Rechercher
Rechercher

Liban - Université

Remise du prix Émile Tyan 2013 au Centre d’études des droits du monde arabe de l’USJ

 « La situation exige de la part des maîtres de notre faculté une veille juridique et existentielle qui aiderait les Libanais à retrouver leurs constantes et leur âme », affirme le recteur Salim Daccache.

La lauréate du prix Émile Tyan, Carole Najem-Makhlouf, prononçant son discours. On reconnaît aussi sur la photo Nady Tyan, le P. Salim Daccache, recteur de l’USJ, Léna Gannagé, doyenne de la faculté de droit, et Georges Khadige, directeur du Cedroma. Michel Sayegh

Il faudrait pourvoir citer intégralement tous les mots prononcés lors de la cérémonie de remise du prix Émile Tyan, lundi, par le Centre d'études des droits du monde arabe (Cedroma), pour l'éclairage qu'ils jettent sur le rôle que continue à jouer, au cœur de la crise, la faculté de droit de l'USJ.
La cérémonie s'est tenue dans l'amphithéâtre Gulbenkian sur le campus des sciences sociales (Huvelin) en présence du nonce apostolique Gabriele Caccia, du doyen et des membres du corps professoral de la faculté de droit et des sciences politiques, de plusieurs personnalités du monde politique, notamment des ministres et anciens ministres Walid Daouk, Bahige Tabbarah et Ibrahim Najjar, ainsi que de la famille du professeur Tyan.
Le prix Émile Tyan a été décerné cette année à Carole Najem-Makhlouf pour sa thèse de droit privé intitulée « Tacite reconduction et volonté des parties ». En ouverture de la cérémonie, le directeur du Cedroma, Georges Kadige, a souligné la difficulté que les jurés ont eu à départager des thèses qui lui étaient soumises. Une phrase l'a aidé dans sa tâche, « Vivre, c'est choisir et choisir, c'est sacrifier », a-t-il ajouté, précisant que l'appréciation du Pr Jean-Louis Sourioux a été déterminante dans ce choix.
L'excellence du travail couronné devait être confirmée par Léna Gannagé, doyenne de la faculté de droit. « La remise d'un prix de thèse est traditionnellement l'occasion d'honorer un travail universitaire de qualité, un travail d'excellence, mais elle est aussi une occasion de perpétuer un souvenir », a dit Mme Gannagé.
« Se souvenir d'Émile Tyan à l'USJ, c'est évoquer l'une des personnalités les plus remarquables de cette maison. Ce n'est là ni une formule de circonstance ni une tournure de style, mais le rappel d'une évidence dont la faculté aime se prévaloir, lorsque, revenant sur sa propre histoire, elle cherche les figures qui la reflètent au mieux, celles dont elle s'honore.
« Il n'est pas facile pour autant de présenter en quelques minutes Émile Tyan, sans doute parce que son nom reste associé à des figures différentes mais également lumineuses : l'universitaire, le magistrat, le serviteur de l'État.
« En tant qu'universitaire, Émile Tyan aura été le représentant par excellence de ce que l'on pourrait appeler la doctrine libanaise. À une époque où les enseignements de la faculté de droit étaient principalement assurés par des universitaires français, il a fait entendre cette voix libanaise qui, lorsqu'elle ne couvrait pas celle des missionnaires français, se posait naturellement au même diapason. Sa culture juridique faite de bilinguisme, d'ouverture simultanée sur le monde musulman et sur les systèmes européens, portée par une pensée forte et claire, lui aura permis de couvrir des disciplines entières.
« (...) Mais la figure de l'universitaire ne saurait occulter celle du magistrat ni celle du ministre de la Justice. Comme serviteur de l'État, Émile Tyan aura été l'artisan de grandes réformes législatives : la loi successorale de 1959, celle de 1967 sur la reconnaissance des jugements étrangers qui a été reprise dans le code de procédure civile. Mais il fut aussi l'homme du "non", celui qui démissionna trois fois, celui qui refusa de sacrifier principes et convictions pour un poste ou pour un portefeuille. »

Rigueur dans le travail
« S'il fallait résumer d'un mot le fil conducteur qui unit la diversité des profils d'Émile Tyan, ce serait sans doute celui de rigueur qui conviendrait le mieux : rigueur intellectuelle à l'université, rigueur morale au service de l'État. C'est en tout cas cette rigueur intellectuelle que le prix Émile Tyan s'efforce de récompenser.
« On ne sera pas surpris, de ce fait, que le prix soit remis ce soir à Mme Carole Najem Makhlouf. Carole Najem a fait ses études de droit dans cette maison où elle s'est régulièrement classée en tête de sa promotion. Sa thèse sur la tacite reconduction a été très remarquée, lors de sa soutenance d'abord, à l'Université de Paris II, puis lors de la délibération pour l'attribution du prix. Le professeur Jean-Louis Sourioux a souligné dans son rapport "la qualité hors du commun" de la thèse, "l'expression écrite remarquable", "la forte tonalité didactique" des développements. Ce sont toutes ces qualités que le prix Émile Tyan vient couronner. »

