Samedi dernier, les autorités saoudiennes ont annoncé l'exécution du cheikh Nimr Baqer el-Nimr, un dignitaire religieux saoudien de confession chiite, connu pour son opposition ouverte au régime de Riyad. Les relations avec l'Iran s'enveniment aussitôt, allant jusqu'à la rupture des relations diplomatiques. Les déclarations incendiaires ne se limitent pas à Téhéran : à Beyrouth, le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah hausse le ton contre le royaume wahhabite et la polémique s'enflamme aussitôt sur le plan interne. Quel impact aura cette nouvelle crise régionale sur le Liban, un pays déjà miné par une vacance présidentielle qui s'éternise et une paralysie quasi totale des institutions ?
L'analyste Moustapha Fahs est convaincu que le compromis présidentiel qui devait mettre fin à la vacance à la tête de l'État relève déjà du passé. « Au lieu d'élire un président, nous serons probablement plus occupés à protéger des têtes », dit-il, non sans humour. Pour l'analyste, l'impact politique de cette crise sera probablement grave et se traduira par une paralysie encore plus grande des institutions libanaises, notamment du Conseil des ministres. « Cela pourra atteindre un point tel que la redynamisation de ces institutions nécessitera une initiative historique, qui sera non moins qu'une constituante, je le crains, dit-il. Plus personne n'est satisfait de la part qui lui revient dans le système. »
Et d'ajouter : « La guerre – qui n'est même plus froide – entre l'Iran et l'Arabie saoudite ne se transformera pas, je crois, en une confrontation directe dont aucune des deux parties n'a vraiment les moyens. Mais à un niveau libanais interne, il y a une partie (le Hezbollah) qui se sentira probablement isolée. De leur côté, les pays du Golfe resteront-ils aussi soucieux de la situation libanaise s'ils sentent qu'ils sont les seuls à fournir cet effort ? Il n'y a plus que les pressions internationales qui peuvent imposer la stabilité interne au Liban, à supposer qu'elles puissent toujours agir sur le plan interne. »
Pour Sami Nader, directeur de l'Institut du Levant pour les affaires stratégiques, les tensions entre l'Iran et l'Arabie saoudite « ne peuvent qu'avoir des impacts négatifs sur le Liban ». « Dans la situation actuelle, aucun compromis ne peut être réalisé en l'absence d'une entente régionale entre ces deux pays, poursuit-il. C'est le cas, en gros, depuis 2005, en l'absence du rôle syrien, et dans un contexte où les forces politiques sont divisées en deux camps relevant des deux puissances régionales. »
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Quid, dans ces conditions, de l'initiative qui devait déboucher sur l'élection de Sleiman Frangié à la tête de l'État, lancée par l'ancien Premier ministre Saad Hariri à la fin d'année dernière ? Sami Nader estime que l'initiative était sérieuse mais qu'elle n'est pas arrivée à son terme, les Iraniens n'ayant probablement pas obtenu les bénéfices qu'ils escomptent pour faciliter l'élection présidentielle. « L'Iran ne compte apparemment pas lâcher cette carte facilement, souligne Sami Nader. Ce pays a déjà perdu des cartes importantes en Syrie, avec la prépondérance du rôle de la Russie depuis le début de son intervention militaire, au Yémen, où il a perdu du terrain par rapport à l'Arabie, et en Irak, où la libération de Ramadi (qui était contrôlé par le groupe État islamique) s'est faite de toute évidence sans l'aide des factions proches de l'Iran. On ne peut imaginer, par conséquent, qu'il abandonne l'avantage qu'il a au Liban ! »
L'analyste craint que la crise régionale n'approfondisse les effets de la vacance présidentielle, ainsi que la paralysie des institutions. « Comment imaginer le courant du Futur assis à la même table que le Hezbollah en Conseil des ministres après cet échange d'insultes ? souligne Sami Nader. Le dialogue a minima qui était en cours entre ces deux forces politiques, et qui a réussi à éloigner jusque-là le spectre de la discorde confessionnelle, pourrait également payer le prix. De plus, tout trouble à caractère confessionnel est de nature à créer un terrain fertile pour le terrorisme, qui a déjà frappé à plusieurs reprises l'année dernière. Enfin, la paralysie de l'ensemble des institutions augmente naturellement la pression sur la dernière institution qui reste sur pied, l'armée. »
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La stabilité au Liban
« L'impact sur le Liban ? Il suffit d'écouter le discours du (secrétaire général du Hezbollah) Hassan Nasrallah et les réactions qu'il a suscitées pour comprendre ce que cet impact pourrait représenter. » C'est par ces mots qu'Élias Hanna, général à la retraite et conférencier à l'AUB et à la LAU, résume la situation. L'analyste pense que les répercussions seront beaucoup plus sévères sur les crises syrienne et yéménite qu'elles ne le seront au Liban.
« Dans ce pays, la stabilité est une exigence internationale, même de la part de l'Arabie saoudite et de l'Iran, estime-t-il. Personne n'a intérêt à ce que le Liban retombe dans l'instabilité, sachant que la scène sécuritaire est bien tenue. Mais comme la sécurité absolue n'existe pas, cela n'écarte pas totalement les risques d'incidents, que certains voudront analyser à la lumière des tensions entre Riyad et Téhéran, même s'ils n'en découlent pas forcément. Enfin, les risques d'un clash majeur entre forces politiques au Liban sont minimes : sur le terrain, qui peut faire face au Hezbollah aujourd'hui ? »
Il en va autrement sur le plan politique. « Je pense que tout ce qui est déjà bloqué au Liban le sera encore plus, souligne le général Hanna. Si une entente entre l'Arabie saoudite et l'Iran a permis, par exemple, la naissance du gouvernement de Tammam Salam, cela ne sera plus possible dorénavant. »
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D'un point de vue économique, Sami Nader estime que les conséquences pourraient également être lourdes. « D'une part, le sort de l'aide saoudienne à l'armée libanaise est compromis dans ce contexte, dit-il. L'Arabie saoudite exige en effet des garanties sur l'utilisation de ces armes sous l'égide du gouvernement. D'autre part, les milliers de Libanais vivant et travaillant dans les pays du Golfe pourraient être affectés par les tensions et par l'effet des déclarations faites au Liban, notamment les chiites, qui deviennent les plus vulnérables. Or le Liban vit en bonne partie des rentrées assurées par les émigrés, dont la situation est déjà fragilisée par la crise économique qui sévit dans le monde. Enfin, les pressions économiques sur le Liban, plus particulièrement sur le Hezbollah, du fait de l'implication dans cette crise régionale, peuvent avoir un impact négatif sur le pays et sur les chiites libanais de par le monde. »
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Repère
L'histoire troublée des relations entre Riyad et Téhéran
commentaires (9)
problème de clavier ... je continue ... A ma connaissance l'Arabie Saoudite n'a pas créer une milice mercenaire au Liban et l'envoyer combattre dans un autre pays arabe Les libanais sont dans une situation de crise désintégrante Tous les pays s'intéressent à la Syrie pour trouver une paix impossible à construire (il fallait faire le nécessaire en 2011) l'état ou se trouve ce pays : détruit totalement au lieu de sauver le Liban de sa désintégration Les chrétiens du MO sont en danger et personne ne fait rien on se gargarise des relations plus houleuses de l'Iran et de l'Arabie Saoudite, la politique des 3 singes, tout simplement
FAKHOURI
15 h 35, le 05 janvier 2016