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Moyen Orient et Monde - Minorités

Assad veut-il punir les druzes de Syrie ?

Il semble qu'il y ait une politique délibérée de la part du régime pour encourager l'avancée des jihadistes de l'EI afin de sanctionner les druzes de Soueida pour leur manque de coopération.

Alors que les minorités chrétiennes et kurdes font l'objet d'une prolifique littérature médiatique, les druzes sont les grands oubliés du conflit en Syrie. Résultat d'une politique du profil bas ou manque d'intérêt, cet oubli ne doit pas cacher aujourd'hui que la communauté druze syrienne est en danger.
La Syrie compte près de 600 000 druzes, qui représentent à peine 2 % de la population. Ils sont présents en nombre dans la région de Soueida, dans le sud du pays. Ordinairement, ils sont un demi-million à vivre dans cette région pauvre, mais actuellement, ils ne sont plus que 350 000. Un grand nombre d'entre eux sont partis travailler dans les pays du Golfe. Il y a en outre, aujourd'hui, près de 500 000 déplacés d'autres régions syriennes dans cette zone, c'est-à-dire plus que la population autochtone.
On trouve également des druzes dans le secteur du mont Hermon (Sud-Ouest) et dans la province de Damas, notamment à Jaramena et Sehnaya, près de Daraya. Au nord, une petite communauté druze (près de 22 000 personnes) est établie dans la région d'Idlib, éparpillée entre 18 villages dans le rif de ce district aujourd'hui sous le contrôle du Front al-Nosra.


(Pour mémoire : En Syrie, des jeunes disent oui au régime mais non à l'armée)

 

Prise de conscience
Les druzes, notamment ceux du Sud, ont refusé de rejoindre la rébellion contre le régime de Bachar el-Assad, et ce malgré les appels répétés, dès le début de la révolte, du leader druze libanais Walid Joumblatt à ses coreligionnaires syriens à combattre aux côtés de l'opposition.
Mais aujourd'hui, la situation commence à évoluer. Ce début de changement dans l'attitude des druzes intervient après l'avancée des jihadistes de l'organisation État islamique (EI) vers le sud de la Syrie, et la prise de conscience par cette communauté minoritaire que le régime d'Assad n'est pas prêt à la défendre en cas d'attaque contre les villages de Soueida.
Selon une source proche de la coalition de l'opposition syrienne, le cheikh Akl druze Hamoud al-Hennaoui a explicitement affirmé dans un discours, il y a quelques jours seulement, que « les habitants de la région de Soueida ne peuvent plus compter sur ce qui s'appelait l'armée arabe syrienne ». Il a appelé à armer cette région pour qu'elle puisse se défendre. Il a en outre appelé à n'écarter aucune faction ou groupe « qui lutte pour la dignité du citoyen et la défense de l'intégrité du territoire ».
Le cheikh Hennaoui a par ailleurs vivement critiqué des propos de la conseillère du président Assad, Louna el-Chebel, qui a refusé aux druzes toute aide de la part du régime face aux jihadistes de l'EI, qui se rapprochent dangereusement de leur région, si les druzes ne s'enrôlent pas dans l'armée.
Toujours selon cette même source, les habitants du village d'al-Haqf répètent à qui veut les écouter que, récemment, le régime syrien a coupé l'électricité et les communications une heure avant une attaque de l'EI. Le même scénario s'est répété pour le village de Jneiné, au sud-est de Soueida. Cette source de l'opposition syrienne qui a requis l'anonymat rapporte par ailleurs les propos de druzes de la région assurant que les forces du régime n'ont même pas essayé d'intervenir pour aider les habitants du village d'al-Haqf, sachant qu'il y a deux casernes militaires aux environs du bourg, laissant les villageois seuls face à la menace des jihadistes.


(Pour mémoire : La Syrie, paradis perdu des Druzes du Golan)

 

Connivence entre l'EI et le régime ?
Cette source avance deux éléments pour expliquer ces derniers événements. « D'abord, d'une manière générale, il y a une sorte de coopération tacite entre le régime de Damas et les jihadistes de l'EI », dit-elle. Selon cette source, « il y a au moins un croisement d'intérêts entre l'EI et le régime syrien, pour ne pas parler de connivence constante entre eux ». Ensuite, concernant plus particulièrement la région de Soueida, « il semble qu'il y ait une politique délibérée de la part du régime pour encourager l'avancée des jihadistes afin de punir les druzes de cette région pour leur manque de coopération et surtout pour leur refus de s'enrôler dans l'armée régulière ».
Un responsable libanais druze, cadre du Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt, qui suit de près le dossier druze syrien, confirme cette thèse en donnant un exemple : quand les forces du régime se sont retirées du camp de Mastouma, dans la région d'Idlib (Nord), face au Front al-Nosra, elles ont dynamité les dépôts d'armes et de munitions. Quand elles se sont retirées de Palmyre, prise par l'EI, les militaires n'ont pas pris une vis avec eux.
La source proche de l'opposition syrienne renvoie, dans ce contexte, à un communiqué publié sur le site de l'ambassade des États-Unis à Damas (fermée) le week-end dernier : les États-Unis ont accusé l'armée syrienne de mener des raids aériens pour appuyer la progression des jihadistes de l'EI face à des groupes rebelles rivaux près d'Alep.

