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Liban - Société

II - La délinquance juvénile et la loi : des textes modernes pour une situation des plus archaïques

Bien que doté d'une loi moderne pour la rééducation des jeunes en conflit avec la loi, le Liban ne fait rien pour établir les structures permettant d'appliquer cette législation. Pire encore, sa stratégie favorise la formation de criminels.

La délinquance juvénile n’est pas un phénomène irréversible. Photo Bigstock

La délinquance est une forme d'inadaptation sociale, heureusement réversible pour peu qu'on y porte une attention particulière. Ce terme se définit strictement par rapport à la loi. L'acte délictueux est celui qui entraîne une peine légale.
L'expression « jeune délinquant » signifie un jeune de moins de 18 ans, presque un « enfant », qui commet une infraction à l'une des dispositions du code pénal. Elle doit être distinguée de celle des adultes, dans la mesure où le mineur a une personnalité en formation et en cours de socialisation, alors que celle de l'adulte est déjà affirmée. La criminalité imputable aux jeunes délinquants fait depuis longtemps, à l'échelle internationale, l'objet d'un traitement législatif spécifique qui tient compte de l'âge de l'auteur de l'infraction, justement parce que sa personnalité est en formation et qu'il est toujours possible de l'orienter vers une voie autre que celle de la criminalité.
Cette condition a pu, au fil de l'histoire, justifier un traitement pénal plus ou moins répressif. L'Orient-Le Jour a fait le point sur ce plan avec le magistrat Fawzi Khamis, ancien juge des mineurs et actuel procureur général auprès de la Cour des comptes.
« Punir un jeune contrevenant est une question sensible, explique le juge Khamis. Les criminels mineurs, à l'aube de leur vie, sont souvent les victimes de circonstances sociales. La peine imposée pour un crime commis par un jeune se doit donc de prendre en considération non seulement l'acte lui-même, le type de délit, mais la situation sociale du délinquant, son âge, sa maturité, son sexe et... son avenir. »
En 2002, le Liban a modernisé la législation portant sur la délinquance juvénile. La loi 422, créée contre la drogue et le crime, conformément aux normes internationales, accorde au juge des mineurs de vastes prérogatives et la possibilité d'imposer d'autres alternatives que la prison, comme des mesures d'éducation et de réinsertion. Ses apports les plus importants sont sans doute la présence d'un assistant social lors de l'interrogatoire (sinon un avocat ou la famille), le caractère secret du jugement, ainsi que la possibilité, pour le mineur, de porter plainte contre quiconque l'aurait encouragé à commettre son délit ou son crime.
Conformément à la loi, le principal critère pour l'installation des jeunes privés de liberté dans des centres de protection, de rééducation ou de détention doit être la nécessité de fournir aux intéressés le type de traitement le mieux adapté à leurs besoins, de protéger leur intégrité physique, morale et mentale ainsi que leur bien-être.
« Concernant la protection des mineurs, le juge doit élargir au maximum le spectre de ce qui est considéré comme un abus à l'encontre des enfants. Il ne doit pas seulement prendre en compte le danger quand celui-ci survient, mais trancher dans des cas où l'enfant, exposé à une situation familiale problématique, se trouve de fait sur la mauvaise voie s», poursuit Fawzi Khamis.
Tout cela est très bien, voire magnifique, si seulement tel était le cas. Les magistrats sont effectivement soucieux d'appliquer à la lettre une loi qui favorise une réinsertion des jeunes délinquants dans la société, d'en faire des individus responsables qui ne présentent aucun danger pour la société, mais les autorités ne leur en donnent pas les instruments. Du coup, la plupart des jeunes en conflit avec la loi, s'ils ont plus de 12 ans, se retrouvent en prison, en contact avec des criminels adultes. Au Liban, aucune mesure pénale ne peut être prise contre un mineur de moins de 7 ans, selon les explications du magistrat.
Il est utile de rappeler que la loi 422, qui répond donc seulement dans la forme aux exigences internationales pour sanctionner et réhabiliter des jeunes délinquants, prévoit quatre mesures juridiques :
– La mesure de protection : le mineur est confié à ses parents ou à une famille d'accueil.
– La mesure de probation : le mineur est placé sous la surveillance de l'Upel (Union pour la protection de l'enfance au Liban). Mandatée par le ministère de la Justice et travaillant directement avec les tribunaux pour mineurs, cette association se trouve engagée dès qu'un mineur est en conflit avec la loi, et dès son arrestation afin de l'empêcher d'être maltraité et de garantir le respect de tous ses droits.
L'Upel accompagne le mineur à travers l'ensemble du processus judiciaire, mène des recherches sur la situation sociale, familiale du délinquant et lui fournit le suivi psychologique nécessaire. Ces deux mesures sont appliquées quelle que soit l'infraction commise si l'enfant n'a pas atteint 12 ans révolus.
– Les mesures de rééducation et de correction : les mineurs sont placés dans des centres de rééducation ou de correction, selon la gravité du délit. Ces deux mesures, associées aux mesures de probation, concernent les enfants âgés de 12 à 15 ans.
– Les peines atténuées (amendes ou emprisonnement) concernent les crimes passibles d'emprisonnement à perpétuité ou de condamnation à mort. Entre 5 et 15 ans d'emprisonnement sont requis contre les crimes passibles de la peine capitale commis par des mineurs. Ces peines ne sont théoriquement pas applicables aux mineurs de moins de 15 ans.
Le juge Fawzi Khamis attire l'attention sur le fait que « les sanctions d'emprisonnement prises à l'encontre des enfants sont le plus souvent de courte durée. Elles sont insuffisantes pour leur réhabilitation, et les délinquants mineurs ont généralement tendance à récidiver, ce qui aggrave leur situation ».
« Les adolescents condamnés à des peines de prison sont orientés vers des centres de rééducation en fonction des places disponibles. En ce qui concerne les mesures de liberté surveillée et de protection, on a rarement recours à elles en raison du manque de personnel et de l'absence des structures nécessaires pour l'application et le suivi. Les jeunes délinquants sont le plus souvent placés dans une aile du bâtiment de la prison de Roumieh, spécialement prévue pour eux », explique M. Khamis.

