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Moyen Orient et Monde

Les deux guerres de la Syrie

Les pourparlers de Vienne donnent lieu à un optimisme prudent, mais représentent néanmoins un grand pas vers une démarche diplomatique indispensable pour résoudre cet aspect du conflit. Photo AFP

La Syrie est dévastée par deux guerres. Un conflit, entre le président syrien Bachar el-Assad et les factions rebelles comme l'Armée syrienne libre (ASL), qui ne peut être réglé que par des voies diplomatiques – précisément le genre de solution que visent à atteindre les pourparlers de paix à Vienne, auxquels prennent part la plupart des puissances mondiales et des acteurs régionaux. Régler le second conflit, mené par Daech (acronyme arabe de l'État islamique – EI), nécessitera des moyens très différents.
Il est entendu que la guerre avec Daech constitue également, d'une certaine manière, une guerre civile – à la fois entre les sunnites et les chiites et entre factions sunnites – et qu'elle est liée à la lutte contre Assad. Mais les attaques terroristes sanguinaires de Daech à Beyrouth et à Paris (sans parler des actes barbares de ses sbires en Syrie et en Irak) montrent clairement qu'il ne peut y avoir de dialogue – encore moins des compromis – avec ses chefs. Rien ne peut justifier une entente politique, diplomatique ou territoriale avec un tel groupement, dont les idées fanatiques et vicieuses vont à l'encontre de toutes les normes fondamentales des sociétés civilisées. Assurément, il faudra faire appel à la diplomatie dans cette lutte. Comme la guerre fait souvent partie de la diplomatie, la diplomatie peut parfois faire partie de la guerre. Dans le combat contre Daech, la diplomatie jouera un rôle vital pour galvaniser une alliance de pays avec pour mission de faire disparaître à jamais ce groupe armé – ce qui devra toutefois se faire par les armes.
Daech, comme tous les pays concernés doivent l'accepter, n'a nulle part de rôle légitime à jouer. Quiconque, surtout dans la région, serait tenté d'adhérer sinon aux méthodes, du moins aux objectifs du groupe – pour, par exemple, soutenir un but antichiite – doit être exclu du combat contre Daech.
Pour paraphraser le président George W. Bush, les pays doivent se décider : ils sont dans notre camp ou dans celui des terroristes. Il ne s'agit pas seulement de présenter un front uni. Même si beaucoup voudraient rejeter la faute sur les dirigeants chiites pour ne pas avoir fait suffisamment d'efforts pour courtiser les sunnites favorisant ainsi l'essor de Daech, cette explication est loin d'être complète. Il est certain qu'aucun dirigeant de la trempe d'un Nelson Mandela ne s'est présenté dans les rangs de dirigeants chiites particulièrement maladroits et souvent irresponsables en Irak. Mais si Daech n'était qu'un simple véhicule de la résistance des sunnites contre le joug des chiites, le conflit ne se serait pas répandu bien au-delà des régions à forte majorité chiite.
Il est à espérer que tout comme le printemps arabe, et le chaos et la violence qui en sont issus, ont montré qu'Israël ne peut être accusé de tous les maux de la région, l'incursion de Daech dans des zones qui ne souffrent pas d'une mauvaise gouvernance chiite forcera peut-être les États sunnites à assumer leurs responsabilités. Après tout, la nébuleuse de Daech a en grande partie puisé dans la version déformée et radicale du wahhabisme, la secte sunnite ultraconservatrice à laquelle adhèrent les monarchies du Golfe comme l'Arabie saoudite.
Le moment est venu pour le monde des musulmans sunnites d'agir plus fermement envers le mouvement inhumain qu'il a, intentionnellement ou non, aidé à lancer. Pour ce faire, il faut que l'Arabie saoudite revienne sur sa décision récente d'intervenir militairement contre les rebelles chiites houthis du Yémen, plutôt que de s'attaquer à Daech. Aucun pays ne peut se désister dans le combat contre Daech, particulièrement une puissance régionale bien nantie dont les propres traditions ont aidé à inspirer le radicalisme qui motive cette mouvance.
Quant à la guerre civile entre Assad et ses opposants, les pourparlers de Vienne donnent lieu à un optimisme prudent. Les pourparlers ne sont pas le début de la fin du conflit syrien ; ils pourraient même ne pas être, comme le disait Winston Churchill, la fin du commencement. Mais ils représentent un grand pas vers une démarche diplomatique indispensable pour résoudre cet aspect du conflit – ne fut-ce qu'en raison du fait que beaucoup des intervenants concernés, les États-Unis, l'Union européenne, la Turquie et l'Arabie saoudite, prennent part au processus.
Néanmoins, les pourparlers sont loin d'être parfaits. Même s'il est trop tôt pour critiquer l'initiative, il n'est pas trop tôt pour mettre en lumière certains écueils potentiels. En premier lieu, même si des élections sont un objectif louable des pourparlers, ce ne devrait pas être le seul. La Syrie est composée d'un grand nombre de minorités qui sont trop petites pour se faire représenter par un scrutin électoral. Elles doivent donc être protégées par d'autres moyens, comme des aménagements et des institutions politiques qui visent explicitement la garantie des droits des minorités. Le premier pilier de la démocratie est peut-être la règle de la majorité, mais c'est une réalisation vide – et instable – si le deuxième pilier, les droits des minorités, n'est pas également érigé. Une autre préoccupation provient des déclarations de plusieurs participants, selon lesquels le processus de résolution du conflit devrait être « mené par des protagonistes syriens ». L'idée est bonne, mais sans fondement. Rien dans le comportement des factions syriennes qui combattent depuis quatre ans ne laisse présager qu'elles soient dotées de ce qu'il faut pour mener un processus de paix. En temps de crise, les pays finissent par oublier les enseignements des crises précédentes. Ce mois-ci marque le 20e anniversaire de la signature des accords de Dayton, qui ont mis fin à la guerre de Bosnie. Cet événement capital, qui a terminé un conflit sanglant dans lequel les civils étaient visés de manière disproportionnée, est issu d'un processus en deux étapes. Premièrement, un « groupe international de réunion » s'est entendu sur un cadre pour la paix. Les parties impliquées dans le conflit ont ensuite été amenées à la table de négociation pour obtenir un accord à l'intérieur de ce cadre.
Cette démarche peut paraître paternaliste, mais elle a fonctionné. Plutôt que de se laisser distraire par l'idée d'un amour-propre blessé, ceux qui se sont engagés dans un conflit qui a tué ou blessé des centaines de milliers de gens innocents et a déplacé des millions en plus devraient décider ce qu'il faut faire pour que le carnage cesse. Peut-être alors les intervenants se concentreront sur la destruction de Daech, une fois pour toutes.

Traduit de l'anglais par Pierre Castegnier
© Project Syndicate, 2015.

La Syrie est dévastée par deux guerres. Un conflit, entre le président syrien Bachar el-Assad et les factions rebelles comme l'Armée syrienne libre (ASL), qui ne peut être réglé que par des voies diplomatiques – précisément le genre de solution que visent à atteindre les pourparlers de paix à Vienne, auxquels prennent part la plupart des puissances mondiales et des acteurs...

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