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Mangez, ceci est mon corps

Il ne fait aucun doute qu'il existe un monde invisible. Cependant, il est permis de se demander à quelle distance il se trouve du centre-ville et jusqu'à quelle heure il est ouvert.
Woody Allen

On peut tout reprocher à Rafic Hariri. Et on l'a fait et refait, cent et une fois, surtout dans ces mêmes colonnes. Tout ou presque. Sauf que ce monsieur, depuis 1975, a été le seul, absolument seul, parmi les leaders libanais, à avoir (re)construit quand tous les autres ont détruit. Cet axiome énoncé, rappelé à tous, l'évidence est elle aussi sans appel : la pièce maîtresse de cette entreprise post-Ground Zero, le centre-ville de Beyrouth, est loin, tellement loin d'être un chef-d'œuvre. Aux niveaux politique, économique, urbanistique, architectural, sociologique, anthropologique et esthétique, le résultat va du moyen au désastreux. Pire encore : ce centre-ville souffre d'un mal affreusement libanais : comme chacun des habitants de ce pays, il est ravagé par une crise identitaire, profonde, sournoise, presque incurable. Bien téméraires seraient aujourd'hui ceux qui prétendraient pouvoir définir les limites géographiques, la forme, la nature et la culture de ce wassat el-balad, confondu à tort avec la société à qui a été confié, faute grave absolue, le monopole de sa reconstruction et qui cristallise à elle toute seule un impressionnant volume de fantasmes, de frustrations, de haines et de colères populaires : Solidere.
Pourquoi est-on passé aujourd'hui de manifestations pour un règlement de la crise des déchets ménagers, suivies d'appel à un dynamitage structurel de toutes les formes de corruption, puis d'une démission de tout ou d'une partie du gouvernement Salam et, c'est selon, de l'élection d'un président de la République ou du vote d'une loi électorale, à une résurrection, insensée, de la lutte des classes made in Lebanon ? Pourquoi tient-on absolument à accoupler carpes et lapins dans un gangbang guevariste où l'échelle des priorités devient totalement viciée ? Pourquoi le groupe Nous réclamons des comptes et son agenda caché et fondamentalement délétère sont-ils en train de phagocyter le collectif Vous puez ! ? Pourquoi ne retient-on que l'infinie maladresse et les bêtises suicidaires d'un Nicolas Chammas et pas les (im)postures poujadistes et ultrarevanchardes des Charbel Nahas et consorts? Pourquoi a-t-on parachuté au cœur de l'équation ce centre-ville, alpha et oméga, comme tous les downtowns, d'un objectif cancérigène en diable : le changement de système ?
Urbaniste et politologue, Mona Harb a tout compris: Un centre-ville est un lieu dense qui agglomère une diversité d'échanges et un lieu vivant où de multiples genres d'espaces publics invitent les gens de tous horizons à s'asseoir librement, se prélasser, s'observer, se regarder, se regrouper et, peut-être, se rencontrer.
Soit. Ce lieu, nous ne l'avons pas. Ou alors, il est totalement perverti. Par la réalité et par la perception. Mais non, nous n'allons pas détruire Solidere pour reconstruire un centre-ville rêvé : nous allons le laisser attirer le maximum de touristes possible, puisque nous n'avons, pour l'instant, ni pétrole ni idées. Oui, rien ne nous empêche de pique-niquer aux falafel à Zaytounay Bay, de fumer un narguilé rue Foch ou de jouer au tarnib en chantant Kumbaya devant Aïshti, mais tout devrait nous interdire d'entraver de quelque manière que ce soit l'activité commerciale et économique de ce quartier, finalement comme un autre de la capitale, ou de mettre en péril les milliers d'emplois qu'il génère.
Surtout que nous avons autre chose. Une belle chose, somptueuse souvent, malgré toutes les volontés de la souiller, de la dévoyer. Encore une fois, nous avons cet all man's land, ce placenta éminemment matriciel, ce lieu-nourrice, face à la mosquée al-Amine et à la cathédrale Saint-Georges, qui nous transforme toutes et tous en sœurs et frères de lait : la place des Martyrs, hub de communion transcommunautaire, transfrontalière, transgénérationnelle, qui ne reconnaît pas les riches des pauvres, ni les bac+9 de ceux qui ont quitté l'école à 12 ans, ni, désormais, les 14 des 8 Mars. Un lieu où toutes les rencontres, toutes les intersections se transforment en murs porteurs d'un État-nation qui n'en finit plus de s'écrouler, un lieu où toutes les contestations sont permises, toutes les critiques aussi – sauf, naturellement, quand il s'agit de Hassan Nasrallah ou de Nabih Berry.
Nous l'avons, ce lieu, cet (épi)centre, ce centre-ville, cette place idéalement nommée qui n'attend, en réalité, que nous.

