Depuis le début du conflit syrien en 2011, les violences ont déplacé plus de quatre millions de réfugiés et près de huit millions sur le plan interne AFP PHOTO / ARIS MESSINIS
L'arrivée de plusieurs centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants, en quête d'un refuge loin des conflits, place l'Union européenne en face de deux réalités difficiles. Premièrement, ses États membres ne respectent pas tous leurs obligations, que ce soit les uns vis-à-vis des autres ou au regard du droit international. Deuxièmement, sa position à l'égard de la guerre civile syrienne se révèle intenable. Soyons clairs : l'échec des démarches en faveur de la paix en Syrie s'avère tout aussi grave que l'erreur consistant à tourner le dos à ceux qui fuient les persécutions.
Les défaillances de la législation européenne en matière de droit d'asile, de même que les différences caractérisant les pratiques de ses États membres, sont visibles depuis déjà un certain temps. Seulement voilà, alors que 350 000 réfugiés ont traversé les frontières européennes et plus de 2 600 ont péri noyés afin d'y parvenir au cours seulement des huit premiers mois de cette année, nous sommes désormais contraints d'ouvrir les yeux. Les conditions inhumaines que subissent ces réfugiés sont absolument inacceptables.
Outre la fameuse division « Nord-Sud » née de la crise économique, la sortie potentielle du Royaume-Uni hors de l'UE et la gravité de la situation en Grèce, voici désormais qu'une nouvelle brèche vient de s'ouvrir en Europe entre sa partie est et sa partie ouest. Or, l'UE ne peut plus se permettre aucune fissure. C'est la raison pour laquelle tous les moyens possibles doivent être employés afin de conduire ses États membres à se conformer à leurs obligations juridiques internationales et européennes.
Cette même urgence doit s'appliquer aux efforts de paix en Syrie ; n'oublions pas que les migrations actuelles sont le produit d'une longue guerre civile au sein du pays, conflit aussi violent que multiple dans ses divisions. La gravité de la situation syrienne ne saurait être surestimée. Depuis le début du conflit en 2011, les violences ont déplacé plus de quatre millions de réfugiés et près de huit millions sur le plan interne. Plus de 200 000 personnes y ont perdu la vie. À titre de perspective, plus de la moitié des 22 millions de personnes qui vivaient en Syrie en 2011 ont été soit tuées, soit déplacées.
Le contrôle du territoire de la Syrie est aujourd'hui divisé entre le régime du président Bachar el-Assad, plusieurs groupes armés d'opposition, les Kurdes et l'État islamique. La guerre civile a permis au groupe extrémiste État islamique de bâtir ses propres capacités jusqu'à un point auquel, si le régime syrien s'effondrait aujourd'hui intégralement, le groupe serait probablement en mesure d'exploiter la vacuité du pouvoir jusqu'à prendre le contrôle sur l'ensemble du pays.
L'affirmation russe selon laquelle la Syrie serait confrontée à un choix entre Assad et l'État islamique s'avère défaillante. Les suspicions quant aux intentions de la Russie se sont dernièrement accentuées, dans la mesure où le pays aurait semble-t-il renforcé son aide au régime d'Assad, allié de longue date, et promu de plus en plus ouvertement une coopération avec le régime en direction de la lutte contre l'État islamique.
Bien que le souci russe d'un maintien d'Assad au pouvoir soit très probablement motivé par les propres intérêts de la Russie, et notamment le maintien de son influence au Moyen-Orient, le pays a raison sur une chose : l'État islamique doit être stoppé.
Et il y aurait une grave erreur à considérer cette victoire possible sans une solution politique au conflit syrien – conflit ayant permis la croissance explosive du groupe terroriste. C'est seulement à condition que les puissances étrangères raisonnent au-delà des simples opérations militaires et qu'elles élaborent une solution politique à la crise que pourra aboutir la lutte contre l'État islamique.
Une telle solution politique devra d'abord et avant tout refléter une compréhension des erreurs passées ainsi qu'une volonté de ne pas les reproduire. Rappelons-nous qu'en Irak, la tentative de reconstruction de l'État avait débuté par le démantèlement intégral du régime de Saddam Hussein et de l'ensemble des structures de gouvernance existantes. Le vide de pouvoir engendré par cette approche s'est trouvé comblé par les milices sunnites et finalement par l'État islamique.
Pour la Syrie, ceci signifie qu'une partie de l'État existant, y compris de la secte alaouite d'Assad, devra être intégrée à une coalition élargie, qui devra également faire intervenir l'opposition et les Kurdes. À défaut d'une telle représentation, aucun gouvernement syrien ne pourra espérer défaire les forces terroristes et mener le pays vers un avenir plus stable.
Bien entendu, la mise en œuvre d'une telle solution ne sera pas facile – notamment eu égard aux importantes divisions qui caractérisent les puissances étrangères concernées. Tout comme la Russie, l'Iran – pays essentiel à la réussite de toute solution – soutient le régime. Dans le même temps, l'Arabie saoudite, la Turquie et le Qatar se refusent à approuver la moindre solution faisant intervenir Assad.
Cette impasse ne peut plus durer. Et, fort heureusement, elle ne constitue pas une fatalité. Toutes les crises s'achèvent de la même manière : lorsque toutes les parties prennent place à la table des négociations. Tel doit aujourd'hui être l'objectif en Syrie.
C'est ici que le leadership de l'UE peut se révéler crucial : l'exercice d'un tel leadership exigera des États membres de l'UE qu'ils maintiennent une position commune, tout en soutenant les efforts de l'envoyé spécial des Nations unies pour la Syrie, Staffan de Mistura, aux fins d'une collaboration avec tous les acteurs concernés – parmi lesquels l'UE, les États-Unis, la Russie, l'Iran et l'Arabie saoudite – et en vue de la paix en Syrie.
Une première étape judicieuse consisterait à appeler au rassemblement du groupe baptisé E3/EU+3 – composé des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'Onu (Chine, France, Russie, États-Unis et Royaume-Uni), de l'Allemagne et de l'UE. Sachant que ces États sont récemment parvenus à surmonter leurs différences marquées jusqu'à conclure un accord nucléaire avec l'Iran, ce groupe pourrait se révéler idéalement propice à l'élaboration d'un consensus autour d'une solution politique en Syrie. Les négociations pourraient ensuite progresser via l'intégration d'autres acteurs majeurs, notamment l'Arabie saoudite, l'Iran et la Turquie.
La Syrie est désormais à court de temps. Assiégé, son peuple subit la brutalité et le chaos depuis bien trop longtemps, ne trouvant répit que dans de très rares pays et n'ayant d'autre choix que d'entreprendre des migrations beaucoup trop périlleuses. L'Assemblée générale de l'Onu ne saurait clore sa 70e session sans avoir pris des mesures décisives en faveur de négociations efficaces – et d'une solution véritable. Le monde, poussé par l'UE, doit œuvrer pour une paix en Syrie dès aujourd'hui, et pour l'établissement d'un État solide et capable de préserver cette paix à l'avenir.
© Project Syndicate, 2015.
Traduit de l'anglais par Martin Morel
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Si, si, juste le temps de l'écraser pour de bon au bääSSdiot !
07 h 38, le 01 octobre 2015