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Santé - Maladies infectieuses

Les antibiotiques, des substances à manipuler avec précaution

La résistance à cette classe de médicaments constitue un enjeu de santé publique à l'échelle mondiale. Pour sensibiliser les populations à ce problème, l'Organisation mondiale de la santé lance du 16 au 22 novembre la première Semaine mondiale pour un bon usage des antibiotiques.

Cela fait des années que les spécialistes des maladies infectieuses dans le monde appellent à une utilisation adéquate des antibiotiques. Toutefois, l’utilisation abusive des antibiotiques se poursuit. Photo Bigstock

Une fois de plus, la résistance antimicrobienne est remise sur le tapis. Le problème ne cesse de gagner des proportions alarmantes, constituant un enjeu de santé publique à l'échelle mondiale. Dans un rapport publié en avril dernier, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) avait déploré le manque de mesures prises par les services de santé dans les pays pour lutter contre le mauvais usage des antibiotiques. Aujourd'hui, elle lance la première Semaine mondiale pour une bonne utilisation de cette classe de médicaments. Placée sous le thème « Antibiotiques : à manipuler avec précaution », cette campagne se déroule du 16 au 22 novembre.

« Je pense qu'on s'est pris un peu tard, parce qu'il s'agit d'un phénomène biologique qui, par définition, est difficilement réversible », explique le Dr Jacques Mokhbat, spécialiste en maladies infectieuses. « Actuellement, nous assistons à une modification génétique de la structure microbienne de nombreuses bactéries, dont certaines n'avaient jamais développé auparavant des phénomènes de résistance. C'est le cas, à titre d'exemple, du pneumocoque ou du streptocoque A qui pendant des années étaient très sensibles à la pénicilline. Le pneumocoque est devenu résistant à cet antibiotique dans un grand nombre de cas. Le streptocoque A n'a pas encore développé une résistance, mais la quantité de pénicilline nécessaire pour inhiber ce germe a augmenté de manière considérable. Nous sommes donc devant un phénomène qui se dissémine de bactéries en bactéries, voire d'une famille de germes à une autre. Rien qu'en l'observant, on se rend compte qu'il est irréversible. »

Le Dr Mokhbat souligne dans ce cadre que la résistance antimicrobienne n'est pas un phénomène inhérent à un comportement humain, mais bactérien, difficilement contrôlable et « tant que les antibiotiques seront utilisés, ce phénomène de résistance sera maintenu ». « Par ailleurs, poursuit-il, ces phénomènes de résistance entraînent rarement un affaiblissement de la bactérie. Dans la majorité des cas, la virulence du germe ne change pas. Parfois même, en plus de la résistance, le gène transmet un facteur de virulence supplémentaire. C'est une autre raison qui fait croire qu'on s'est pris un peu tard. Le mieux qu'on puisse faire c'est limiter les dégâts. Mais on ne peut pas contrecarrer le phénomène. »

Mauvais usage des médicaments
La résistance est un phénomène normal inhérent aux bactéries. « Les antibiotiques sont produits dans la nature, indique le Dr Mokhbat. Ce sont des substances que produisent les champignons et les germes pour inhiber d'autres bactéries et maintenir leur espace vital. Pour pouvoir lutter contre ce phénomène naturel, les bactéries développent une résistance. C'est un phénomène normal de survie. Ce même phénomène se produit en médecine. Lorsque nous administrons des antibiotiques, la bactérie se comporte comme elle l'a toujours fait pour pouvoir survivre. Elle développe une résistance. »

Plusieurs facteurs ont contribué à l'aggravation de ce problème. « Il y a d'une part l'accélération soudaine de l'usage des antibiotiques, favorisée par le développement de la technicité médicale, constate le Dr Mokhbat. Grâce aux antibiotiques, on a pu faire des chirurgies compliquées, des transplantations, des cathétérismes, etc. Cela a été associé à un abus d'antibiotiques dans l'espoir d'éviter les infections. D'autre part, un grand nombre de médecins prescrivent les antibiotiques sans attendre de poser un diagnostic clinique ou biologique, d'autant que ces médicaments sont peu toxiques pour l'être humain, puisqu'ils ciblent la bactérie. »

Au nombre des facteurs qui ont également mené à une consommation excessive des antibiotiques : la publicité menée par les compagnies pharmaceutiques sur leurs produits ; le fait que les compagnies d'assurances ne couvrent que les frais d'hospitalisation, les médecins se trouvent ainsi dans la nécessité d'hospitaliser un patient pour traitement d'où le risque d'attraper des germes hospitaliers ; le manque de confiance dans les résultats des laboratoires ; les erreurs d'antibiogrammes commis par les laboratoires ; la pression des familles sur les médecins, notamment les pédiatres, pour prescrire un antibiotique à l'enfant ; la facilité de se procurer le médicament auprès des pharmaciens qui se permettent de le prescrire ; l'automédication ; la peur des poursuites légales... « Autant de causes qui vont mener à l'utilisation empirique d'une antibiothérapie qui est souvent non indiquée, insiste le Dr Mokhbat. À cela s'ajoute l'usage des antibiotiques dans le monde animal. »