Se consacrer à la recherche
En son nom propre et au nom de ses deux frères, Henry et David, le Pr Nady Tyan, fils du grand juriste, a affirmé : « Le Cedroma en collaboration avec la famille d'Émile Tyan a tenu à institutionnaliser ce prix en vue de perpétuer son souvenir et d'encourager les jeunes doctorants à poursuivre leurs recherches académiques. Notre souhait est qu'émergent des rangs des doctorants des professeurs qui, à l'instar d'Émile Tyan, se consacrent exclusivement à l'enseignement, à la recherche et à l'écriture. »
« La thèse couronnée a magnifiquement atteint son but », a-t-il ajouté, avant de s'étendre sur le sens qu'il accorde à l'appartenance à l'USJ. « Cette faculté, a-t-il dit, a toujours constitué un creuset où coexistent des étudiants de toutes confessions en parfaite harmonie (hormis des incidents provoqués par des illuminés de la petite politique). L'excellence de l'enseignement dispensé par la faculté s'accompagne d'un message de tolérance et de solidarité. Cette solidarité est essentielle. Le pape François dans son message pour la paix y a fait référence en nous demandant de lutter contre la mondialisation de l'indifférence qui nous rend proches mais pas frères et qui nous fait lentement nous habituer à la souffrance de l'autre en nous fermant à nous-mêmes. Le Liban ne peut survivre sans que cet esprit de solidarité et de tolérance n'anime la vie politique. Puisse cette faculté continuer à servir de pont non seulement entre les générations d'étudiants mais aussi entre les Libanais de toutes confessions. »

Le droit est le désir de l'âme
Pour sa part, le recteur de l'USJ, le Pr Salim Daccache s.j. cite Émile Tyan parmi ceux qui ont contribué à asseoir le droit sur des assises solides (...) convaincus que le droit est le désir de l'âme de la personne humaine et des peuples.
De ce fait, a-t-il enchaîné, l'USJ « est devenue la matrice d'une longue série d'hommes d'État qui ont compris qu'il fallait unir les différentes communautés libanaises par cette force imperturbable de la sagesse du droit ».
« Malheureusement, a-t-il déploré, nos communautés qui avaient réussi à s'élever vers le vivre ensemble et la conscience que l'État de droit est le salut de tous et de toutes régressent vers un État délétère et ne cessent de subir les contrecoups d'une situation conflictuelle régionale causée par plus d'un facteur. Rapidement elles se rabaissent à l'état de tribus qui se font la guerre fratricide. Nous avons malheureusement vécu un épisode de cette situation frontale entre Libanais ici même dans et autour de ce campus, espérant que ce genre d'incidents ne se reproduira plus. Cette situation exige de la part des maîtres de notre faculté une veille juridique et existentielle qui aiderait les Libanais à retrouver leurs constantes et leur âme. Émile Tyan n'a pas été le seul pour entretenir cette veille juridique ; c'est tout un courant qui le précède mais qu'il a lui-même alimenté avec ferveur et science.
C'est pourquoi je m'adresse aujourd'hui aux jeunes juristes et aux plus anciens de cette faculté pour qu'ils continuent l'œuvre déjà commencée. Sans paraître donneur de leçons, le droit privé est important, mais le public est aussi important et pour que le privé puisse s'exercer, comment ne pas renforcer les piliers porteurs du droit public ? Je pense que notre faculté devra garder cette touche qui lui est propre, celle d'être au service du droit public, à force de recherches et d'interventions pertinentes dans le domaine. »

Un savoir-être
En fin de cérémonie, Carole Najem-Makhlouf à affirmé : « Je tiens d'abord à exprimer mon attachement à la faculté de droit de l'Université Saint-Joseph, qui est ma faculté "mère" à laquelle beaucoup de liens m'unissent tant ma famille – père, mère, frère, sœur, cousine, mari, beau-père – et moi-même y avons usé bancs, parcouru couloirs et consulté ouvrages...
« Je voudrais, aussi et surtout, témoigner de mon admiration pour la qualité exceptionnelle de l'enseignement qui y est prodigué et rendre hommage à mes professeurs qui nous ont transmis non seulement un savoir, mais aussi un savoir-faire et un savoir-être. Car le droit est avant tout une extraordinaire aventure humaine.
« Le prix décerné aujourd'hui commémore celui qui fut l'un de ses plus éminents enseignants (de la faculté de droit) pendant plus de quarante ans (...). Ce prix qui m'honore fait peser sur mes épaules une lourde responsabilité : il me rappelle qu'une thèse n'est pas en soi un couronnement, mais une étape dans une vie consacrée inlassablement à la recherche et à l'enseignement, au service du droit et de l'État (...). La thèse récompensée aujourd'hui ne contribue que modestement à la recherche juridique, mais le prix qui l'honore (...) n'a pas de
prix ! »

 

Il faudrait pourvoir citer intégralement tous les mots prononcés lors de la cérémonie de remise du prix Émile Tyan, lundi, par le Centre d'études des droits du monde arabe (Cedroma), pour l'éclairage qu'ils jettent sur le rôle que continue à jouer, au cœur de la crise, la faculté de droit de l'USJ.La cérémonie s'est tenue dans l'amphithéâtre Gulbenkian sur le campus des sciences...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut