Le canal de Suez élargi. Photo fournie par Memac Ogilvy
À la tête d'une fastueuse parade navale et en présence de chefs d'État dont le Français François Hollande, le président Abdel Fattah al-Sissi, qui dirige l'Égypte d'une main de fer, a inauguré hier l'élargissement du canal de Suez pour tenter de relancer une économie à genoux. La cérémonie a cependant été ternie par la menace d'une nouvelle atrocité du groupe jihadiste État islamique (EI), dont la branche égyptienne menace d'exécuter un jeune otage croate travaillant pour une compagnie française.
Ouvert en 1869, le canal de Suez relie la mer Rouge et la mer Méditerranée. C'est l'une des routes essentielles du commerce mondial et une source précieuse de devises pour l'Égypte, qui cherche à relancer une économie en crise depuis la révolte de 2011 qui chassa Hosni Moubarak du pouvoir.
Défilé de Rafale et de F16
L'ex-chef de l'armée, dans son uniforme de maréchal à la retraite, a embarqué en début d'après-midi à Ismaïlia, dans le nord-est, pour conduire la parade à bord d'un élégant yacht qui avait transporté l'impératrice française Eugénie, l'épouse de Napoléon III, lors de l'inauguration du canal en 1869. Il était suivi par la frégate multimissions Fremm achetée à la France, tandis que les trois premiers avions de combat français Rafale commandés à Paris et huit F16 récemment livrés par le grand allié américain ont participé à un défilé aérien.
« Invité d'honneur » de la cérémonie, M. Hollande s'est assis aux côtés de M. Sissi, qui avait revêtu un costume civil pour recevoir ses homologues étrangers.
« En un an, les Égyptiens ont produit un très grand effort pour offrir un cadeau au monde », s'est ému M. Sissi. Le chef de l'État a été interrompu par les sirènes de deux gigantesques porte-conteneurs, premiers navires à emprunter la nouvelle voie du canal sous les applaudissements des invités.
Plusieurs responsables libanais ont assisté à la cérémonie, notamment le Premier ministre libanais Tammam Salam, le président de la Chambre Nabih Berry, ainsi que le ministre de la Défense et vice-président du Conseil Samir Mokbel. L'émir du Koweït, le président palestinien Mahmoud Abbas, le roi Abdallah II de Jordanie et le président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi étaient également présents.
L'élargissement du canal représente l'un des travaux phares de M. Sissi qui avait lancé en grande pompe ce projet comprenant l'ouverture d'une nouvelle voie doublant, sur 35 km, le célèbre canal long de 193 km, et l'élargissement et l'approfondissement d'un tronçon sur 37 autres kilomètres. Le président égyptien avait donné un an pour réaliser ce projet. Pari tenu, grâce à une souscription de quelque 9 milliards de dollars qui a attiré de nombreux Égyptiens.
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Un Croate menacé d'exécution
La nouvelle voie doit permettre de doubler le trafic à l'horizon 2023, assure Le Caire, promettant quelque 97 navires par jour sur le canal contre 49 actuellement. La nouvelle artère permettra la circulation dans les deux sens, réduisant de 18 à 11 heures l'attente des bateaux, et doit faire passer les revenus du canal de 5,3 milliards de dollars attendus en 2015 à 12,3 milliards de dollars en 2023, selon les autorités.
Mais pour des experts du commerce international, il s'agit d'un très coûteux « vœu pieux », voire d'un gaspillage, au moment où la croissance du commerce mondial marque sensiblement le pas. « La priorité pour les armateurs c'est de réduire les coûts du transport, pas d'accroître sa vitesse », commente Ralph Leszczynski, directeur des recherches de la compagnie de courtage maritime italienne Branchero Costa. « La tendance récente est de réduire la vitesse des navires pour réduire la consommation de carburants », explique-t-il.
Pour M. Sissi, toujours avide d'une reconnaissance occidentale depuis qu'il a destitué en 2013 l'islamiste Mohammad Morsi et réprime implacablement toute opposition, ce « nouveau canal » vise aussi à assoir sa légitimité sur la scène internationale. Sa popularité est très grande au sein d'une population égyptienne lassée par quatre années de chaos. Mais les organisations internationales de défense des droits de l'homme jugent son régime – qui réprime dans le sang l'opposition islamiste et muselle toute dissidence libérale et laïque – plus répressif que celui de Moubarak.
En représailles, l'Égypte est le théâtre de nombreux attentats perpétrés par des groupes jihadistes, dont la branche locale de l'EI, « Province du Sinaï ». Ces jihadistes ont menacé mercredi d'exécuter dans 48 heures un Croate de 30 ans, Tomislav Salopek, enlevé près du Caire en juillet, si le gouvernement ne libère pas « les femmes musulmanes » emprisonnées. L'exécution de ce père de deux enfants travaillant pour la compagnie française d'exploration pétrolière CGG changerait la donne pour M. Sissi en effrayant les touristes et les nombreuses entreprises étrangères présentes en Égypte.
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