En Syrie, historiquement, l'État, le parti et l'armée incarnent les trois institutions-clés du pouvoir. Mais le cadre d'analyse privilégié est celui de la prépondérance du facteur individuel, dans lequel le pouvoir s'est structuré autour du président Hafez el-Assad, puis de son fils Bachar et de ses réseaux, à partir de juin 2000.
Depuis une quinzaine d'années, le politologue Steven Heydemann souligne les limites de cette analyse. Dans un article publié en octobre 2000, D'Assad à Assad-La politique syrienne n'est pas un théâtre d'ombres, il rappelle la floraison d'études qui se concentrent essentiellement sur la personnalité de Hafez el-Assad pour comprendre le système du pouvoir en Syrie. Il relève que « la raison pour laquelle on a si follement spéculé sur ce qui se passerait en Syrie après la mort de (Hafez), c'est la conviction à peu près générale qu'Assad était la Syrie, qu'il dirigeait le pays absolument comme bon lui semblait et qu'il y contrôlait tout ».
S'il s'accorde sur la centralisation forte du pouvoir en Syrie, la prégnance du poids des réseaux clientélistes dans les institutions, la personnalisation progressive d'un régime, il rappelle cependant que la focalisation sur le facteur individuel revient à « refuser de voir la nécessité pour le pouvoir de construire des coalitions et la pratique de cette construction. Mais surtout, c'est s'interdire de prendre au sérieux les institutions ».
À l'époque de Hafez el-Assad comme à celle de son fils Bachar, le poids écrasant de la personnalité du président renvoie une image déformée de la réalité des cercles de pouvoir et de leurs rapports de force. Cette focalisation réductrice occulte la question de la légitimité de l'exercice d'un pouvoir qui ne repose pas uniquement sur le recours à la puissance des appareils d'État (armée et services de renseignements) et, comme le souligne Heydemann, minimise aussi la dimension « opérationnelle » des institutions politiques, administratives, religieuses et culturelles du pays.
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Instrumentalisation permanente
Pour Stéphane Valter, maître de conférences à l'Université du Havre, ex-secrétaire de l'Institut français d'études arabes de Damas et auteur de La construction nationale syrienne. Légitimation de la nature communautaire du pouvoir par le discours historique, « même si la direction politique syrienne a un caractère nettement autoritaire, de nombreux services de l'État fonctionnent aujourd'hui encore avec une certaine marge d'autonomie. De plus, dans les différentes structures de l'État travaillent différents types de fonctionnaires qui ne sont pas directement liés aux décisions politiques : ce ne sont que les petits rouages d'un vaste système ».
Par ailleurs, il précise que dans la configuration actuelle du conflit syrien, dans les régions contrôlées par le pouvoir, les fonctionnaires hostiles au système continuent néanmoins d'accomplir les tâches de leur service dans les institutions civiles alors que d'autres le soutiennent « soit par zèle politique – voire par dynamique communautaire –, ou plus mollement, par simple attachement à l'idée que l'État doit continuer à assurer ses missions, même quand les circonstances sont tragiques. Sauf peut-être au niveau décisionnel, beaucoup d'individus font fonctionner l'énorme machine étatique pour des raisons différentes mais finalement convergentes : conviction, habitude, nécessité ».
(Commentaire : Plus de temps à perdre en Syrie)
Un examen attentif des structures du pouvoir syrien montre que les institutions occupaient une place importante bien avant l'accession de Hafez el-Assad au sommet de l'État. L'instrumentalisation permanente et continue de ces structures a engendré leur progressif affaiblissement, sinon leur déliquescence. Selon l'auteur, « chaque institution devrait normalement remplir une fonction, même vile. Si on prend le cas du parti Baas, on voit bien que c'est une structure partisane – et on peut même dire une institution étatique – vide. Malgré sa constitution (panarabisme, socialisme et laïcité, dans un cadre certes très contrôlé), et l'idéalisme (autoritaire) des fondateurs, il n'est depuis longtemps qu'une vitrine idéologique : des slogans creux auxquels personne ne croit. C'est aussi et surtout un moyen supplémentaire – si besoin était – de contrôler les masses. Malgré tous ces défauts, il me semble que ce parti mériterait de ne pas disparaître brutalement dans un scénario de changement de pouvoir, car il porte quand même des valeurs sur lesquelles s'est bâti l'État syrien ».
Par conséquent, si l'on ne peut pas parler de « coquille vide », dans le sens où un attachement au légalisme et au fonctionnement de ces institutions sont bien réels, le problème réside dans l'hégémonie pesante de la minorité dirigeante et sa mainmise sur ces institutions au service d'une minorité.
Cette analyse rejoint celle de Peter Harling, qui dirige le projet Égypte / Syrie / Liban du programme Moyen-Orient de l'International Crisis Group (ICG), et qui estime que « certains acteurs extérieurs en panne de politique qui espèrent pouvoir obtenir une transition avec le maintien de l'État ou du régime syrien, d'un côté, et le départ du président Assad, de l'autre, se bercent d'illusions pour deux raisons. Assad est indispensable au maintien d'une certaine cohésion au sein du régime. Et, le régime se maintient, lui, en cannibalisant ce qui reste d'un État. Au nom de sa préservation, il sacrifie ses institutions, ses ressources, sa souveraineté et sa dignité à la survie du régime, dans ses aspects les moins légitimes justement ».
Selon cet expert, « les Russes et les Iraniens sont beaucoup plus réalistes et cyniques : ils comptent soutenir Assad jusqu'au bout, par crainte d'un effondrement de la structure du pouvoir – un vide et une prise de risques qu'ils ne voient aucune raison de tenter ».
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Assad est la Syrie d'accord, mais tous les analystes à 2 balles d'accord mais si la Syrie c'est assad alors il n y plus d'assad deja !! Haha
14 h 04, le 30 septembre 2015