Rechercher
Rechercher

Liban - Tribune

Le projet de port à Adloun, une dégradation à venir du littoral

Un expert français membre de l'association Bahr Loubnan* présente une estimation des dégâts (écologiques, urbanistiques, archéologiques et économiques) à prévoir si le grand projet de port est réalisé dans cette petite localité de Sarafand, au Liban-Sud.

« L’enjeu est la dégradation du littoral sur une vingtaine de kilomètres au moins. » Carte fournie par Bahr Loubnan

Construire un port sur une côte presque rectiligne est un défi à la nature : il faut en effet édifier des brise-lames pour arrêter les vagues qui viennent frapper le rivage. Ces grands travaux devraient obéir à des enjeux majeurs, comme une installation industrielle, un terminal de cargos, un projet urbain. Or le projet de port lancé à Adloun, au Liban-Sud, ne concerne qu'un port de plaisance (et quelques anneaux pour des pêcheurs qui servent d'alibi au projet).

La réalisation d'un tel projet implique de barrer la côte par une jetée avancée de 250 mètres sur la mer et d'un brise-lames de 600 mètres de long, en vue de protéger une surface de 15 hectares. C'est donc un chantier ambitieux. Cela suppose que les bateaux de plaisance seront très nombreux dans l'avenir puisque le port devra assurer près de 400 places. Cela implique aussi des investissements énormes dont l'amortissement, qui n'est pas assuré dans les conditions actuelles, sera très long. Or l'initiative ne décourage en rien les porteurs du projet.
Toutefois, le plus inquiétant est la perturbation entraînée par de tels travaux colossaux sur le rivage, si ceux-ci vont détruire la plate-forme calcaire et les bancs de sable qui sont immergés juste en avant de la côte, à l'emplacement du futur port. Il faut aussi envisager les modifications dans le transit sédimentaire (déplacement des sédiments, graviers, galets déposés au fond d'un cours d'eau sous l'action de la force des courants) le long du rivage.

Il faut préciser que le site concerné est à 15 kilomètres de l'embouchure du fleuve Litani, qui apporte jusqu'à la mer des sédiments fins (que l'on observe dans les eaux rouges du fleuve après les épisodes de grosse pluie) et des sables entraînés sur son lit. Ensuite l'action des vagues déplace ces matériaux fins le long du rivage. Une partie de ces volumes nourrissent le cordon littoral au nord de Tyr, une autre partie est déplacée par la dérive générale vers le nord et vient s'étaler sur les plages dans les criques de Maarzat, Sari, Adloun et, de manière plus discontinue, plus au nord.

La digue en projet bloquera inévitablement le transit de sables jusqu'à 250 mètres en avant de la côte, soit à des profondeurs de trois à cinq mètres. Cela fera disparaître progressivement nombre de petites plages, et la mer menacera, à terme, les basses plates-formes où s'étendent les cultures intensives de Adloun et de Ansariyé, ainsi que les nombreuses maisons construites au ras de la mer dans cette commune, comme devant Sarafand.

L'enjeu est donc la dégradation du littoral sur une vingtaine de kilomètres au moins. S'y ajoutent les aménagements eux-mêmes : en effet, un port de plaisance n'est pas seulement une emprise sur la mer, il comporte aussi des bâtiments d'accueil et de service, voire de nombreux logements de plaisance, pour une surface au moins double de celle du bassin, donc de plus de 30 hectares. Il s'agit d'une grosse opération immobilière.
Enfin, il est difficile d'évaluer les dégâts directs et indirects sur la faune et la flore de la bande des petits fonds, qui ne manqueront pas de déstabiliser l'économie de la pêche locale. Il est également difficile de chiffrer les dommages au niveau du patrimoine archéologique phénicien ou paléochrétien, observé sur la plate-forme littorale rocheuse.

En définitive le rapport cost and benefit paraît bien lourd. Il faudra chiffrer les pertes économiques et écologiques sur la mer comme sur les terrains de la côte, et les comparer, d'une part, au coût des investissements, d'autre part, aux profits escomptés... Les implications à courte échéance et les effets à long terme semblent bien désastreux pour ce littoral sensible.
Une fois de plus, on constate que les grands projets sont mal évalués. Sans doute présentent-ils un intérêt de spéculation...

 

*Professeur émérite à l'Université Paris 1
Membre actif de Bahr Loubnan

 

Lire aussi
Au diable l'histoire et la mémoire, Adloun veut jouer la carte des loisirs

Pour mémoire
Destruction du port phénicien de Beyrouth : les militants devant le ministère de la Culture

Le cri d'alarme de l'AIST : « Le port de Tyr de nouveau en péril »

Construire un port sur une côte presque rectiligne est un défi à la nature : il faut en effet édifier des brise-lames pour arrêter les vagues qui viennent frapper le rivage. Ces grands travaux devraient obéir à des enjeux majeurs, comme une installation industrielle, un terminal de cargos, un projet urbain. Or le projet de port lancé à Adloun, au Liban-Sud, ne concerne qu'un port de...
commentaires (1)

La bêtise humaine, naturellement... n'a pas de limite ..(c'est même validé) en plus ,lorsqu'elle voit se profiler à l'horizon .., le dollars maritime en 3D....elle se transcende....! quel gâchis patrimonial ...!

M.V.

11 h 59, le 01 février 2016

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • La bêtise humaine, naturellement... n'a pas de limite ..(c'est même validé) en plus ,lorsqu'elle voit se profiler à l'horizon .., le dollars maritime en 3D....elle se transcende....! quel gâchis patrimonial ...!

    M.V.

    11 h 59, le 01 février 2016

Retour en haut