«J'ai toujours senti le besoin d'écrire. Du plus loin que je me souvienne, j'avais la passion des mots. J'écrivais partout, même sur les murs. Ce que je me retiens de faire aujourd'hui, lorsque l'envie me prend de noter mon inspiration directement sur les parois qui m'entourent. Vous comprenez, du coup, pourquoi j'ai tenue à ce que ce soit Yazan Halwani qui illustre la couverture de mon recueil», confie d'une voix claire et rieuse Zeina Hachem Beck. Allure dynamique et décontractée en jeans et tee-shirt, la jeune femme de 34 ans est le démenti vivant du cliché de la poétesse éthérée et
langoureuse.
Pour cette «auteure libanaise, maman de deux petites filles», ainsi qu'elle se définit, l'écriture poétique est une expression vitale. «C'est elle qui vous choisit plutôt que le contraire», assure-t-elle. C'est aussi une «activité fascinante: combiner les mots, les associer, les harmoniser et, au détour d'une phrase, être remué émotionnellement par la force de leurs images, mais aussi celle des nouvelles idées qui en naissent. Et en faire un pont qui me relie aux autres. Car même les plus personnels, les plus particuliers finissent par devenir universels grâce à l'écriture», affirme avec vigueur cette jeune femme qui vit actuellement à Dubaï, où le travail de son mari les a menés avec sa petite famille après quelques pérégrinations dans différents pays du Golfe.
Son inspiration et son esprit restent cependant profondément libanais. «Comme tous mes compatriotes, je suis un mélange de cultures. Je suis née à Tripoli, où j'ai grandi et étudié au Lycée français. J'ai fait mes études de littérature anglaise à l'AUB (BA et MA) et je parsème mes poèmes en langue anglaise de citations (de Verlaine, entre autres) et d'expressions empruntées au français et à l'arabe.»
Ce n'est peut-être pas un hasard si le premier de ses poèmes qui sera publié dans un magazine littéraire anglo-saxon (le renommé Ploughshares américain) est un texte dédié To Hamra... et son cosmopolitisme.
«C'était en 2006. Juste après la guerre de juillet que je n'avais pas vécue au Liban, mais qui a cependant été un déclencheur. Un événement qui m'a fait prendre conscience de ce que je voulais vraiment dans la vie. Me réaliser en tant qu'écrivaine et poétesse. En avoir le statut. Être publiée et non pas rester timidement dans mon coin à écrire des poèmes. Je me suis donc lancée avec To Hamra.»
Entre deux...
Né des souvenirs nostalgiques de ses années d'étudiante en littérature anglaise et de ses pérégrinations à travers les ruelles et boutiques de la «rue rouge», ce poème narratif sera le premier de toute une série dédiée au Liban, sa capitale, ses différents visages, son trilinguisme et ses changements d'identité. En bonne expatriée, Zeina Hachem Beck y mettra sa mémoire des lieux et des personnages typiques (Ali, le célèbre sans-abri de la rue Bliss, par exemple), ainsi que ce désormais esprit libanais toujours « entre deux eaux » ou «deux saisons»: entre guerre et paix; communautarisme et retrouvailles; cultures orientale et occidentale; traditions archaïques et modernité...
Un florilège de textes courts, où l'humour s'allie délicatement à l'émotion, réunis dans To Live in Autumn (référence justement à cette phase intermédiaire qui s'éternise) publié en septembre 2014 par les éditions américaines Backwaters Press (qui lui avaient décerné en 2013 leur prix du meilleur manuscrit).
C'est de ce premier recueil, «qui m'a pris sept ans d'écriture», indique la jeune femme, qui reconnaît travailler et retravailler son style, comme un artisan, que seront tirés les poèmes qu'elle lira demain soir au Bardot. Dont un morceau particulièrement touchant, l'amusant et tout à la fois tragique Correcting my mother's essay qui a été nominé pour le Pushcart Prize pour 2016. Pour le reste, cette férue de théâtre promet une représentation de vers libres, lyriques, sincères et d'esprit partageur avec le public. Avis aux intéressés...