(Lire aussi : L’usage des antibiotiques au Liban reste anarchique)

Retour à l'ère préantibiotique ?
Les mises en garde contre la résistance antimicrobienne ne sont pas chose nouvelle. « Cela fait des années que les spécialistes des maladies infectieuses dans le monde appellent à une utilisation adéquate des antibiotiques, à l'amélioration des services de laboratoire... insiste le Dr Mokhbat. En vain. Malheureusement, l'utilisation abusive des antibiotiques se poursuit. Reverser ce phénomène semble impossible, sachant que les bactéries ont déjà muté et modifié leur génome. »
Et de poursuivre : « Le drame actuellement réside dans le fait que les compagnies pharmaceutiques sont moins prolifiques pour la création de nouveaux médicaments. L'intérêt pour la production de ces molécules a baissé pour plusieurs raisons, dont l'incapacité de trouver une nouvelle cible au niveau des bactéries. Cette impossibilité de trouver de nouveaux produits a suscité une anxiété à l'échelle internationale. On craint de ne plus pouvoir lutter contre ces germes de plus en plus résistants. »

Sur le plan thérapeutique, les spécialistes se trouvent confrontés à de nombreuses difficultés. « Nous avons des germes qui sont extrêmement résistants aux antibiotiques, indique le Dr Mokhbat. Nous sommes ainsi contraints de recourir à des médicaments de plus en plus toxiques et de plus en plus chers, et les résultats obtenus sont médiocres. Parfois, nous sommes obligés de faire des associations d'antibiotiques, ce qui entraîne une augmentation du coût du traitement et de la toxicité. Le traitement n'est plus aussi facile et souvent nous perdons la bataille. »

Reviendrons-nous à l'ère préantibiotique ? « Cette hypothèse a déjà été évoquée, répond le Dr Mokhbat. Probablement, oui. Je pense aussi que nous sommes en train d'évoluer vers d'autres thérapeutiques d'ordre génique susceptibles de cibler la génétique du germe. L'approche thérapeutique est en train de changer. En attendant, on travaille surtout à améliorer l'immunité des gens par la vaccination et cela pour diminuer les risques des infections. »

La vigilance est donc de mise. Non seulement au niveau des individus, mais de la communauté médicale également. « Les médecins ne doivent pas céder à la pression de la famille, des compagnies pharmaceutiques ou des assurances, insiste le Dr Mokhbat. Ils doivent se rappeler que l'intérêt du malade prime et que le diagnostic peut se fonder sur des tests laboratoires d'appoint. Quant aux patients, ils doivent être excessivement conscients du fait que la prise d'un antibiotique est très sérieuse et qu'elle doit se faire en consultation avec le médecin et non pas avec la voisine ou le pharmacien.


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Chan : La résistance aux antibiotiques nous menace tous

L'augmentation de la résistance aux antibiotiques représente « un immense danger pour la santé mondiale », a souligné hier la directrice générale de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la Dr Margaret Chan, en présentant la première enquête de son organisation sur ce thème. Cette résistance, a-t-elle ajouté, « atteint des niveaux dangereusement élevés dans toutes les parties du monde ».
L'enquête, publiée hier à Genève, révèle que toute personne peut être un jour affectée par une infection résistante à ces médicaments. Près de la moitié (44 %) des personnes ayant participé à l'enquête, qui ne se prétend pas exhaustive et qui a été réalisée par l'OMS dans douze pays, pensent que la résistance aux antibiotiques n'est un problème que pour les personnes qui abusent des antibiotiques, rapporte l'AFP. Deux tiers des personnes interrogées pensent aussi qu'il n'y aucun risque d'infection résistante aux médicaments chez les individus qui prennent correctement le traitement antibiotique qui leur a été prescrit.
« En réalité, n'importe qui peut, à tout moment et dans n'importe quel pays, être atteint d'une infection résistante aux antibiotiques », souligne l'OMS.
« L'un des plus grands défis de la santé du XXIe siècle nécessitera un changement mondial de comportement de la part des individus comme des sociétés », a indiqué pour sa part le Dr Keiji Fukuda, représentant spécial du directeur général pour la résistance aux antimicrobiens.
Pour y parvenir, l'OMS veut tordre le cou aux idées reçues qui circulent sur le sujet. Trois quarts des personnes interrogées pensent ainsi que la résistance aux antibiotiques survient lorsque l'organisme devient résistant aux antibiotiques. En réalité, ce sont les bactéries – et non les êtres humains ou les animaux – qui deviennent résistantes aux antibiotiques et leur propagation est la cause des infections difficiles à traiter.
Pour mettre fin à ce phénomène, l'OMS recommande de ne prendre des antibiotiques que s'ils ont été prescrits par un médecin, de toujours suivre jusqu'au bout le traitement prescrit même lorsqu'on se sent mieux, de ne jamais utiliser des antibiotiques restants d'une prescription précédente et de ne jamais partager des antibiotiques avec d'autres personnes.

 

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