc succès. Direction le sud du pays cette fois, où une quinzaine de participants ont pu visiter notamment l'ancienne prison de Khiam, occupée par l'armée israélienne jusqu'à son retrait du Liban en 2000. Quelques semaines plus tard, c'était au tour du département d'histoire de l'USJ d'organiser une sortie similaire au sud du pays, dans le cadre d'un cours sur la guerre du Liban. Coïncidence ? En tout cas, la preuve que cette approche originale des trois jeunes femmes sur la question de la perception du conflit était pertinente.

Caterina Belardi, Élissa Ghaoui et Nada Danach se passionnent toutes trois pour l'histoire de leur pays, mais également pour les questions d'identité – les deux premières sont binationales –, ou encore de mémoire. En abordant ces thématiques en marge du cours Arts in Politics, elles se sont aperçues que ce qui n'était au départ qu'un loisir, un « passe-temps du...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut