Les mauvais calculs du régime syrien à Soueida

La mort vendredi dernier du cheikh Wahid Balous, un important dignitaire druze, et de 36 autres personnes dans deux attentats à la voiture piégée à Soueida, au sud de la Syrie, a mis en ébullition les habitants de cette région, qui accusent le régime syrien d'être derrière l'attaque.

« Le cheikh Balous est l'un des plus importants détracteurs du régime syrien », affirme un cadre du Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt, qui suit de près le dossier druze syrien, interrogé par L'Orient-Le Jour, et qui a requis l'anonymat. Selon lui, « le cheikh Balous était derrière l'appel lancé aux druzes de Soueida de ne pas s'enrôler dans l'armée. Il a également initié par le passé des négociations avec des groupes rebelles pour des échanges de prisonniers. Son souci premier était la défense des régions druzes ». Rappelons qu'il y a près de 27 000 réquisitionnés druzes réfractaires, appelés à faire leur service militaire. Le président syrien Bachar el-Assad a fait pression à plusieurs reprises récemment sur les dignitaires druzes pour leur faire changer d'avis.

L'AFP précise par ailleurs que, quelques jours avant la mort du cheikh Balous, les habitants de Soueida avaient manifesté pour demander plus de services de base au gouvernement, notamment de l'eau et de l'électricité. Le dignitaire avait soutenu ces rassemblements, selon un militant.

« Les autorités syriennes ont également proféré des menaces à l'encontre du cheikh Balous qui a été visé récemment par des coups de feu », ajoute le responsable libanais, relevant qu' « en le tuant, ils ont voulu se débarrasser d'un symbole important de la communauté druze en Syrie ». Preuve, selon lui, de l'implication du régime syrien, les réactions haineuses circulant sur les réseaux sociaux de la part des partisans du régime sur la mort du cheikh druze.

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Interrogé par l'AFP, Thomas Pierret, expert de la Syrie à l'Université d'Edimbourg, estime pour sa part que le régime « a éliminé la voix critique la plus influente au sein de la communauté druze ». « Balous symbolisait un mouvement des druzes qui veulent rester indépendants par rapport au régime », souligne également à l'AFP Hassan Hassan, chercheur associé à l'institut britannique Chatham House. « Le régime a ainsi clairement indiqué que ce mouvement ne pouvait être toléré », ajoute-t-il.

Une prise d'écran d'un tweet d'un partisan du président syrien Bachar el-Assad qui se réjouit de la mort du cheikh druze vendredi.

Colère
L'attentat contre le cheikh, qui dirigeait une puissante milice druze, a déclenché la colère des habitants de Soueida, qui ont attaqué des bâtiments officiels et des bases militaires. « L'assassinat a entraîné une vague d'indignation et de frustration énorme au sein de la communauté druze, contre le pouvoir en place. Il est clair que les gens à Soueida n'ont plus confiance dans le régime », ajoute le cadre du PSP, alors que le but de cette attaque visait à intimider les membres de la communauté druze qui voulaient se distancier du pouvoir de Bachar el-Assad.
Au moins six membres du service de sécurité ont été tués samedi, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). Selon le responsable libanais, « d'autres officiers sont retenus de force » par la population. Des manifestants ont également détruit une statue de Hafez el-Assad, père de l'actuel président.

L'assassinat du cheikh Balous a ainsi mis le feu aux poudres dans cette région relativement calme, enclenchant une vive hostilité envers le régime, alors que la communauté druze est divisée depuis le début de la guerre en Syrie, il y a plus de quatre ans, entre partisans du régime ou des rebelles.

(Pour mémoire : Joumblatt exhorte les druzes de Syrie à s’éloigner d’Assad)

Ambiguïtés du régime
La réaction des autorités syriennes semble d'ailleurs assez suspecte. Selon le responsable druze libanais, les médias officiels ont d'abord essayé de retarder l'annonce de sa mort, déclarant à plusieurs reprises qu'il a été blessé. « Le régime tente actuellement de faire pression sur les dignitaires druzes de la région pour apaiser la situation sur le terrain et lancer un appel à la retenue », affirme-t-il, en ajoutant : « Les médias officiels lancent des rumeurs et de fausses nouvelles, alors qu'ils occultent ce qui se passe sur le terrain », estimant louche l'annonce déjà d'une arrestation dans cette affaire.

En effet, l'agence de presse officielle Sana a annoncé que les autorités syriennes ont arrêté hier un membre du Front al-Nosra, la branche syrienne d'el-Qaëda. L'homme arrêté, al-Wafed Abou Tarabeh, a « avoué sa responsabilité dans les deux attentats à la voiture piégée de vendredi », a indiqué l'agence.
De son côté, le chef de la police de Soueida, Mohammad Samra, cité par Sana, a toutefois démenti que des membres de la sécurité syrienne aient été visés. « Les informations diffusées par des agences de presse et des télévisions sur des attaques contre des membres de la sécurité à l'intérieur de Soueida ne sont pas exactes », dit-il. Il a estimé que ces « mensonges (...) visent à porter atteinte à la résistance des habitants de Soueida ».

À Damas, une source de sécurité avait en outre assuré que les manifestations des dernières heures étaient dirigées contre les « terroristes », désignant dans la terminologie du régime tous ceux qui s'opposent au gouvernement.
Des déclarations ambiguës et parfois contraires à la réalité, qui mettent en évidence l'embarras des autorités syriennes face à la réaction de la population druze de Soueida, qui montre un ras-le-bol contre le régime Assad.

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