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Nos Lecteurs ont la Parole - Youssef MOUAWAD

Tiens, me revoici dhimmi !

Un dhimmi appartient à la catégorie des « gens du Livre ». Ainsi, d'après le droit musulman, ce serait un chrétien ou un juif, lié à l'état de gouvernance islamique où il réside par le pacte de Omar(1). Ledit pacte lui accorde une protection moyennant l'acquittement d'un impôt de capitation (al-jizia) et d'un impôt foncier (kharaje). En outre, ledit dhimmi doit assumer certaines obligations, et souffrir certaines discriminations et avanies en contrepartie desquelles sa sécurité est assurée et une liberté de culte restreinte lui est accordée (cf. Wikipedia). Cette catégorie juridique est tombée en désuétude même si l'appellation dhimmi perdure dans le jargon des tribunaux religieux, la charia.
Et de fait, on avait tout lieu de croire que cette notion était reléguée aux oubliettes et n'intéressait plus que médiévistes, islamologues et autres glossateurs
Or, voilà qu'avec les victoires militaires des takfiristes, on assiste à la résurgence du statut légal des « gens du Livre ». Et pourtant, les tanzimate de l'Empire ottoman m'avaient affranchi de mon statut de protégé dans l'espace de « dar al-islam ». Depuis le XIXe siècle, les réformateurs de la Sublime Porte ont lâché du lest à l'endroit des minorités religieuses. Le rescrit impérial de Gùlkhane de 1839 et le firman de réforme de 1856 ont garanti aux minorités religieuses, des deux rives européenne et asiatique du sultanat, l'égalité avec les musulmans devant la justice et l'impôt, ainsi que les immunités traditionnelles en matière d'organisation interne de leurs communautés confessionnelles. Ces réformes qui ont bouleversé le paysage politique de l'époque ont été promulguées sous la pression des puissances européennes. Elles ont assuré à tous les sujets de l'empire, indépendamment de leur appartenance religieuse, la sécurité et l'honneur. Leurs biens étaient désormais protégés et leurs droits légaux préservés(2).
Alors, que dire quand Daech vient de déterrer le pacte de Omar pour régir le statut des « nassara » de Syrie qui relèvent de sa juridiction? Les chrétiens du village syrien de Qariatayn dans le district de Homs ont été sommés, pour le cas où ils ne se convertiraient pas à l'islam, de déguerpir à moins de signer le fameux accord qui régenterait leur « condition humaine » à l'ombre tutélaire du sabre de l'EI. Les clauses de ce contrat d'adhésion sont multiples. Ainsi, nos coreligionnaires syriens seront soumis à l'obligation de ne pas édifier des lieux de culte, de ne pas exhiber les signes extérieurs de leur appartenance à la religion du Christ, de ne pas sonner les cloches et de faire le dos rond du moment qu'ils sont tolérés. En contrepartie de la protection que ces messieurs de Daech leur accordent, le mâles adultes devront payer la jizia, cet impôt qui grevait les bourses des chrétiens et des juifs sous le règne des califes et même plus tard.
Charmantes perspectives(3)! Et « peut-être est-ce bientôt mon tour » de voguer sur le radeau d'Isis (EI) à la recherche d'un âge d'or révolu.
Mais c'était compter sans la réaction de dar el-fatwa égyptien qui a souligné son opposition à ces procédés anachroniques et a condamné le paiement de la jiziia en l'espèce. Cette mesure procéderait, d'après l'instance religieuse, d'une volonté de légaliser un procédé inique, relevant de la flibuste. L'observatoire de cette vénérable institution vient nous donner une leçon de courage et de tolérance dans la tourmente que vit la région avec la multiplication des mini-États rigoristes et l'instauration de pouvoirs arbitraires.
Cet observatoire rappelle que certaines catégories juridiques comme la dhimmitude ont été prescrites avec le temps et que l'État moderne se base sur les notions de citoyenneté, de règle de droit et de contrat social. Dans l'aire culturelle qui est la nôtre, il n'y a plus donc de distinction entre musulmans et non-musulmans ; tous sont égaux devant la loi, assumant les mêmes obligations vis-à- vis de l'État.
Prenant la parole au nom d'al-Azhar à Tirana, la capitale albanaise, Muhieddine Afifi confirme de vive voix cette opinion et ajoute que le dialogue entre religions doit se poursuivre dans un profond respect de l'autre. Et ce n'est pas être tolérant que d'adopter une attitude passive ou indifférente face à la tyrannie prétendument religieuse dont serait l'objet une personne ou un groupe. Avec ces mots, l'érudit engagé qu'est Afifi met un devoir d'intervention à la charge des membres de sa communauté qui ne font rien pour s'opposer à l'injustice.
De tels propos sont d'une grande dignité et d'un courage certain à un moment où les Ponce Pilate se lavent les mains et laissent faire au prétexte qu'ils ne peuvent rien contre les déferlantes salafistes ! Sachant ce qu'il faut d'audace pour contrer les fous de Dieu en cet Orient arabe, une telle intervention vaut la peine d'être soulignée, comme il est à déplorer que pareille saillie n'ait point fait d'émules dans les rangs de nos concitoyens en deçà des frontières albanaises.
Or, la tolérance, comme la liberté, implique que l'on prenne des risques.

Youssef MOUAWAD

1- La plus ancienne version conservée du « pacte de Omar » date du XIIe siècle. Il semble que ce soit en fin de compte un texte apocryphe rédigé par un prêtre ou un moine nestorien ! Voir C. E. Bosworth, « The Concept of Dhimma in Early Islam ».
2- « Histoire de l'Empire ottoman », dir. Robert Mantran, 1989, Fayard, p.497.
3- Aux dernières nouvelles, les églises de Mossoul étaient converties en abattoirs !

Un dhimmi appartient à la catégorie des « gens du Livre ». Ainsi, d'après le droit musulman, ce serait un chrétien ou un juif, lié à l'état de gouvernance islamique où il réside par le pacte de Omar(1). Ledit pacte lui accorde une protection moyennant l'acquittement d'un impôt de capitation (al-jizia) et d'un impôt foncier (kharaje). En outre, ledit dhimmi doit assumer...

commentaires (1)

"Sachant ce qu'il faut d'audace pour contrer les fous de Dieu en cet Orient arabe, une telle intervention vaut la peine d'être soulignée, comme il est à déplorer que pareille saillie n'ait point fait d'émules dans les rangs de nos concitoyens en deçà des frontières albanaises." ! Quid de HARIRI ? Wâlâoû !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

14 h 01, le 29 septembre 2015

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Commentaires (1)

  • "Sachant ce qu'il faut d'audace pour contrer les fous de Dieu en cet Orient arabe, une telle intervention vaut la peine d'être soulignée, comme il est à déplorer que pareille saillie n'ait point fait d'émules dans les rangs de nos concitoyens en deçà des frontières albanaises." ! Quid de HARIRI ? Wâlâoû !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    14 h 01, le 29 septembre 2015

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