Le spectre de la crise des réfugiés pèse sur le Liban et la région. Les visites officielles, la semaine dernière, au pays du Cèdre de la représentante de l'Union européenne pour les Affaires et la Politique de sécurité, et vice-présidente de la Commission européenne, Federica Mogherini, du secrétaire général de l'Onu, Ban Ki-moon, du président de la Banque mondiale, Jim Young Kim, et du président de la Banque islamique de développement, Ahmad Ali el-Madani, auraient-elles pour objectif de paver la voie à une éventuelle implantation de facto des déplacés syriens et réfugiés palestiniens dans notre pays ?
« Certains veulent régler la situation de manière permanente ici. C'est ce qu'on appelle l'implantation. C'est ce qu'on refuse catégoriquement ! » a averti le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, lors d'une interview accordée à L'Orient-Le Jour au palais Bustros. Le jeune ministre n'a pas caché aussi sa préoccupation face au « danger toujours imminent d'une attaque israélienne » contre le Liban.
« Je pense que le monde et la communauté internationale sont en train de résoudre leurs problèmes à nos dépens, a affirmé d'entrée de jeu M. Bassil. Ils réalisent maintenant que la crise des réfugiés est quelque chose de très grave qui touche tout un continent. Ils prennent conscience que c'est un danger imminent non seulement pour la région mais aussi pour la constitution de chaque pays. Ils pensent le résoudre en fournissant aux réfugiés les conditions nécessaires et suffisantes, non pas pour qu'ils retournent en Syrie, mais pour qu'ils ne quittent pas vers l'Europe ou ailleurs, et restent là où ils sont. Certains veulent régler la situation de manière permanente ici. C'est ce qu'on appelle l'implantation. C'est ce qu'on refuse catégoriquement ! D'autres veulent que les réfugiés syriens restent jusqu'à l'arrêt de la guerre en Syrie, pour qu'au moment des élections, ils votent en dehors de la Syrie afin que leur vote puisse être mieux contrôlé en dehors de la Syrie. »
Abordant ensuite l'ensemble du dossier des réfugiés, le ministre des AE se prête à l'exercice des questions-réponses.
Le fait d'avoir coupé les fonds de l'Unrwa a-t-il pour objectif l'implantation des Palestiniens au Liban ?
« Je viens à l'instant même de rédiger une lettre interne sur ce sujet, parce que j'ai vécu cela lorsque j'étais ministre de l'Énergie. L'Unrwa doit depuis quelques années au Liban plus de 120 millions de dollars pour les frais d'électricité. Ce qui montre encore une fois la manière avec laquelle la communauté internationale nous traite, après 68 ans, au sujet des réfugiés palestiniens. Voilà ce qui risque de se passer, dans un cas différent pour les Syriens, mais avec une gravité plus aiguë à notre égard. Ceci prouve aussi que les promesses ne peuvent être tenues indéfiniment et que la question des réfugiés et des déplacés syriens doit être réglée par une politique libanaise indépendante, humanitaire, prenant en considération l'intérêt du Liban, en premier lieu. »
Que peut donc faire le Liban ? Donner des permis de travail aux réfugiés, comme l'a demandé la communauté internationale à la Turquie et la Jordanie ?
« Tout d'abord, le Liban n'a pas ratifié la Convention de Genève de 1951. N'étant pas membre, il n'est pas tenu de la respecter. Ce n'est pas un pays ou un lieu de refuge. Malgré cela, le Liban n'a jamais fermé ses frontières, n'a jamais chassé un Syrien, n'a jamais utilisé la force pour refouler un Syrien. Il a toujours respecté le principe du non-refoulement. Le Liban n'a jamais utilisé la question des réfugiés comme un abus politique contre les autres pour avoir quelque chose en contrepartie. Notre pays se trouve devant un échec économique, politique, social, et, ce qui est le plus dangereux, sécuritaire. Malgré tout cela, on garde les Syriens ici. Ce qui reste à faire, c'est de réfléchir sérieusement aux mesures prises par les Européens. »
Pourriez-vous élaborer ?
