Le gratin du clavier du XXe siècle entre légendes et réalités...

Dans la série Les grands interprètes, les éditions Buchet-Chastel présentent, sous la plume d'Alain Lompech, Les grands pianistes du XXe siècle (347 pages). À première vue cela semblerait pour gens initiés. Disons alors c'est surtout un ouvrage pour les amoureux du clavier.
Ce ne sont pas les seules annotations techniques (ou de techniques) pianistiques qui l'emportent. Il s'agit aussi d'un aspect humain, amusant et révélateur, parfois émouvant sur un accident de parcours ou une passion cultivée dans le secret, pour plus d'un musicien, sur la part cachée de sa personnalité, de son jeu, de son répertoire, de ses préférences, de sa formation.
Pour avoir le privilège et la chance d'en parler, Alain Lompech, journaliste et critique à Diapason, au Monde de la Musique et au quotidien Le Monde pendant plus de trente ans. Et aujourd'hui conseiller des programmes à la direction de France Musique.
Familier de l'univers des interprètes, accompagnateur assidu de leurs prestations, il déchiffre pour les lecteurs, à travers de brefs tours d'horizon et des détails de scène, des partitions bien particulières... Et révélatrices ! Celles des vies vouées aux touches d'ivoire mais aussi épicées de quelques incartades, singularités, travers et engouements bien humains...
Avez-vous jamais imaginé, par exemple, Rachmaninov en jardinier taillant et croisant les rosiers ? Et, ironie du sort, Arthur Schnabel, bien que juif, était l'interprète beethovénien préféré d'Adolf Hitler. Un temps encore, le Führer songeait même à lui délivrer un diplôme d'Aryen...
En un chapelet vertigineux, parfois lassant quand les précisions croustillantes font défaut, les noms se succèdent. Et déjà, pour un siècle où on n'a plus pied, seuls quelques pianistes sont encore dans ce palmarès de disparus. Dont, entre autres, Martha Argerich et Maria Joao Pires...
Des pianistes certes disparus mais qui ont marqué leur époque et dont l'empreinte de leur musique n'a pas fini de résonner à nos oreilles et de se répercuter dans nos souvenirs. De Sergueï Rachmaninov (né en 1873) à Catherine Collard (née en 1947 mais disparue trop tôt...), en passant par Alfred Brendel, Maurizio Pollini, Claudio Arrau, Wilhem Kempff, Yves Nat, Clara Haskil, George Cziffra, Vlado Perlemuter, Sviatoslav Richter, Samson François, Daniel Barenboïm, Arthur Rubinstein, Vladimir Horowitz, Arturo Benedetti-Michelangeli, Dinu Lipatti, Glenn Gould et la liste n'est là guère exhaustive, la ronde est une arène pour combattre les idées reçues.
Une ronde qui a pour source et filiation Chopin et Lizst. Et loin des écoles françaises, russes ou allemandes, ne demeure que le génie de ces passeurs. Un génie métissé de diablerie, de sagesse, de maîtrise, d'originalité, de fantaisie, de discipline, de rigueur. Et d'un talent bien entendu exceptionnel et majeur.
Pour une égale objectivité, notice biographique, évolution, goût, professeurs illustres, formation et carrière sont la tessiture de ces portraits, brossés avec vivacité et précision. Et qui vont surtout, sans être un panel réducteur, à l'essentiel. Ce qui permet de rentrer au cœur du génie de chacun, de son répertoire, de ses spécifications, de son univers sonore, de la couleur de son jeu.
À ce livre, riche tableau de musiciens qui défient le temps, qui ne tombe jamais dans la classification en catégorie, ces analyses rapides et pertinentes sont une clef pour l'indépendance et la liberté de ton et de personnalité.
En un magnifique addendum, offert avec l'ouvrage, il faut souligner aussi la présence d'un double CD MP3. Presque seize heures d'écoute pour des œuvres complètes soigneusement choisies. Pour jeter la pleine lumière sur l'art particulier de chacun des interprètes.
Un livre fourmillant d'informations et de culture, écrit avec un sens de l'objectivité et un style captivant, instructif. De toute évidence, un livre référence, qu'on lit avec plaisir et à loisir, par petit chapitre, comme du petit lait.