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Culture - Disparition

Rester à jamais dans la luxuriance des vers de Hoda Adib...

Elle serait allée tout droit vers la vérité suprême... Le poète ne fera jamais le grand voyage, elle ne connaîtra pas non plus les limbes. Son corps a seulement rejoint les bras du ciel.

Portrait de Hoda Adib par Cici Sursock, 1968.

L'air de Londres rassis, cette nuit-là, une bruine sombre et glaciale, avant la valse des congères qui refait le monde, désormais improbable. Hoda Adib ne rêvera plus sa pensée, cependant nous demeurerons à jamais dans la luxuriance de ses rêves. Chacun de ses vers est en nous, comme une étoile tenace qui crépite dans la limpidité de l'eau. Et de sourdre de ses ontologies sensibles, les vers s'offrent à autrui en kyrielles d'ouvertures clarifiant l'expérience, alchimie qui définit, toutes les fois, une sente résonnante de la connaissance.
Frêle dans ses diverses affections graves, elle avait encore, la semaine dernière, le courage de parler des essentiels... Elle ne fera pas le grand voyage. Elle s'est seulement envolée et les roses bleues ont perdu de leur superbe; elles embaument davantage d'inquiétude. Leur terre se meurt irréversiblement, engoncée dans l'écheveau inextricable de l'homme barbelé.

Un très riche parcours
C'est dans la chaleur indicible de la neige, ce 26 décembre 1943, que Hoda Adib rencontrera pour la première fois le paysage, un mois à peine après la première indépendance de son pays, aujourd'hui dans la joie de la dépendance sans aucune autre alternative. Son père, Albert Adib, poète, homme politique et journaliste, fut le premier directeur de Radio-Liban avant de fonder, dans les années 40, al-Adib, une publication littéraire très remarquée de son époque, et qui fit connaître de nombreux poètes de langue arabe devenus célèbres. Son oncle paternel, Auguste Pacha Adib, fut le premier gouverneur du Liban, sans oublier que son grand-père maternel, Alexandre Chalfoun, compositeur et directeur du Conservatoire de musique du Caire, créa le premier opéra de musique oriental.

Hoda Adib va mener une carrière musicale, poétique et médiatique. La musique habite dans ses abysses. Elle sera professeure de piano au Conservatoire national de musique de 1970 à 1989, et professeure de musique, de solfège et de poésie dans les écoles. Les récitals de «la petite virtuose» étaient courus par le tout-Beyrouth. Elle animera également de 1982 à 1989 des émissions sur la poésie et sur la musique classique dans plusieurs radios.
Elle fut applaudie et reçut des lettres manuscrites par de nombreux poètes. Le poète irakien Abdel Wahab el-Bayati, considéré comme le fondateur de la poésie arabe moderne, lui écrira: «Ô joie de l'aube, à travers les montagnes... Toi le printemps du nouveau adib » (en allusion à son nom de famille qui veut dire aussi écrivain). Zaki Nassif parlera de la beauté, de la dextérité de ses mains, en ces termes: «Les doigts de Hoda cheminent dans un calme magique, ils portent en eux les ornements des désespérés. De notre terre aux étoiles, pour revenir sur terre en espoir resplendissant.» Tandis que Mohammad el-Maghout, poète syrien renommé et précurseur du vers libre en langue arabe, lui entonnera ce beau chant: «Puisque je suis prisonnier, je dis: ta voix est belle comme la liberté. Et puisque je suis sourd, je dis: ta voix est une paire d'ailes qui se brisent.»

