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Liban - Reportage

La route de certains réfugiés syriens en Allemagne passe par le Liban

Il faut compter un millier de dollars par personne et une dizaine de jours de traversée pour arriver clandestinement en Allemagne. Discrets sur leurs propres identités, de nombreux réfugiés syriens à Berlin parlent de passeurs turcs, syriens et libanais.

À Berlin, les réfugiés attendent sous la pluie pour se faire enregistrer auprès des autorités.

Certains ont séjourné de longs mois au Liban pour fuir la guerre dans leur pays. D'autres ont effectué un petit passage à Beyrouth leur permettant de prendre l'avion vers la Turquie. D'autres encore sont arrivés directement de Syrie en Turquie. Ils ont été notamment encouragés par les images retransmises par les télévisions du monde entier : celles – datant du début du mois de septembre – de la gare centrale de Munich où des Bavarois accueillaient à bras ouverts des milliers et des milliers de réfugiés.
« Tu vas à Iskandar Blaz (Alexanderplatz), tu prends le truc qui roule dans la rue (le tram), pas celui qui roule sous la terre (le métro), ça doit être inscrit dessus M8 (chiffre et lettre dits en langue arabe). Tu comptes quatre stations, tu descends à la cinquième. Tu regardes à droite. Il y a un immeuble rose qui fait le coin. Là-bas tu trouveras quelqu'un qui te louera un petit appartement, sans prendre de commission. »
Mohammad* est un Palestinien de Syrie. La quarantaine, il est arrivé à Berlin il y a un peu plus de trois mois avec son fils âgé de treize ans. Ces indications, il les donne à un jeune couple originaire de Deraa qui est arrivé il y a quelques jours dans la capitale.


Mohammad vient souvent à Lageso (Landesamt für Gesundheit und Soziales) – l'équivalent d'un centre médico-social de municipalité – situé à Berlin Mitte, district au cœur de la capitale allemande qui compte notamment sur le plan administratif les quartiers de Moabit et de Wedding, abritant d'importants îlots d'émigrés, dont des Libanais. C'est ici que tout demandeur d'asile, quelle que soit sa nationalité, se fait enregistrer quand il arrive à Berlin.
Pour les autorités de la capitale allemande comme pour la majorité des Berlinois, la situation à Lageso est alarmante, notamment avec les longues files de réfugiés qui attendent pour présenter leur dossier.
Pourtant, les Libanais pourraient facilement comparer Lageso à un centre d'enregistrement du HCR à Beyrouth ou dans la Békaa un jour de grande affluence, ou encore à leurs propres files d'attente durant la guerre qui a ravagé leur pays, devant les ambassades occidentales pour demander un visa. Les Européens de l'Est compareraient les lieux à une gare moscovite à la veille d'un départ en vacances, la joie de partir en moins.


Les autorités de la ville sont débordées et comme dans tout pays en état d'urgence – à voir l'atmosphère qui règne actuellement à Berlin –, ce sont les volontaires qui viennent à l'aide à Lageso.
Dans cet immense espace qui grouille de monde, des réfugiés sous des tentes en plastique attendent leur tour pour se présenter aux autorités allemandes. Certains font la queue devant un dispensaire. D'autres marchent avec une assiette de soupe fumante, alors que des enfants en bas âge traînés par leur maman s'agrippent à des nounours et des jouets qu'on vient de leur distribuer.
Tous les jours 500 à 1 000 réfugiés arrivent dans la capitale allemande, et jusqu'à la mi-octobre, ils ne pouvaient se faire enregistrer qu'à Lageso. Un autre centre a été ouvert depuis la mi-octobre.
Ici, l'on croise des personnes de toutes nationalités et ethnies, des Syriens, des Kurdes, des Pachtouns, des Afghans, des Slaves...


En 2014, plus de 99 % des demandes d'asile déposées par les Syriens ont été acceptées alors que la quasi-totalité de demandes effectuées par les Serbes, dont le pays est considéré comme sûr, ont été refusées. Il est difficile de faire des pronostics pour 2015, l'Allemagne ne disposant plus de chiffres exacts concernant les demandeurs d'asile depuis le mois de septembre dernier, quand la vague de réfugiés a commencé à déferler sur la Bavière. Tous les jours depuis septembre dernier, 5 000 à 10 000 réfugiés – originaires notamment du Moyen-Orient, d'Afghanistan et des Balkans – arrivent en Allemagne via la frontière autrichienne.

 

(Lire aussi : Plus de 700 000 migrants ont traversé la Méditerranée depuis janvier)

 

Après Tyr, tenter sa chance à Berlin
Mohammad est arrivé fin août. Réfugié palestinien habitant le district de Damas, il a franchi les frontières le séparant du rêve allemand avec son fils de treize ans, laissant une épouse et cinq autres enfants au pays. « J'ai voulu tenter ma chance, trouver du travail. Si ça marche, je ferai venir le reste de ma famille », explique-t-il.
Mohammad a quitté la Syrie il y a trois ans. « Je suis parti pour le Liban. J'ai habité le camp de Rachidiyé dans le sud du pays (caza de Tyr). Peintre en bâtiment, j'ai cherché du boulot. En vain. Le Liban est un pays très difficile pour les réfugiés palestiniens... En Syrie, il n'y avait plus de travail et je devais subvenir aux besoins de ma famille. Je suis quand même rentré chez moi pour quelques mois, puis je me suis décidé à franchir la Méditerranée en bateau pneumatique pour arriver en Grèce », raconte-t-il.
Mohammad devrait encore attendre quelques mois pour que sa demande d'asile soit officiellement acceptée. Il pourra, ensuite, commencer les cours de langue allemande et d'intégration... Entre-temps, il se rend souvent à Lageso à la rencontre d'autres réfugiés syriens. Aujourd'hui, il vient de rencontrer un jeune couple, Alaa et Samia, originaires de Deraa.
Les vêtements qu'ils portent, sous une forte pluie, ne les protègent pas du froid de Berlin, qui a commencé un peu plus tôt que d'habitude cette année.
« J'ai deux enfants, l'un âgé de deux ans et l'autre de huit mois, nous avons décidé de venir en Allemagne quand nous avons vu les images de la station de train (la gare centrale de Munich) et de l'accueil chaleureux que les Allemands ont réservé aux réfugiés », dit-il en claquant des dents, les cheveux ruisselant d'eau.


