Hassan a cinq jours. Il est né avec la trêve dans l'une des villes les plus martyrisées de Syrie : Daraya. Hassan est né alors que la Syrie connaît, depuis samedi, son premier cessez-le-feu depuis le début de la guerre, il y a cinq ans. Si la quiétude et les prières des muezzins rythment depuis une semaine leurs vies, plus accoutumées au fracas assourdissant des barils d'explosifs largués par l'aviation du régime, la sérénité n'est pas de mise pour les mille familles, dont celle de Hassan, restées à Daraya.
Le régime syrien ne semble, en effet, pas prêt à lever le siège de la ville qui, instauré fin 2012, a réduit le quotidien des habitants à la peur et à la débrouille. Située aux portes de Damas et irréductible insoumise, Daraya a été l'une des villes les plus martyrisées de tout le pays. Mais loin d'enfoncer dans le silence ses racines meurtries, la ville résiste au désarroi plus encore qu'aux bombardements incessants, qui ont fait plus de 2 388 morts et près de 240 000 déplacés.
Cette résistance est au cœur de l'histoire de Daraya depuis une vingtaine d'années. Bien avant que l'insurrection civile ne gagne les grandes villes syriennes, la ville et ses 250 000 habitants, à 8 km au sud-ouest de la capitale, a fait déjà preuve d'« insubordination » aux yeux des autorités. Dans les années 90, un groupe de jeunes activistes, amis et collègues, fréquentant l'une des mosquées de la ville, se forme. Ils ignorent encore que leur initiative civique allait se retrouver dans le collimateur du puissant pouvoir étatique, rien ni personne ne devant échapper au contrôle du régime baassiste. Fervent religieux mais loin de suivre les préceptes des fondamentalistes, Abdel Akram el-Saqqa, l'imam autour duquel gravite cette communauté de jeunes sunnites, les introduit à l'érudit syrien Jawdat Saïd, considéré comme l'un des premiers penseurs musulmans qui s'est efforcé d'introduire la notion de non-violence dans le monde islamique. Ou quand les versets coraniques prônant la non-violence se mélangent avec les paroles de Gandhi, de Martin Luther King et la pensée bouddhiste.
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Le réveil de la jeunesse
Imad* faisait partie de ces jeunes, les Chabeb, tour à tour élèves puis tuteurs et enseignants au sein de cette même mosquée. Diplômé en littérature anglaise et spécialiste en traduction simultanée, le jeune homme se rappelle l'époque où ils « enseignaient le Coran et les rudiments religieux », et ont « démarré (leurs) activités pacifiques ». Au commencement, la jeunesse de Daraya se cantonne au nettoyage des rues, à la protection de l'environnement et essaye de faire évoluer les consciences civiques. En 2002, les forces israéliennes envahissent le camp de réfugiés de Jenine, dans les territoires autonomes de Cisjordanie. « Les gens étaient tellement outrés par cette violence que nous avons appelé à descendre dans la rue », raconte l'activiste. Les troubles régionaux deviennent source de nouvelles revendications.
L'invasion américaine de l'Irak, un an plus tard, aiguise davantage la colère, toutefois contrôlée, de la jeunesse. Des manifestations s'organisent et les appels au boycottage des produits américains se font plus pressants. Le 9 avril 2003, une marche silencieuse à laquelle participent les enfants de Daraya est menée. Damas affiche également sa désapprobation envers l'invasion de son pays voisin. Mais dans un état policier, il ne fait pas bon organiser des manifestations, aussi pacifiques soient-elles, sans son aval. Des arrestations s'ensuivent. Le 4 mai 2003, 24 activistes sont appréhendés par les forces de sécurité. Certains sont rapidement relâchés, alors que d'autres écopent de trois à quatre ans de prison. Imad était parmi ces « détenus de Daraya », à la prison militaire de Saïdnaya, devenue tristement célèbre quelques années plus tard. Les autorités décident de le libérer en 2005, « à cause des pressions exercées sur la Syrie à ce moment-là suite à l'assassinat (du Premier ministre libanais) Rafic Hariri », confie-t-il. On défend aux Chabeb de poursuivre leurs activités « illégales » s'ils veulent reprendre leur petite vie. Mais le pouvoir les observe.
