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Liban - Recherche

Remise du prix Émile Tyan à la faculté de droit de l’USJ

« La production des savoirs est au cœur même de notre identité culturelle », affirme Salim Daccache.

Les deux lauréats du prix Émile Tyan, Carla Habre et Nagib Fayez Hage-Chahine, entourant Marie-Claude Najm, directrice du Cedroma. Photo Michel Sayegh

Le prix Émile Tyan, décerné tous les deux ans par le Centre d'études du droit du monde arabe (Cedroma) au nom de la faculté de droit et des sciences politiques de l'USJ, vient d'être remis à deux brillants anciens de la faculté, Carla Habre et Nagib Hage-Chahine, au cours d'une cérémonie organisée sur le campus de la rue Huvelin, en présence notamment du président du Conseil d'État Chucri Sader et du bâtonnier de Beyrouth Antonio el-Hachem.
Émile Tyan (1901-1977) fut et demeure une figure emblématique de la faculté de droit de l'Université Saint-Joseph. Premier président de la Cour de cassation en 1947 (à 46 ans), il a été ministre de la Justice à deux reprises (1957 et 1965). Mais c'est pour son attachement jaloux à l'indépendance de la magistrature et à la fonction ministérielle qu'il s'est fait publiquement connaître. Un attachement qui l'a conduit à deux reprises à démissionner, une première fois de son poste de premier président de la Cour de cassation, une deuxième fois du ministère de la Justice, sous le mandat du président Chamoun (1957).
Le journaliste Albert Farhat a rapporté, en 2013, dans les colonnes d'an-Nahar, le récit de la page glorieuse qu'écrivit le grand juriste en démissionnant de son poste de président du Conseil supérieur de la magistrature (voir encadré).

« Être le fils d'Émile Tyan est un lourd fardeau tant mon père s'est distingué par la qualité et la diversité de ses apports au droit aussi bien libanais que français. Sa famille s'est engagée à faire tout son possible pour perpétuer son souvenir », a affirmé à l'ouverture de la cérémonie Nady Tyan, professeur de droit à l'USJ, qui s'exprimait aussi au nom de ses deux frères, David et Henri. Pour M. Tyan les deux thèses « marqueront le droit libanais ».
Pour sa part, la Pr Marie-Claude Najm, directrice du Cedroma, a rendu hommage à un homme pour qui le pouvoir – judiciaire ou politique – n'a jamais été une fin en soi, mais un simple moyen de servir l'État. « Mais se remémorer Émile Tyan, a-t-elle ajouté, c'est aussi penser à l'universitaire qui, avec d'autres, a forgé l'ossature et l'âme de cette faculté. Par l'ampleur de sa culture juridique, tournée à la fois vers le monde occidental et le monde musulman, par sa hauteur de vue, transcendant les frontières des découpages cloisonnés – droit privé et droit public, droit interne et droit international, droit processuel et droit substantiel... –, Émile Tyan nous a légué des écrits devenus de grands classiques dans les domaines juridiques les plus divers. Quoi de plus beau dès lors, pour commémorer Émile Tyan, que d'encourager la recherche juridique, sans laquelle une université ne peut exister et le droit ne peut évoluer. »

Sous le signe de la rigueur
C'est sous le signe de « la rigueur » que Léna Gannagé, doyenne de la faculté de droit, devait placer la cérémonie. « S'il fallait résumer d'un mot le fil conducteur qui unit la diversité des profils d'Émile Tyan, dira-t-elle, ce serait sans doute celui de rigueur qui conviendrait le mieux : rigueur intellectuelle à l'université, rigueur morale au service de l'État. »
Présentant les lauréats, Mme Gannagé a mis en évidence ce que leurs recherches juridiques avaient d'original. Au sujet de Carla Habre, qui a effectué sa recherche doctorale à Paris II, elle dira combien sa thèse sur la notion de subsidiarité en droit privé s'est avérée être « un choix audacieux » au regard d'une « notion fuyante et complexe » et le tour de force qu'a représenté sa « conceptualisation ». Et de rendre hommage à une thèse qui, selon le Pr Jean-Louis Sourioux, vient « combler une lacune de la doctrine française de droit privé ».
Avec sa thèse sur la distinction de l'obligation et du devoir en droit privé, Nagib Hage-Chahine, fils de l'ancien doyen de la faculté de droit, Fayez Hage-Chahine, a pour sa part « dominé sa matière par (...) son goût prononcé pour l'argumentation et l'abstraction », ajoutera Léna Gannagé, qui souligne aussi combien devant un jury coriace, et lors d'une « discussion d'une richesse et d'une densité inhabituelles dans ce genre d'exercice », aux dires de son directeur de recherche, M. Hage-Chahine s'est montré « un redoutable débatteur ».

Enseignement et recherche
Le recteur de l'USJ, Salim Daccache, devait enfin relever que « la recherche au niveau des études juridiques est aussi normale et nécessaire que l'enseignement lui-même et les plaidoiries en cours ouvertes ou fermées ». « Ce prix d'excellence se veut un signe que la production des savoirs est au cœur même de notre identité culturelle », a-t-il conclu.


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Un éclatant exemple d'intégrité

 

Nous sommes en 1949. Dans la nuit du 7 au 8 juillet, Antoun Saadé, le président du Parti populaire syrien, recherché pour tentative de coup d'État contre la République libanaise, est livré par Damas aux autorités libanaises. Il est aussitôt jugé à huis clos par un tribunal militaire, dans une parodie de procès qui a duré une demi-journée et a débouché sur une sentence de mort. Béchara el-Khoury est manifestement pressé de liquider l'affaire. Il n'y avait pas alors de recours possible contre le jugement. Seule restait la possibilité pour les avocats de la défense de réclamer la grâce pour le condamné. Il fallait pour cela s'adresser à la commission des Grâces laquelle était présidée par le président du Conseil supérieur de la magistrature, c'est-à-dire à l'époque par Émile Tyan, alors président de la Cour de cassation.

Émile Tyan fut convié le jour même, le 8 juillet, juste après le prononcé de la sentence de mort contre Antoun Saadé, par le président de la République, qui lui demanda de réunir immédiatement la commission des Grâces et de le faire au palais présidentiel. Le président Tyan, qui n'avait aucune sympathie particulière pour l'idéologie nationaliste syrienne, répondit en homme de droit que la convocation de la commission relevait de ses seules prérogatives et qu'elle ne pouvait avoir lieu qu'au moment et à l'endroit où il le déciderait, et qu'en toute hypothèse elle ne pouvait se tenir qu'au Palais de justice et nulle part ailleurs. Puis il quitta le palais présidentiel en s'excusant.
Béchara el-Khoury convia alors le vice-président de la commission des Grâces, le procureur Youssef Charbel, qui réunit la commission au palais présidentiel, laquelle rejeta aussitôt la demande de grâce. L'exécution d'Antoun Saadé eut lieu quelques heures après, soit moins de 24 heures après son arrestation.

Émile Tyan démissionna alors de ses fonctions de magistrat et poursuivit sa carrière de professeur, écrivant ainsi l'une des pages les plus glorieuses du combat sans cesse repris pour l'indépendance du pouvoir judiciaire. On sait ce qu'il en fut : ses ouvrages sur le droit musulman, ses publications dans l'Encyclopédie de l'islam, mais aussi les incontournables traités de droit commercial, de droit de l'arbitrage et de droit international privé sont devenus des classiques du genre.

 

Pour mémoire
L'École des traducteurs de l'USJ lauréate du Prix international Gerardo de Cremona

Remise du prix Émile Tyan 2013 au Centre d'études des droits du monde arabe de l'USJ

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