Une plume rutilante
Ses premiers recueils sont publiés en arabe, vu l'influence des rencontres et des salons littéraires qui se tenaient dans le domicile familial et de la revue al-Adib. Une salve d'ouvrages en français viendra prendre la relève.
La plume rutilante de Hoda Adib va créer des métaphores inédites. Elle enrichira la langue française de manière fondamentale, à travers les néologies les plus originales, dévastant par sa densité les autres plumes.
Le possible et l'impossible habiteront ses pages. L'intensité de sa réflexion, parfois métaphysique, puisera des éclairs indicibles dans les instants de renouveau où elle sommera le temps de faire halte: des moments d'épiphanie, dont le prolongement sera offert au plus averti. Constamment des expériences, toujours la volonté de ré-enchanter le monde. Elle se risquera au plus difficile. Sa plume rebroussera souvent chemin vers la réalité amère, assimilant parfaitement la déshumanisation de la pensée, de l'émotion et le tragique de nos jours présents. Mais la poésie, encore et toujours la poésie. Elle confiera un jour que ses lectures se concentraient uniquement sur les recueils de poèmes.

En permanence, le Liban sera présent dans sa pensée qui réverbère les réminiscences, «À l'odeur des vignes...», et «Sur les hanches de la montagne – les limites du silence font défi au temps – le déni, un antidote du passé ». Cette poésie n'oubliera jamais son Liban, sans aucune demeure.
Son dernier recueil Pandemonium, publié aux éditions de La Revue Phénicienne, baigne au cœur des détonations libanaises car l'exil, chez elle, ne fermera jamais ses portes au lieu de maternité. Elle n'oubliera pas de «caresser les pierres acariâtres pour les sensibiliser», mais elle est tout à fait consciente que le «clair-obscur est exfolié – clandestin, le théâtre vide avait l'odeur des pluies».
Seul «le silence me parle», disait-elle, entourée par quelques rares amis épars qui, comme elle, avaient pris le chemin de l'exil. Des musiciens, des poètes ou des peintres, nés à l'ombre du cèdre et qui se nourrissent dans le triste goût du souvenir, le plus souvent occultés par leur patrie originaire vu l'étiolement des plumes de ces jours si sombres.

Omniprésente dans les très rares bibliothèques encore vivantes de son pays, c'est avec amour que l'on relira ses recueils: De Rhapsode au Zajal, L'intempérie aux sources anonymes, Senoksios l'embaumeur du passé, Zingobi les ombres eurythmiques de l'après, et tous les autres.
Bientôt, la Nativité, pendant que nous chanterons les thrènes et les lamentations pour commenter le trépas de nos terres. Sans oublier de saluer, avec affection et respect, la plume resplendissante qui s'envole...

L'air de Londres rassis, cette nuit-là, une bruine sombre et glaciale, avant la valse des congères qui refait le monde, désormais improbable. Hoda Adib ne rêvera plus sa pensée, cependant nous demeurerons à jamais dans la luxuriance de ses rêves. Chacun de ses vers est en nous, comme une étoile tenace qui crépite dans la limpidité de l'eau. Et de sourdre de ses ontologies...

commentaires (2)

JE NE LA CONNAIS PAS... MAIS À LIRE CE QUI EST ÉCRIT JE NE LA JALOUSE PAS... JE L'ADMIRE DÉJÀ !

LA LIBRE EXPRESSION

14 h 49, le 18 décembre 2015

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Commentaires (2)

  • JE NE LA CONNAIS PAS... MAIS À LIRE CE QUI EST ÉCRIT JE NE LA JALOUSE PAS... JE L'ADMIRE DÉJÀ !

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 49, le 18 décembre 2015

  • merci cher Alain , pour ce très beau texte. Hoda Adib était une femme d'exception ,avec de multiples talents et dons et une très belle œuvre poétique.J'avais eu l'honneur de lui préfacer un de ses derniers ouvrages L'instinct distal(2014) et j'avais une immense admiration pour son exigence artistique , son amour des mots, sa liberté de parole et sa quête d'absolu. Elle avait su créer un univers à elle, qu'elle a porté durant des décennies. De plus elle avait une sensibilité peu commune et un humour joyeux et généreux. Elle continuera à vivre à travers ses écrits et les souvenirs uniques qu'elle nous laisse. Bahjat Rizk

    Bahjat RIZK

    12 h 35, le 18 décembre 2015

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