« À part la question des permis de travail qui peuvent être octroyés dans le cadre de la loi libanaise, il y a des emplois que les Syriens peuvent remplir dans l'agriculture, la construction et l'industrie. Il n'y a pas de problème tant que la communauté internationale nous fournit les moyens nécessaires pour créer des emplois. Il nous faudra alors des investisseurs dans le secteur privé, surtout dans l'agriculture, des investissements dans l'économie libanaise dans les secteurs concernés et des aides directes à l'État libanais, aux institutions et aux municipalités libanaises pour créer des emplois. Une fois cette création d'emplois assurée, on pourra alors octroyer des permis de travail. Mais sans une action concrète, avec des promesses qu'on nous fait toujours sans rien avoir en contrepartie, on ne peut agir, parce que les Libanais ont besoin de travail aussi. »
« Mais revenons à la question de l'Europe. J'ai devant moi une liste détaillée qui montre ce que fait chaque pays pour les réfugiés : l'Allemagne, la Croatie, la Slovénie, la France, l'Angleterre, la Suède, la Finlande, la Norvège, le Danemark, les Pays-Bas, la Belgique, l'Espagne, l'Italie, la Grèce et la Hongrie. Dans cette liste, il y a certains pays qui ont fermé leurs frontières ; ceux qui ont refoulé ou déporté les migrants ; ceux qui ont mis un seuil au nombre des réfugiés ;
ceux qui ont utilisé la force ; et ceux qui n'ont pas respecté les accords de Schengen et de Dublin, et la Convention de Genève de 1951. »
Quelle a été la teneur de vos discussions avec Mme Mogherini ?
« Je lui ai franchement dit deux choses. Tout d'abord, ce n'est pas par une question de nombre de réfugiés que vous pourrez résoudre le problème avec la Turquie. C'est une affaire qui va beaucoup plus loin, même celle de garder les Syriens au Liban ou en Jordanie. Et, deuxièmement, je lui ai dit, juste à la veille des attaques de Bruxelles, que l'Europe risque d'être envahie par les réfugiés et par le terrorisme. »
(Lire aussi : La naturalisation des déplacés syriens : de la « démagogie » facilitée par l'absence de plan national)
Terrorisme et radicalisation
Comment le Liban peut-il pallier le terrorisme et la radicalisation, le jihad mondial ?
« Le Liban mérite d'être soutenu bien plus que cela, à plusieurs niveaux : militaire, à l'armée et aux FSI ;
économique et politique. Cela non seulement pour préserver sa stabilité sécuritaire, mais pour laisser les Libanais décider eux-mêmes et mettre aussi la pression sur les pays et les États qui les empêchent de décider de leur sort politique et de leurs leaders. Le Liban doit être appuyé pour préserver son modèle de tolérance face à ces vagues de haine et de terreur qui portent le changement artificiel d'une communauté européenne ou libanaise, qui viennent de l'intérieur ou de l'extérieur des sociétés européennes. »
Quelles sont les retombées des pourparlers de Genève sur la sécurité du Liban ?
« La cessation des hostilités ne peut qu'aider le Liban aux niveaux de sa sécurité, de sa stabilité, et aussi au niveau du retour des déplacés syriens. Si la paix en Syrie s'établit, le Liban en bénéficiera sûrement parce que ce sera le temps de la reconstruction qui va encourager les Syriens à rentrer chez eux. Il y aura alors un boom économique en Syrie et dans la région. »
(Pour mémoire : Après des tractations ardues, les ministres arabes des AE adoptent « la solidarité avec le Liban »)
Êtes-vous optimiste ?
« Oui, si on respecte le choix des peuples et si on vise la reconstruction au lieu de la destruction, qui est celle de Daech et celle des pays et forces politiques qui l'appuient. »
Y a-t-il un danger que Daech vienne hanter le Liban à partir de Ersal ?
« Non. Je pense que le Liban a montré non seulement une résilience mais de la résistance. Ils n'arriveront jamais à pénétrer dans le pays idéologiquement, même s'ils arrivent à réaliser de petites infiltrations qui peuvent être réglées. Mais le danger est que le Liban risque de perdre son rôle et son message. C'est ce qu'on appelle le "daechisme" politique qui est bien plus dangereux parce que l'un est militaire et l'autre sécuritaire : il peut être traité géographiquement ou bien localement, tandis que l'autre peut envahir le pays aux niveaux de son existence et de sa raison d'être. »
On parle de plus en plus de la menace d'une invasion israélienne. Faut-il s'en inquiéter ?
« Bien sûr, le danger est toujours imminent. Israël va profiter de cette situation en pensant que le Hezbollah n'est pas tout à fait à l'aise parce qu'il est plongé dans le problème syrien et celui du Liban interne, et aussi par une attaque d'Israël. Oui, cela m'inquiète vraiment parce que pour Israël cela doit se terminer dans ce sens. »
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Il est ironique Mr Bassil. parler de communauté internationale ! !!---*** Mais bon c'est lui le boss des affaires étrangères, il peut se le permettre. That is why ..
21 h 17, le 29 mars 2016