Plus de six mois après le début de la crise des déchets, une solution qualifiée de « temporaire » a été annoncée hier à l'issue d'une réunion houleuse du Conseil des ministres. Une solution fondée sur l'exportation des déchets (comme prévu), qui n'a pas reçu l'aval des ministres du Courant patriotique libre (CPL) et du parti Kataëb qui s'opposent notamment au coût de l'opération et aux modalités des appels d'offres qui ont été effectués. À l'issue de la réunion, le ministre Élias Bou Saab (CPL) a protesté auprès du Premier ministre contre le fait que la contestation de deux blocs essentiels du gouvernement a été ignorée.
Le Premier ministre Tammam Salam, quant à lui, a rappelé « l'impossibilité de trouver des solutions à l'intérieur du Liban ». Il a expliqué que le recours à un plan temporaire pour l'exportation des déchets était devenu la seule option, un plan que le ministre de l'Agriculture Akram Chehayeb a réussi à finaliser, selon lui. Il a espéré que cela servira de leçon à toutes les parties politiques.
Pour sa part, M. Chehayeb a donné des détails sur le plan, soulignant que le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) a été chargé de signer des contrats avec deux compagnies, celles qui ont été retenues, alors qu'elles étaient six au départ. Ces compagnies devront très vite produire une garantie bancaire et des documents prouvant l'approbation de toutes les autorités concernées du pays de destination, a-t-il ajouté. C'est ainsi, a-t-il dit, que le Liban pourra s'assurer qu'il est en conformité avec la Convention de Bâle (sur le transport des déchets) et que ces déchets seront vraiment traités dans un incinérateur ou dans une décharge. Si les compagnies sont incapables d'assurer une garantie bancaire, le CDR pourra rompre le contrat, et si elles n'ont pas une autorisation claire des pays de destination, elles ne pourront récupérer leur garantie.
Pour ce qui est du coût, l'une des questions épineuses de cette option d'exportation, le ministre Chehayeb a précisé qu'il sera de « 125 dollars la tonne pour l'exportation ». Plus tard, en réponse à une question, il précisera que ce coût s'élèvera à 212 dollars la tonne si l'on compte le balayage (ce que Sukleen n'assurait que pour le Grand Beyrouth) et 191 dollars sans le balayage (sachant que les déchets doivent être préparés sur place avant le transport par bateau). Ces frais devront être prélevés de la Caisse autonome des municipalités.
Précision importante : M. Chehayeb a confirmé que « tous les déchets empilés depuis des mois, à l'exception de ceux qui ont été brûlés ou enfouis et qui seront traités plus tard, feront partie des ordures exportées ». Il a souligné que le CDR préparerait les contrats dès aujourd'hui et que l'opération commencera incessamment si les compagnies peuvent produire les documents nécessaires assez rapidement.
Également en réponse à une question, M. Chehayeb a annoncé que des ingénieurs britanniques sont déjà au Liban et inspecteront aujourd'hui les centres de tri à La Quarantaine et à Amroussieh, où seront préparés les déchets en vue de leur transport par bateau.
Les explications de M. Chehayeb ne répondent certainement pas à toutes les questions que pourrait soulever cette option d'exportation. Cependant, dans sa lecture de la décision ministérielle, le ministre a donné une indication de ce qui adviendrait à l'avenir : le Conseil des ministres insiste, a-t-il dit, pour la mise en application de sa décision datant de 2010, qui privilégie la solution de transformation des déchets en énergie. En d'autres termes, l'incinération.
(Lire aussi : Aux saboteurs de la République...Afin que le dossier des déchets ne tombe pas dans l'oubli)
Les suggestions de Michel Pharaon
Dans une première réaction au plan, le ministre du Tourisme Michel Pharaon a rappelé qu'il avait proposé cette solution depuis longtemps déjà, étant donné que la capitale a été prise en otage, suivant ses termes. Mais il a suggéré que la durée du contrat soit plus courte, de neuf mois ou d'un an, afin de tenter d'améliorer les conditions financières à la fin de cette période. Il a également demandé que l'usine de Sukleen soit déplacée de La Quarantaine et que les déchets empilés dans cette même région soient transportés immédiatement vers la décharge de Naamé.
Si ce plan d'exportation a suscité l'opposition de ministres, il devrait être également mal accueilli par la société civile. Le ton était donné hier. Le Mouvement écologique libanais a tenu une conférence de presse dans la journée, pour annoncer son refus de l'exportation des déchets. La conférence de presse avait pour titre « La crise des déchets est provoquée, les solutions locales sont disponibles ».
La formation a réaffirmé « son refus des solutions trop onéreuses, notamment celle de l'exportation des déchets ». Le mouvement veut « que soit adoptée une gestion complète à moindre coût et prête à la mise en application, qui ne nécessite qu'une simple approbation en Conseil des ministres ».
Voici quelques-uns des points soulevés par les écologistes hier : premièrement, l'exportation des déchets suppose que ceux-ci doivent être triés, desséchés et empaquetés au Liban, et que les déchets dangereux ainsi que le liquide qui se dégage des ordures (lixiviat) doivent demeurer au Liban. Pourquoi, donc, le gouvernement s'apprête-t-il à faire tous ces efforts dans la perspective de l'exportation, à un coût exorbitant, et non dans celle de la mise en place d'une gestion intégrée au Liban ?
Deuxièmement, par l'exportation, le gouvernement fera perdre au pays l'opportunité d'adopter une stratégie fondée sur le tri (primaire et secondaire), le compostage, le recyclage, la production de carburant alternatif...
La décision d'exporter les déchets a aussi provoqué la colère dans la rue. Les différents collectifs du mouvement civil se sont donnés rendez-vous place Riad el-Solh pour accompagner, de l'extérieur, la réunion du Conseil des ministres consacrée à la sortie de crise dans le dossier des déchets.
Toutefois, certains des militants ne comptaient pas se contenter de cela. Ils ont tenté de pénétrer au Grand Sérail par un des jardins attenants. Ils ont effectivement pu s'approcher du siège de la présidence du Conseil, pour faire entendre leur voix et revendiquer une solution rapide au problème des déchets, notamment avec le début de la saison des pluies.
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Repère
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commentaires (4)
Ne reste plus qu'à espérer que ces beaux Messieurs profitent des ces prochains 18 mois pour élaborer une solution valable pour la gestion de nos déchets ! Presque tous les pays y sont arrivés...pourquoi pas nous ? On se promène dans l'espace...prochainement sur la planète Mars...et ces beaux Messieurs sont incapables de trouver comment traiter nos déchets ménagers sur place ??? Irène Saïd
Irene Said
15 h 37, le 22 décembre 2015