Hania Fadl lors de son entrevue au "Khartoum Breast Care Centre". ASHRAF SHAZLY/AFP
Au Soudan, des mois peuvent s'écouler avant qu'une femme apprenne qu'elle souffre d'un cancer du sein. Une situation qui a poussé Hania Fadl à retourner dans son pays pour ouvrir à Khartoum l'unique centre médical spécialisé.
"Lors de visites au Soudan, j'ai pu observer une augmentation du nombre de femmes atteintes du cancer et un manque d'équipements pour les diagnostiquer et les traiter", témoigne cette radiologue de 68 ans, qui a exercé pendant 30 ans à Londres.
Le centre médical dédié au cancer du sein qu'elle a fondé en 2010 à Khartoum a déjà accueilli des milliers de femmes de tout le pays, mais également du Soudan du Sud voisin, du Tchad ou d'Ethiopie.
Dans les couloirs de cette clinique à but non-lucratif, Aïda Abdoulla, fatiguée par quatre mois de chimiothérapie, raconte qu'elle va bientôt être opérée. Originaire de l'Etat du Nil Blanc (sud), cette femme de 49 ans a dû attendre des mois pour que son cancer du sein, qui s'est propagé au foie, soit détecté. C'est le cas de nombreuses Soudanaises, souvent diagnostiquée à un stade déjà avancé de la maladie.
"Toute ma famille était bouleversée et inquiète car jusque-là nous n'avions jamais entendu parler de cette maladie", confie-t-elle dans l'établissement ultra-moderne décoré de rubans roses, symboles de la campagne annuelle de mobilisation contre le cancer du sein.
Dans sa région, des médecins lui avaient dit qu'elle souffrait d'un mal de poitrine, d'une infection, d'arthrite ou encore d'une élongation musculaire.
Forte de son expérience à l'étranger, Hania Fadl avait l'expertise nécessaire pour se lancer dans l'aventure à Khartoum. Elle avait également les fonds nécessaires car la fondation caritative présidée par son ex-mari, l'homme d'affaires soudano-britannique Mo Ibrahim, a fait un don de 14 millions de dollars pour construire le "Khartoum Breast Care Centre".
"Cela a été une vraie épreuve, ça a demandé beaucoup de persévérance et d'argent", assure Mme Fadl dans un anglais à l'accent britannique. Elle a notamment dû ignorer les mises en garde de conseillers financiers qui l'exhortaient à abandonner ce projet.
Officier de l'Empire
Hania Fadl, qui s'apprête à quitter son centre pour quelques jours pour recevoir la semaine prochaine à Londres la décoration d'Officier de l'Empire Britannique, réside dans un appartement situé au-dessus des couloirs impeccablement propres de sa clinique, où des femmes vêtues de robes traditionnelles colorées passent d'une salle d'une salle à l'autre, anxieuses.
Son objectif est que les patientes qui peuvent s'offrir les traitements nécessaires participent au financement des soins de celles qui ne le peuvent pas, comme Aïda Abdoulla, dont toute la chimiothérapie et 80% de la chirurgie ont été prises en charge par le centre. Nombre de femmes qui fréquentent l'établissement n'ont pas de quoi s'acquitter des 50 dollars nécessaires à une mammographie.
En l'absence de statistiques précises au ministère de la Santé, Mme Fadl a entendu que sur près de 2.000 femmes diagnostiquées au Soudan chaque année, environ 60% décèdent à cause d'un manque de soins appropriés. Ce problème du dépistage tardif et de la pénurie d'infrastructures spécialisées dans le traitement du cancer du sein touchent de nombreux pays en voie de développement.
"Deux tiers des personnes qui décèdent d'un cancer du sein (...) vivent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire", explique Ophira Ginsburg, spécialiste de cette maladie à l'Organisation mondiale de la santé.
Gérer un centre de soins au Soudan, aussi moderne soit-il, n'est pas chose aisée. Le pays est durement affecté par l'embargo américain imposé depuis 1997 en raison de violations des droits de l'Homme et des liens du régime du président Omar el-Béchir avec des groupes armés radicaux.
Et lorsque le mammographe acheté à une compagnie américaine est tombé en panne en avril, le centre a dû attendre dix semaines pour obtenir un permis autorisant un ingénieur de venir le réparer avec des pièces de rechange.
Un certains nombre de patientes avaient été priées de rebrousser chemin. "Mais nous avons des femmes du Soudan du Sud ou du Darfour qui vivent un enfer (à cause de conflits armés, ndlr) pour se rendre jusqu'ici...", se désole la fondatrice de l'établissement.