Le président russe Vladimir Poutine et son homologue égyptien Abdel Fattah al-Sissi à Sotchi, le 12 août 2014. RIA-Novosti/Kremlin Pool/Alexei Druzhinin/AFP
À la différence des autres puissances sunnites du Moyen-Orient, menées par l'axe Riyad-Ankara, l'Égypte a apporté son soutien à l'offensive russe en Syrie, estimant que l'intervention « aura un impact sur la lutte contre le terrorisme en Syrie et aidera à l'éliminer ». Compte tenu des excellentes relations qu'entretiennent Le Caire et Moscou depuis l'accession au pouvoir du maréchal Abdel-Fattah al-Sissi en juin 2014, cette position ne semble pas vraiment surprenante.
Comme l'expliquait à L'Orient-Le Jour Karim Émile Bitar, directeur de recherches à l'Institut des relations internationales et des stratégies, au moment de la visite d'État effectuée par le président Vladimir Poutine en Égypte, (voir notre édition du 11/02/2015) : « Il y a aujourd'hui chez Sissi et Poutine une hostilité viscérale commune envers l'islamisme. » À l'instar de Moscou, Le Caire ne fait pas de différence entre les islamistes et les jihadistes, et considère, à ce titre, que la lutte contre le terrorisme implique tout autant le combat contre l'organisation État islamique (EI) que celui contre les Frères musulmans. Ayant fait, sur son territoire, de la lutte contre le terrorisme la pierre angulaire de sa politique intérieure, il est assez logique que le président Sissi salue les raids russes menés contre les rebelles syriens, dominés par des groupes de tendance islamiste et/ou jihadiste.
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Dans son discours prononcé le lundi 28 septembre devant l'Assemblée générale des Nations unies, M. Sissi appelait les puissances internationales à la formation d'un front antiterroriste. Une demande qui fait écho à la volonté de Moscou de former une nouvelle coalition contre l'EI. Outre le fait qu'il peut irriter les Américains, qui conservent malgré tout une alliance quasi organique avec l'Égypte, le soutien du Caire aux offensives de Moscou en Syrie est un nouvel exemple de l'absence d'unité au sein du « front sunnite ». Le Caire ne peut ignorer que les raids russes touchent notamment les positions de l'Armée de la conquête, une coalition de groupes rebelles menée par le Front al-Nosra – branche syrienne d'el-Qaëda – et le groupe salafiste Ahrar el-Cham, et parrainée par l'axe Riyad-Ankara et Doha. Sa position en Syrie diffère-t-elle alors fondamentalement de celle de son allié saoudien?
Sérieuses divergences
Alors que Riyad continue de réclamer le départ de M. Assad, qu'Ankara critique ouvertement les frappes russes et réclame l'établissement d'une zone d'exclusion aérienne dans le nord de la Syrie, Le Caire fait au contraire du « combat contre le terrorisme » sa priorité. Dans son allocution devant les Nations unies, le président égyptien a d'ailleurs « mis en garde contre un effondrement de la Syrie et sa tombée aux mains des terroristes ». Des paroles qui rappellent, dans une certaine mesure, la rhétorique du régime syrien et qui s'éloignent sensiblement du discours officiel du royaume saoudien. Plusieurs médias font par ailleurs état d'une visite, à la fin du mois d'août, du chef de la Sécurité nationale syrienne, Ali Mamlouk, en Égypte, alors que le Daily Star rapporte de son côté que les autorités égyptiennes et syriennes seraient convenues de reprendre leurs relations diplomatiques et leur coopération sécuritaire.
(Lire aussi : Comment le général Soleimani a préparé les frappes russes en Syrie)
Si le lancement de l'opération Tempête de la fermeté contre les rebelles houthis au Yémen laissait supposer une réelle entente entre Riyad, Le Caire, Ankara et Doha pour contrer l'influence du rival iranien, les autres théâtres d'opérations dans la région témoignent de sérieuses divergences de points de vue entre tous ces acteurs. Les situations en Syrie et en Libye donnent notamment lieu à des stratégies différentes, voire concurrentes, mais leur principal opposition concerne, a priori, la délimitation de la notion de « groupes terroristes » : faut-il ou non intégrer les Frères musulmans ?
À ce sujet, Riyad semble avoir fait évoluer sa position depuis l'accession au trône du roi Selmane. Dans un article publié sur le site Orient XXI, Alain Gresh, journaliste spécialiste du Proche-Orient, explique que s'opère depuis quelques mois un « rapprochement à petits pas entre l'Arabie saoudite et les Frères musulmans », justifié par le fait que Riyad considère désormais l'influence iranienne dans la région comme la principale menace à laquelle il est confronté. Selon M. Gresh, ce rapprochement « indispose l'Égypte » et démontre que « l'amitié sans faille entre l'Arabie saoudite et l'Égypte relève du mythe ».
Bien qu'imparfaite, l'alliance entre l'Égypte et l'Arabie saoudite est beaucoup trop essentielle aux deux acteurs pour être remise en question du jour au lendemain. Mais leurs divergences de points de vue sur plusieurs dossiers régionaux pourraient, à terme, fragiliser leur relation. D'autant plus si Le Caire continue de vouloir se positionner comme le parangon régional de la lutte contre le terrorisme au moment où Riyad cherche, au contraire, à rassembler derrière lui les puissances sunnites pour contrer l'« impérialisme chiite ».
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commentaires (3)
ESPERONS QUE LE SISSI NE REVE PAS ET VOIT JUSTE !
LA LIBRE EXPRESSION. VERITES ! EQUITE !
20 h 14, le 09 octobre 2015