Conditions déplorables d'enfermement
Ces derniers y vivent cependant dans des conditions inadaptées à leur situation, contraires aux normes internationales relatives au traitement des détenus et prisonniers, alors que normalement, les mineurs doivent y être suivis de près pour éviter les effets négatifs de la détention », déplore-t-il.
Ses propos sont confirmés par les ONG en contact direct avec les mineurs en prison. Il n'existe pas de centres de détention spécifiques (prisons) pour mineurs, malgré l'existence d'une aile spécialement aménagée pour eux, au dernier étage du bâtiment C de la prison de Roumieh. Les contacts sont maintenus entre les détenus de tous âges, augmentant le risque d'exploitation des jeunes puisque la séparation n'est pas toujours respectée.
Les mineurs, souffre-douleur de certains gardiens, selon les mêmes sources, sont également victimes de la surpopulation dans les prisons, de carences alimentaires et médicales. Les conditions d'incarcération favorisent en outre la propagation de
maladies contagieuses.
À la prison centrale de Roumieh, dans le quartier des mineurs, les jeunes délinquants dorment à même le sol, entassés dans leurs cellules. Les températures peuvent atteindre - 0° en hiver et dépasser les 40° en été.
Les repas sont souvent froids et de mauvaise qualité. Les mineurs mangent à peine à leur faim, par terre dans leur cellule, et l'eau est distribuée deux fois par jour dans des seaux. Le haschisch et la cocaïne circulent librement, toujours selon les mêmes sources.
Il n'existe aucune structure pour la prise en charge des toxicomanes mineurs, particulièrement ceux issus de milieux défavorisés. Il sont souvent jetés en prison parce qu'ils se droguent, sans aucun programme destiné à assurer leur désintoxication ou leur réhabilitation. Le problème c'est qu'au regard de la loi libanaise, les toxicomanes ne sont pas des personnes malades mais des criminels. Et pourtant, selon la loi 422 portant sur les mineurs en conflit avec la loi, la prison devrait être le dernier recours.
La loi est donc bonne, en théorie seulement. Heureusement que des associations à l'intérieur ainsi qu'à l'extérieur des prisons essaient de compenser les lacunes de l'État en se dévouant à cette cause ingrate.

Prochain article : À 17 ans, Samer prend sa destinée en main

Les établissements de détention pour mineurs
Le Liban compte six tribunaux pour enfants : à Beyrouth, au Mont-Liban, à Tripoli, Saïda, Nabatiyé et dans la Békaa.
Deux établissements accueillent les mineurs condamnés à des peines de prison : la prison centrale de Roumieh et le centre de détention de Fanar, géré par l'Union pour la protection de l'enfance au Liban (Upel). Les jeunes condamnés sont dirigés vers des centres de rééducation dans la limite des places disponibles.
Les autres sont incarcérés dans les prisons pour adultes où plusieurs cas de mauvais traitements, d'abus physiques et mentaux, d'humiliations sont relevés par les ONG qui s'en ocupent. Il n'y a aucun centre de détention spécifique pour les adolescentes délinquantes. Les filles mineures purgent leur peine dans les prisons pour femmes à Baabda, Beyrouth ou Zahlé.

La délinquance est une forme d'inadaptation sociale, heureusement réversible pour peu qu'on y porte une attention particulière. Ce terme se définit strictement par rapport à la loi. L'acte délictueux est celui qui entraîne une peine légale.L'expression « jeune délinquant » signifie un jeune de moins de 18 ans, presque un « enfant », qui commet une infraction à l'une des...

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