L’usage des antibiotiques au Liban reste anarchique

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) revient à la charge, mettant en garde contre le mauvais usage des antibiotiques. Dans un rapport publié la semaine dernière sur la réponse des pays au problème de la résistance antimicrobienne, l'organisation onusienne déplore le manque de mesures prises par les services de santé dans les différents pays pour lutter contre le mauvais usage de cette classe de médicaments. Cela a pour effet de conforter la résistance aux antibiotiques, avertit l'OMS, qui exprime sa préoccupation face à des « bactéries qui deviennent de moins en moins traitables avec les antibiotiques disponibles ». Le problème est mondial et constitue une menace de santé publique. Le point avec le Dr Jacques Mokhbat, spécialiste en maladies infectieuses.

Q. Comment se présente la situation au Liban ?
R. L'usage des antibiotiques reste assez anarchique. L'achat des médicaments, particulièrement des antibiotiques, n'est toujours pas réglementé par une prescription médicale. Le pharmacien vend ces médicaments sans ordonnance et, dans certains cas, il les prescrit lui-même.
Il est à noter que la quantité d'antibiotiques vendus reste liée au format commercial du paquet et non à celle requise pour le traitement de la maladie. De ce fait, de nombreux ménages conservent ce qui reste dans le paquet et les réutilisent par autoprescription ou prescription de facilité. Or cette utilisation abusive, à laquelle s'ajoutent les excès de prescriptions médicales intra ou extrahospitalières par le corps médical lui-même, ainsi que les utilisations d'antibiotiques dans les domaines vétérinaire et agricole, entraîne une augmentation vertigineuse des taux de germes résistants aux antibiotiques, rendant souvent le traitement de maladies très difficile.

Pourquoi les germes développent-ils une résistance aux antibiotiques ?
C'est un système de défense que les germes ont intrinsèquement ou qu'ils acquièrent pour lutter contre les agents chimiques qui les menacent.

Quels sont les dangers de la résistance aux antibiotiques ?
Le plus grand danger reste celui de se retrouver devant une infection, qui peut être aussi banale qu'une infection urinaire, et de ne pas disposer d'un antibiotique d'utilisation facile ou peu toxique pour la traiter. Le danger, c'est d'être obligé, à titre d'exemple, de traiter une infection urinaire par des antibiotiques par voie intraveineuse, ou encore d'hospitaliser le patient pour lui administrer un traitement intraveineux, parce que les médicaments disponibles en capsules ne sont plus efficaces. Mais aussi de se retrouver devant des infections gravissimes en unité des soins intensifs et de ne disposer de presque aucun antibiotique pour les traiter.
Ces germes résistants constituent également une menace en cas d'infections hospitalières et postopératoires, puisque les antibiotiques utilisés en prophylaxie opératoire peuvent être obsolètes devant la fréquence des germes résistants.

Quelles sont les mesures qui doivent être prises pour régler le problème ?
La principale action à conduire reste celle de l'éducation du corps médical et pharmaceutique, mais aussi du grand public. Une prescription responsable, une vente responsable, ainsi qu'une confiance responsable en un diagnostic médical et une évaluation correcte au laboratoire de microbiologie doivent amener à une utilisation responsable de cette classe de médicaments.
De plus, une législation responsable réglementant la prescription et la vente des antibiotiques en pharmacie contribuera certes à protéger cette arme médicale et à préserver son efficacité. Les antibiotiques ont certes modifié le cours de la médecine lors du siècle dernier, mais il ne faut pas que cela demeure une période de l'histoire de la médecine.

Si les mesures adéquates sont prises et appliquées, la tendance actuelle peut-elle être réversible ?
Il est malheureux de constater que le processus déclenché n'est malheureusement pas réversible. Une fois qu'un mode de résistance s'est développé dans le monde bactérien, il peut être transmis de bactérie en bactérie. Il se propage de façon contagieuse entre les bactéries et entraîne une pérennisation de ce mode de résistance et, par conséquent, une perte d'efficacité des antibiotiques contre des infections de plus en plus courantes.
Des mesures efficaces pourraient limiter les dégâts ou du moins retarder le processus de perte d'efficacité des antibiotiques actuels, d'autant plus que la découverte de nouveaux antibiotiques et de nouveaux modes d'action des antibiotiques reste très modeste et peu prolifique.

Quelles sont les indications pour un bon usage des antibiotiques ?
Un antibiotique est un médicament actif contre des bactéries et non pas contre la fièvre. Il ne faut donc l'utiliser qu'après consultation médicale et évaluation microbiologique. Un antibiotique ne saurait être administré ou prescrit qu'en cas d'infection bactérienne et non virale. Il vaut mieux attendre de poser un diagnostic correct avant de prescrire ce traitement. Un traitement empirique ne devrait être administré qu'en cas d'urgence médicale ou en cas de diagnostic présomptif adéquat posé par un médecin. Il faut respecter la dose prescrite et la durée de traitement recommandée par le médecin.

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