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Invasion américaine
Plusieurs années s'écoulent à Daraya, dans un calme relatif. Mais quand Deraa s'échauffe contre le régime, ce qui va marquer le point de départ des protestations syriennes de 2011, l'émulation gagne Daraya, qui organise à son tour des manifestations. « Au début de la révolution, les gens se sont sentis libres pour la première fois depuis des décennies », raconte Imad. « Ils sentaient que leur voix comptait et qu'ils pouvaient réellement changer les choses. Au moment de la manifestation, tout le monde protestait et aucune personne ne pensait quitter le pays ». Même les personnes arrêtées brièvement puis relâchées ne comptaient absolument pas « renoncer à protester ».
La répression monte d'un cran fin 2011. Mater la rébellion coûte que coûte va être le mot d'ordre du régime, qui emprisonne, torture et tue des centaines de civils. Pourtant, les jeunes de Daraya refusent de céder à la violence et répondent par des manifestations pacifiques, prônant des slogans comme « Silmiyé, silmiyé (pacifique, pacifique), même s'ils nous tuent par centaines chaque jour ».
Le martyre de l'un des leurs va tordre le cou à leurs illusions. « La mort de Ghayath Matar a provoqué chez certains d'entre nous une remise en question de nos activités pacifiques », explique Imad. Celui que les gens surnommaient « Little Gandhi » était un jeune tailleur et activiste. Il était connu pour offrir des roses de Damas aux soldats, dans des bouteilles en plastique, sur lesquelles il était parfois écrit « Nous sommes vos frères. Ne nous tuez pas. La nation est assez grande pour nous tous ». Au-delà de l'homme, c'est le symbole qui dérange. Loin de la propagande que le régime diffuse à propos de la rébellion : des « terroristes », islamistes et armés jusqu'aux dents.
Ghayath Matar sera arrêté le 6 septembre 2011 à l'âge de 26 ans. Sa dépouille est rendue à sa famille trois jours plus tard. Le corps de Ghayath porte des marques de torture. Il a été castré et sa gorge est lacérée. Sa femme, enceinte de 8 mois au moment des faits, appellera son fils Ghayath. « Les autres activistes se sont alors dit que si quelqu'un comme Ghayath, connu pour ses actions pacifiques, avait été traité de la sorte, comment allaient-il être traités à leur tour ? » se souvient Imad. Plusieurs autres opposants y laisseront leur vie. Trois options s'imposent alors aux autres : fuir le pays, poursuivre la lutte pacifique ou bien prendre les armes. « On a décidé de rester à Daraya, de continuer la révolution et nos activités par tous les moyens possibles contre le régime, à l'exception de la lutte armée », raconte l'activiste politique. Pour eux, le temps de la protestation dans un esprit civique est loin d'être enterré.
Un nouveau « Sabra et Chatila »
« Tout a changé après le massacre. » Sa gorge se serre quand il se remémore ce douloureux souvenir. Imad était là, ce jour-là. Ce jour maudit du 25 août 2012, quand les hommes de Bachar el-Assad soient envoyés à l'assaut des maisons tuant hommes, femmes et enfants. Le jour suivant, les quartiers résidentiels sont pilonnés sans relâche. L'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) dénombrera plus de 700 morts. Les vidéos que feront circuler les opposants, comme seul témoignage de ces crimes, dévoilera l'indicible. Des corps d'hommes et de femmes gisent à même le sol. Des images montrent, sans pudeur aucune, des enfants tués d'une balle dans la tête. « C'était horrible. Tous les survivants étaient sous le choc », raconte-t-il. La grande majorité de la population de la ville plie bagage et se retrouve sur le chemin de l'exode. Les médias évoquent un nouveau « Sabra et Chatila ».
« Ceux qui ne sont pas partis ont rejoint notre mouvement », explique l'activiste. Poursuivre la lutte pacifique est le salut des jeunes de la ville. Faisant fi du chaos, un conseil local de la ville de Daraya est créé en octobre 2012. « Le but était de réunir les révolutionnaires civils en regroupant les différentes activités. » Un mois plus tard, l'armée tente une nouvelle incursion, mais est repoussée par l'Armée syrienne libre (ASL) qui s'impose de facto comme défenseur de la ville. Le régime impose alors un blocus total, qui, près de quatre années plus tard, n'est toujours pas levé. Près de 8 300 personnes (sur)vivent aujourd'hui dans cette souricière.