Pour Alaa, ça valait la peine de prendre la mer et de marcher ensuite, de longs kilomètres, pour atteindre l'Allemagne. « Cela fait quatre ans que je vis clandestinement en Syrie. Je fuyais d'une maison à l'autre, je me cachais des autorités : je suis réserviste de l'armée et je ne voulais pas me battre », explique-t-il. « J'aimerais bien que la guerre se termine dans mon pays. Mais je doute qu'un jour je pourrai rentrer chez moi. Je veux me construire une nouvelle vie ici », ajoute-t-il.
Tout comme Alaa, la majorité des réfugiés syriens croisés à Lageso ont décidé de quitter définitivement la Syrie après le 3 septembre, date à laquelle l'Allemagne a décidé d'ouvrir grandes ses portes aux demandeurs d'asile.

 

(Lire aussi : « J'ai entendu les miens crier durant des heures »...)

 

L'aéroport de Beyrouth pour arriver à Izmir
Tous ceux qui arrivent clandestinement évoquent le même voyage à partir des côtes turques vers la Grèce, et ensuite par voie terrestre à travers les Balkans pour atteindre l'Autriche puis l'Allemagne. La traversée prend une dizaine de jours. Tous ont payé en moyenne 1 200 dollars par personne pour arriver sur les côtes grecques et plusieurs d'entre eux donnent des indications sur leurs passeurs, des Turcs, des Syriens et des Libanais.
Nombre de Syriens transitent également par le Liban – non dans les camps de réfugiés, mais dans des hôtels ou chez des proches – pour partir ensuite en avion vers la Turquie. Cela dépend de la proximité de leur localité d'origine, en Syrie, des frontières turques ou libanaises et de la sécurité des routes pour arriver à Izmir.
À Lageso, Nidal, une Syrienne originaire de la banlieue de Damas et accueillie dans un centre de réfugiés tenu par la mission protestante de Berlin, est passée par Beyrouth. « C'est plus simple d'arriver en Turquie via Beyrouth. Mais pour entrer au Liban, il nous fallait remplir les conditions requises pour l'octroi d'un visa, notamment une réservation d'hôtel ou une invitation d'un Libanais. Il nous faut aussi avoir à disposition une importante somme d'argent ou encore un garant libanais. »

 

(Repère : Réfugiés syriens, nouvelles routes, hiver approchant : le point sur la crise migratoire)


À Beyrouth, le gouvernement a adopté, en septembre 2014, une réglementation applicable aux ressortissants syriens arrivant au Liban. Auparavant, les Syriens pouvaient entrer simplement sur présentation de leur carte d'identité à la frontière. C'est cette nouvelle réglementation qui a stabilisé depuis tout juste un an le nombre des réfugiés syriens à 1,2 million de personnes.
« Nous avons quitté Damas en voiture jusqu'à Beyrouth (via le poste-frontière de Masnaa) où nous avons passé une nuit. Le lendemain nous avons pris l'avion pour la Turquie. Quelques jours plus tard, nous franchissions la Méditerranée », dit-elle.
Nidal est arrivée il y a une semaine à Berlin. Elle est accompagnée de ses trois filles et de son fils. Deux de ses enfants suivaient des cours à l'université, les deux autres étaient à l'école. Elle est venue en Allemagne sans son mari qui travaille en Arabie saoudite. « Il y a un mois, il est rentré en Syrie pour préparer notre voyage et repartir pour l'Arabie. Une fois mes papiers allemands prêts, il nous rejoindra », dit-elle.
L'Allemagne pourrait accueillir cette année entre 800 000 et 1 600 000 réfugiés. Les chiffres diffèrent selon les sources officielles... Même si les données chiffrées demeurent floues actuellement – une première en Allemagne – et même si l'on ignore combien de demandes d'asile seront effectivement acceptées, une chose est quasi certaine : les réfugiés sont là pour rester et ils feront venir leurs proches demeurés au pays, à l'instar des Libanais et des Palestiniens établis sur un mode communautaire depuis de longues années en Allemagne et vivant dans certains quartiers des grandes villes.

* Les noms de certains réfugiés, souhaitant garder l'anonymat, ont été modifiés.

 

 

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commentaires (3)

SECRET DE POLICHINNELLE...

LA LIBRE EXPRESSION

18 h 40, le 28 octobre 2015

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Commentaires (3)

  • SECRET DE POLICHINNELLE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 40, le 28 octobre 2015

  • "Pauvres" syriens ! Il ne leur manquait plus que ça, devoir passer par des routes jonchées de "déchets" libanais(h) !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    09 h 54, le 28 octobre 2015

  • Millions et millions du peuple syrien fuient la guerre sans fin en Syrie et se réfugient dans les pays voisins et aux quatre coins du monde. Le petit Hitler, lui, poursuit son règne à Damas, appuyé par le tsar de Russie et le général Qassem Suleimani des Pasdaran. Un absurde total !!

    Halim Abou Chacra

    05 h 14, le 28 octobre 2015

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