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Liban - La vie, mode d’emploi

7 - Le salut par le violon d’Ingres

violon d'Ingres.

Très classique salut, quoiqu'il ait fallu attendre qu'Ingres veuille faire de son violon, un violon d'Ingres. Très universel salut, quoique la pratique du violon soit peu répandue et Ingres peu connu, et qu'on préfère le mot « hobby » comme le bobby qu'on promène et bichonne et pomponne. Mais voilà, cela peut donner une idée à ceux qui cherchent un salut et n'ont pas de violon d'Ingres : retrouver les expressions toutes faites d'une langue, comme « c'est son violon d'Ingres ». Car tout est susceptible de devenir violon d'Ingres : le piano, le flûteau, le bateau, le dessin, le clavecin, le tintouin... Le violon d'Ingres a cette intelligence de s'adapter à tous vos désirs, de jouer la musique que vous voulez quand vous voulez, d'être comme Protée. Il a surtout cette serviabilité de ne pas requérir de discipline et donc de formation spéciale : aucune session intensive, workshop ou cours de rattrapage aussi onéreux qu'inutile. C'est votre violon d'Ingres et vous pouvez en jouer comme vous le souhaitez, avec votre archet bien sûr, mais aussi avec votre aiguille à crocheter ou, comble de plaisir, avec vos dix doigts comme pour compter ou pour manger chez les Zoulous. Vous l'avez compris : le violon d'Ingres, c'est la liberté et on en joue en se laissant aller. Clef de sol et clef des champs, vous avez le bonheur clef en main. C'est le septième ciel à votre portée et vous pouvez même espérer le huitième. De très malins n'ont-il pas, en mettant une corde de plus à leur violon, fait comme Ingres : ajouter des vertèbres à leur belle odalisque ? Ils peuvent à présent la laisser se prélasser sur les murs de leur musée privé ou le lit de leur chambre intime, comme s'ils étaient des musiciens et des peintres, aussi.
La seule note discordante et même la cacophonie dans ce bel accord du ciel et de la terre, du désir, du loisir et du plaisir est que le peintre du dimanche veut très souvent devenir peintre de grands musées et le musicien des bals du samedi soir entrer dans la philharmonie. Et ce ne sont plus que toiles de violon d'Ingres à contempler et musique de violon d'Ingres à écouter. Car, pour ces peintres et violonistes en mal de reconnaissance, l'expression a bien plus qu'une faille (et qui ne souffre de défaut? L'armure, elle-même, en a !), une véritable tare d'origine puisque celle-ci supposait qu'il fallait être d'abord Ingres pour avoir droit à son violon. C'est-à-dire posséder un talent immense pour découvrir, ensuite, qu'on en a un autre presque aussi immense. C'est-à-dire ajouter à une injustice déjà grande une autre d'importance. Des macarons au petit déjeuner et des biscuits « pur beurre » pour le goûter. Le luxe dans toute sa splendeur et son insupportable arrogance. Le violon pour amis triés sur le volet et à volets fermés. Non, ce n'était pas le bal musette et à la bonne franquette ! C'était le club des clubs, celui des têtes déjà couronnées. Il fallait avoir du sang bleu-génie et des quartiers de noblesse à faire une vraie métropole pour s'offrir un violon d'Ingres. Alors, les dents ont grincé et l'instrument avec et on a démocratisé même ce violon. Désormais, tout le monde peut en acheter, dans les petites et grandes surfaces, au rayon bricolage, et d'Ingres il ne reste que ce qui apparaît dans sa (plus) simple expression.
Quand la vanité s'en mêle (et de quoi ne se mêle-t-elle pas ?), ce n'est plus que vulgaire pavane de basse-cour, infante quittant sa toile et ses habits d'apparat et joie toute simple, perdue et même défunte.

Très classique salut, quoiqu'il ait fallu attendre qu'Ingres veuille faire de son violon, un violon d'Ingres. Très universel salut, quoique la pratique du violon soit peu répandue et Ingres peu connu, et qu'on préfère le mot « hobby » comme le bobby qu'on promène et bichonne et pomponne. Mais voilà, cela peut donner une idée à ceux qui cherchent un salut et n'ont pas de violon...
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