Depuis 2012, Daraya est privée d'eau courante et d'électricité. Les habitants utilisent les puits et des générateurs. En réponse à la pénurie de mazout, ils brûlent des sacs plastiques pour en extraire une sorte de fuel brut. La ville subsiste principalement grâce à une microagriculture. Aucune ONG n'a jamais eu l'autorisation nécessaire pour entrer dans Daraya. « C'est curieux, car le Conseil de sécurité de l'Onu n'a nullement besoin du consentement de l'État. Et après, l'Onu continue de dire qu'elle ne cède pas face au régime », ironise Imad.
Un hôpital de campagne a également été monté, mais selon l'activiste, la situation médicale « est terrible ». « Le régime empêche l'entrée des médicaments plus encore que la nourriture », souligne-t-il, expliquant que la contrebande a désormais pris le dessus. Depuis que la route vers la ville voisine de Moadamieh al-Cham est barrée, le blocus est total. Entre-temps, 600 bébés sont nés en plus de 1 200 jours de siège. Réduite en cendres, la ville n'offre d'autres refuges aux habitants que ses mosquées ou ses écoles. La politique de la « terre brûlée » du régime se poursuit, à raison de plus de 70 barils largués par jour.
Un cessez-le-feu attendu
Le sort de Daraya poursuit ses habitants jusqu'à Genève, lors des dernières négociations fin février. Les Russes et les Américains s'entendent sur un cessez-le feu, excluant les zones où les jihadistes du Front al-Nosra et ceux de l'organisation État islamique (EI) sont présents. Le régime syrien accepte le cessez-le feu mais veut également en exclure la ville de Daraya qu'il accuse de loger la branche syrienne d'el-Qaëda. « Tout le monde sait que c'est totalement faux », affirme Imad. « Nous détestons l'action de ces groupes (al-Nosra et l'EI) et nous sommes totalement contre leurs idéologies », ajoute-t-il. Concernant Ahrar al-Cham ou Jaïch al-islam, deux groupes rebelles salafistes très puissants en Syrie, il reconnaît que c'est « plus compliqué ». Pour le militant pacifiste, ces deux factions armées n'ont « pas un discours clair et équilibré » et seraient « trop hésitantes ou dispersées entre le discours national et le discours salafiste ».
« Avec la trêve, les gens sont soulagés, mais restent sur le qui-vive », confie Imad. Aujourd'hui, deux unités de l'ASL défendent la ville. Mais à la fin de l'entracte, quand la trêve prendra fin, vendredi prochain, Daraya, ville emblématique de la ceinture damascène, risque fort de replonger dans l'enfer. L'enfant de Daraya, le professeur de littérature anglaise, l'activiste pacifique au service de sa ville, essaye toutefois de garder de l'espoir quant il évoque l'avenir de la Syrie. « Le futur est tellement sombre. Mais j'espère que nous pourrons garder une seule et même Syrie unie, avec une démocratie juste et représentative. »
*Le nom de la personne interrogée a été modifié pour des raisons de sécurité.
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SANS L'INTERVENTION DES RUSSES... LE RÉGIME ET SES IRANIENS ET LEURS ACCESSOIRES ÉTAIENT EN PLEINE DÉBANDADE ET LE BASHAR EN CHUTE LIBRE... ET ILS OSENT CHANTER DES VICTOIRES "LES VAINCUS" QUI DOIVENT LEUR SORT DE N'ÊTRE PAS À DEUX PIEDS SOUS TERRE CHACUN À LA CONNIVENCE OBAMO/POUTINIENNE QUI LES A SAUVÉS IN EXTREMIS... MAIS çA N'A PAS FINI ENCORE... ILS JURAIENT DE LIBÉRER TOUTE LA SYRIE ET MAINTENANT ILS SE CONTENTERONT D'UN MINI ETAT ALAOUITE... UN AUTRE ETAT FANTOCHE A LA CHYPRIOTE TURQUE... ET çA SI LA MAJORITÉ SUNNITE L'Y ACCEPTERAIT CAR ELLE LE LIBÈRERAIT FUT-CE DANS CENT ANS... LE RIRE EST POUR LA FIN ! C'EST LA RÈGLE DU JEU...
12 h 14, le 04 mars 2016