L'EI ou l'opposition ?
Expliquant la politique du régime sur le terrain ces derniers temps, la source libanaise souligne que « quand le régime ne peut plus défendre une position, il laisse les jihadistes de l'EI s'en emparer pour que ces derniers entrent plus tard en confrontation avec la rébellion syrienne. Cela entraînera un affaiblissement des capacités militaires de l'opposition syrienne ».
Selon cette source, la menace jihadiste sur le sud de la Syrie, qui comprend les régions de Deraa, Qoneïtra et Soueida, est bien réelle. « Elle survient après l'échec du régime, appuyé par des miliciens iraniens et du Hezbollah, à reprendre cette région en février et mars derniers. En effet, l'Armée syrienne libre (ASL), présente en force dans la partie sud du pays, a repoussé l'offensive des forces loyalistes, et elle a même repris de nouvelles positions comme le poste-frontière de Nassib avec la Jordanie et la ville de Bosra al-Cham. » Dans cette région, l'ASL dispose de près de 25 000 combattants alors que le Front al-Nosra n'a que trois à quatre mille activistes.
« Puisque le pouvoir n'a plus le contrôle de cette partie du pays qui est désormais sous le contrôle effectif de la rébellion syrienne modérée, il serait donc plausible qu'il facilite l'avancée des jihadistes de l'EI vers cette région pour affaiblir l'opposition », accuse le responsable druze libanais.


(Pour mémoire : Joumblatt exhorte les druzes de Syrie à s’éloigner d’Assad)

 

Le « chantage » de Bachar
La source libanaise revient sur la rencontre qui a eu lieu, il y a un mois, entre les deux cheikhs Akl de Syrie, Youssef Jarbouh et Hamoud al-Hennaoui, et le président syrien. Ce dernier aurait indirectement proféré des menaces à l'encontre des druzes en leur affirmant que les jihadistes approchaient de la région de Soueida et refusant d'envoyer des renforts ou des armes. Il a toutefois insisté auprès des deux cheikhs pour qu'ils fassent pression sur leur communauté afin d'enrôler les druzes réfractaires dans l'armée. Il leur aurait dit que 27 000 soldats (c'est le nombre de réquisitionnés druzes réfractaires) suffiraient à changer la donne sur le terrain.

Prendre position contre Assad
Contrairement aux druzes du Sud qui s'en sont tenus à une certaine neutralité, les druzes d'Idlib ont soutenu les rebelles de l'ASL dès le début de la révolte. « À cette époque, les combattants de l'ASL installaient leurs familles dans les villages druzes pour aller combattre le régime, explique la source libanaise. Puis al-Nosra a pris le contrôle de la région. La relation entre les druzes et les combattants d'al-Nosra a été assez bienveillante, sans incident. Plus tard, les jihadistes de l'EI ont contrôlé cette région durant plusieurs mois avant d'en être chassés. Or, durant cette période, les druzes d'Idlib ont été protégés par les combattants d'al-Nosra. »
Le responsable du PSP explique que Walid Joumblatt a d'ailleurs toujours fait la différence entre les jihadistes d'al-Nosra et ceux de l'EI. « Il s'agit évidemment d'un groupe extrémiste, mais il faut admettre que la majorité des combattants d'al-Nosra sont des Syriens, alors que la majorité des combattants de l'EI sont des étrangers », souligne la source libanaise, ajoutant que « M. Joumblatt a été le premier à affirmer que les combattants d'al-Nosra ne sont pas des terroristes ».
Prenant exemple de la coopération constructive entre les druzes du Nord et la rébellion, la source druze libanaise estime qu'il « faut impérativement renforcer les relations déjà établies depuis des générations entre la communauté druze de Soueida et leurs compatriotes sunnites de Deraa, surtout que ces derniers sont prêts à soutenir les druzes, à l'opposé du régime de Bachar ». « Notre conseil est clair pour les druzes de cette région : alliez-vous avec la rébellion de Deraa, vous combattrez le jihadisme extrémiste de l'EI d'une part, et le régime criminel d'Assad d'autre part. Vous n'avez pas d'autre choix », conclut-il.

 

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