 

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On peut tout reprocher à Rafic Hariri. Et on l'a fait et refait, cent et une fois, surtout dans ces mêmes colonnes. Tout ou presque. Sauf que ce monsieur, depuis 1975, a été le seul, absolument seul,...

commentaires (7)

Centre ville ou pas centre ville ! Rafic Hariri ou non !! nous sommes bien, nous, tous les libanais, dans un puits profonds aux parois lisses prendre prétexte du lieu des manifestations ne résoudra jamais que nous n'avons pas de président et que notre gouvernement survit en pataugeant dans les déchets Il ne faut pas se disperser dans les objectifs que nous connaissons tous en attendant, le centre ville est là, critiquable ou non, il fait parti de Beyrouth, géré par une société libanaise.

FAKHOURI

16 h 20, le 21 septembre 2015

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Commentaires (7)

  • Centre ville ou pas centre ville ! Rafic Hariri ou non !! nous sommes bien, nous, tous les libanais, dans un puits profonds aux parois lisses prendre prétexte du lieu des manifestations ne résoudra jamais que nous n'avons pas de président et que notre gouvernement survit en pataugeant dans les déchets Il ne faut pas se disperser dans les objectifs que nous connaissons tous en attendant, le centre ville est là, critiquable ou non, il fait parti de Beyrouth, géré par une société libanaise.

    FAKHOURI

    16 h 20, le 21 septembre 2015

  • SI LES PETITS FILS ET FILLES ET LES FILS ET FILLES DES ARRIÈRES GRANDS PÈRES ÉRIGÉS EN ZAÎMS PAR LE TURC POUR DIVISER LES SOCIÉTÉS... NE FOUTENT PAS LE CAMP OU NE SONT PAS DÉTRÔNÉS PAR LES MOUTONS... SI RÉVEILLÉS... AUX URNES ( AUTREMENT CE N'EST NI POSSIBLE ET NI CONSEILLÉ ) LA GANGRÈNE QUI RONGE LE PAYS ET LE PEUPLE CONTINUERA À LE RONGER JUSQU'AUX OS...

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 58, le 21 septembre 2015

  • Je suis l'un des nostalgiques de la Place des Canons, des cinémas Rivoli, Byblos, Opéra, Rio, Odéon, Cristal Hollywood, Empire, Roxy, Dunia, Majestic, Schéhérazad...sans oublier le Petit-Sérail. Mais, je suis nostalgique aussi de voir à la tête de l'Etat un Président de la République, libre, intègre, neutre, compétent et 100% libanais, respecté par tous les pays du monde. Mais à qui tu lis tes psaumes Ô Daoud ?

    Un Libanais

    10 h 32, le 21 septembre 2015

  • Le Centre Ville donne une visibilite aux manifestants qu'aucun autre lieu ne donne. Il faudrait un autre lieu qui donne la meme visibilite. L'attention serait alors defocaliser du Centre Ville. Dans le plan directeur de Beyrouth, y a-il un autre lieu prevu a cet effet? Il y a un besoin manifeste de s'exprimer chez toute la population, d'ou tous les tags apparus sur les murs dans beaucoup de quartiers. Une partie de la population qui n'a pas de lien avec la classe politique veut le changement, meme si elle ne sait pas ou il menera.

    Carine Husni

    10 h 28, le 21 septembre 2015

  • Bonjour Mr Makhoul. est- ce un retournement de veste avec la premiere pluie , ou est - ce ce vent d automne qui vous laisse empathique devant le spectacle emouvant d' une ecrasante majorite de la population libanaise vivant dans le deni?

    Hitti arlette

    07 h 00, le 21 septembre 2015

  • A 100 ans d'accords non MEME a un million de pour cents !! RH a au moins reconstruit la ou du monde voulaient en fsire autrement !!

    Bery tus

    06 h 12, le 21 septembre 2015

  • Que les "zaims" éloignent leurs voyous de ce "centre ville" et il ira bien. Ces "zaims" et leurs voyous sont le malheur de ce pays.

    Halim Abou Chacra

    04 h 47, le 21 septembre 2015

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