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À La Une - Reportage

Quand des réfugiés se racontent... à livre ouvert

"Au lieu d'ouvrir un roman, les lecteurs se plongent dans la vie d'un individu".

Margarita Kapsou (droite) dans la "Bibliothèque humaine" de Chypre. Photo AFP

D'une voix placide, Ibrahima narre sa détention par la secte africaine Boko Haram et son périple vers l'Europe. Dans une "bibliothèque humaine" de Chypre, des réfugiés ont remplacé les livres, racontant en tête-à-tête aux habitants de l'île leur histoire personnelle.
"Avez-vous choisi votre livre?", lance Margarita Kapsou, bénévole, aux premiers "lecteurs" arrivés dans ce spacieux café à la décoration vintage, niché dans la vieille ville de Nicosie, où est hébergé l'événement.

Inspirée d'un concept danois, la bibliothèque vivante de Chypre, forte de onze volontaires, propose de substituer aux pages de papier des personnes en chair et en os venues partager leurs témoignages.
"Le but est de voir les choses sous un autre angle", explique Margarita. "Au lieu d'ouvrir un roman, les lecteurs se plongent dans la vie d'un individu".

Ce jour là, l'ONG a convié huit des quelque 6.000 réfugiés et 2.500 demandeurs d'asile que compte cette petite île méditerranéenne, un sujet brûlant dont le public peine parfois à se saisir.
Installés dans des fauteuils en cuir rouge, musique acoustique en fond sonore, des Palestiniens, Soudanais et Congolais détaillent durant trois heures leur parcours semé d'embûches à des "liseurs" attentifs.

(Lire aussi : Installer les réfugiés à la campagne, la recette gagnante ?)

"Envie d'aider"

"Je pensais que la vie était finie pour moi", confie Ibrahima Yonga, 18 ans, torturé et forcé de fuir le Cameroun après avoir échappé aux islamistes de Boko Haram, laissant derrière lui sa famille dont il n'a plus aucune nouvelle. D'un trait, le jeune homme relate les quatre mois passés sur un bateau sans savoir où il allait avant de débarquer "par hasard" à Chypre.
Comme près de 400 autres demandeurs d'asile, son voyage s'est achevé au centre d'accueil de Kofinou, dans le sud de l'île. "Les douches sont cassées, l'eau glacée, les locaux sales", égrène-t-il, ses yeux brillants rivés sur le carrelage en damier. "Mais nous n'avons pas le choix".

"Très touchée" par son témoignage, Theano Stellaki, Chypriote âgée d'une soixantaine d'années, assure avoir "envie de l'aider". "On entend cela tous les jours à la télévision. Mais y être confronté directement, c'est autre chose".
Pour filer la métaphore, les organisateurs ont multiplié les références à la bibliothèque: ici, des traducteurs font office de "dictionnaires" et la vitrine affiche les titres des huit histoires, assortis d'un carton vert lorsque les "livres" sont disponibles, rouge s'ils sont "loués".

Slalomant entre les tables, Margarita s'assure que chaque "lecteur" respecte le temps imparti, 30 minutes, montre en main, une rotation "nécessaire pour optimiser les rencontres", mais déstabilisante pour le public.
"Les récits sont très denses, alors après deux +livres+, j'ai eu besoin de faire une pause", admet Jérémy, un Français expatrié à Chypre, qui se dit "accroché par la force des histoires".
Une charte distribuée aux participants impose de "traiter les livres avec respect". "Les réfugiés partagent des expériences personnelles et sensibles, il doivent se sentir à l'aise", insiste Margarita.

(Lire aussi : La Berlinale braque ses projecteurs sur la crise des migrants en Europe)

"Une forme de libération"

Dans un coin de la salle, Kamal, 42 ans, relève son bonnet pour exhiber à la lumière tamisée la trace d'une balle qui lui a frôlé le crâne alors qu'il tentait de fuir le Soudan en guerre. "Je n'ai presque rien senti", raconte-t-il.
"Il faudra sans doute un peu de temps pour digérer ce que l'on a entendu", affirme Alexandra, lycéenne de 16 ans, admettant que l'occasion est "une chance de vraiment connaître la vérité".

Les "lecteurs" impromptus oscillent entre le désir de parcourir ces histoires et la crainte du voyeurisme mais la plupart de leurs interlocuteurs se montrent moins réservés qu'ils ne l'imaginent. "Cela nous fait du bien de partager ce que l'on vit, plutôt que de tout garder pour nous. La parole est une forme de libération", sourit Kamal, bloqué sur l'île depuis 16 ans.
De nature timide, Ibrahima est moins à l'aise dans l'exercice. Mais l'expérience est un moyen de "reprendre en main" sa vie", qu'il veut "normale, tout simplement".


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commentaires (1)

Trop de tragédies humaines ! C'est insupportables ! Est-ce que ça va continuer ainsi au cours de tout ce siècle ?

Halim Abou Chacra

04 h 36, le 14 février 2016

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Commentaires (1)

  • Trop de tragédies humaines ! C'est insupportables ! Est-ce que ça va continuer ainsi au cours de tout ce siècle ?

    Halim Abou Chacra

    04 h 36, le 14 février 2016

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