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Culture - Aix rend hommage à Baalbeck

Le Festival de Baalbeck raconté, et rêvé, par ses artistes

Coup de chapeau à la résistance (et la résilience) culturelle du Liban à la Villa Méditerranée de Marseille, qui a accueilli les artistes de « Ilik Ya Baalbeck » (« À toi Baalbeck ») et la présidente de son emblématique festival. Pour une évocation pleine d'émotion de son histoire.

Une vue de la réunion, avec de gauche à droite : Simon Ghraichy, Fadia Tomb el-Hage, Rafic Ali Ahmad, Etel Adnan, Issa Makhlouf, Talal Haïdar, Nayla de Freige, Naji Hakim, Zeina Saleh Kayali et Nabil el-Azan.

Au lendemain du concert-spectacle donné en hommage au Festival international de Baalbeck (FIB) au théâtre du Jeu de Paume à Aix-en-Provence, c'était au tour de la Villa Méditerranée, à Marseille (un espace de rencontre des cultures du pourtour méditerranéen) d'accueillir une rencontre dédiée au plus ancien et plus prestigieux festival du Moyen-Orient, qui fêtera bientôt ses 60 ans. « Et qui porte en lui toute l'histoire du Liban », comme l'a résumé Serge Telle, président de l'Avitem*, en ouverture de la séance.
Organisée avec le concours du Festival d'Aix-en-Provence et en partenariat avec la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur, cette rencontre entre les artistes qui ont contribué au spectacle et un public curieux de découvrir leur relation à Baalbeck était accompagnée d'interludes littéraires et musicaux. Animée par le poète Issa Makhlouf, cette réunion d'écrivains, de poètes, de compositeurs et de musiciens, tous originaires du pays du Cèdre, a donné lieu à quelques frémissants moments d'émotion.
À commencer par les images des grandes heures du festival international libanais qu'a déroulées le film réalisé par Philippe Aractingi en 2006, à l'occasion des 50 ans du FIB. « Depuis ce film, presque 10 ans se sont écoulés, avec de belles et de moins belles années, des suspensions, des délocalisations et des reprises », dit Nayla de Freige en évoquant les difficultés spécifiques à ce festival, situé dans un site magnifique, mais distant de 40 à 50 km seulement de la frontière syrienne. Déterminée à se battre pour que le festival se poursuive sur son site originaire, la présidente du FIB a affirmé pouvoir compter sur cette « chaîne humaine grâce à laquelle les choses se font. À commencer par ces artistes de disciplines et de sensibilités différentes, qui ont tous accueilli avec enthousiasme l'idée de joindre leurs créations dans un spectacle fédérateur dédié à Baalbeck. Un spectacle qui a un sens réel, affectif ou artistique, pour chacun d'entre eux ». Et puis, comme l'a assuré, dans son mot de bienvenue, le directeur du Festival lyrique d'Aix-en-Provence, Bernard Foccroulle, « entre les festivals d'Aix et de Baalbeck, nous sommes peut-être au début d'une histoire ». Dont le chapitre suivant pourrait être « la présentation l'année prochaine d'un des spectacles d'Aix à Baalbeck. Les négociations sont en cours », a confié Nayla de Freige.

La passion Etel
En attendant, les préparatifs vont bon train pour accueillir ce 31 juillet le spectacle-fresque (dans sa version orchestrale) d'Ilik Ya Baalbeck. Interrogé sur ce qui l'a poussé à entreprendre un projet d'une telle ampleur, le metteur en scène Nabil el-Azan a répondu qu'il s'agissait d'abord à ses yeux « de ne pas laisser l'espace vacant à la barbarie ».
Revenant sur sa passion particulière pour « ce festival qui était toujours une fête et parfois un pèlerinage, comme lorsque Oum Koulsoum ou Ella Fitzgerald s'y produisaient », l'écrivaine et peintre Etel Adnan, « à qui l'on doit, d'ailleurs, l'introduction du jazz dans la programmation de Baalbeck », révélera l'animateur, a égrené avec un enthousiasme contagieux ses souvenirs d'un temps glorieux. Elle a également évoqué l'impact du festival sur la culture au Liban. Sur les carrières de Feyrouz, de Sabah, des Caracalla, ainsi que le soutien qu'il aura apporté au théâtre libanais de Moultaka, de Gebara, de Jalal Khoury, parmi d'autres. Elle a enfin rendu hommage à ses présidentes passées et actuelle, mais aussi aux « habitants de Baalbeck qui ont toujours aimé et soutenu ce festival ».
Des souvenirs et des émotions, il en a fusé autant des évocations de Issa Makhlouf (qui, visitant le site de l'acropole romaine pour la première fois à la veille de la guerre, y rencontrera Aragon, « le fou d'Elsa », raconte-t-il encore émerveillé) ; de Naji Hakim (pour qui « Baalbeck, c'est l'humilité de l'homme face à la puissance spirituelle de la matière... ») ; de Talal Haïdar « le poète de Baalbeck » (qui célèbre avec vigueur la beauté de ses ruines et avec pétulance les traditions de son terroir) ; du jeu véloce et frémissant du très prometteur Simon Ghraichy (présenté par Zeina Saleh Kayalé, qui a aussi rappelé le rôle de commanditaire de spectacles de ce festival) accompagnant au piano le chant modulé de Fadia Tomb el-Hage. Et cette dernière interprétant le poème « Baalbeck » de Nadia Tuéni mis en musique par Gabriel Yared.
Et puis, avant que la rencontre ne se clôture par la très belle interprétation d'une composition de Béchara el-Khoury toujours par le jeune Simon Ghraichy (lequel a exprimé son bonheur à se produire bientôt « entre les murs de ces temples qui sont devenus un sanctuaire de grands moments musicaux »), la voix du flamboyant comédien Rafic Ali Ahmad, qui, entre deux déclamations de poèmes de Talal Haïdar et d'Adonis (en arabe), lancera un vibrant et très applaudi « quand le festival de Baalbeck revient, cela veut dire que la vie et l'espoir reviennent au Liban et dans la région ».

*Avitem : Agence des villes et territoires méditerranéens durables.

 

 

« Ce morceau a quelque chose de primitif, qui convenait à un hommage à Baalbeck »

 


Abdel Rahman el-Bacha.

 

Rien que son nom à l'affiche du concert-spectacle Ilik Ya Baalbeck à Aix-en-Provence a suffi à remplir une bonne partie de la salle du théâtre du Jeu de Paume. Pour Abdel Rahman el-Bacha, il ne s'agit pas d'un concert comme les autres, mais d'un signe de gratitude qu'il manifeste envers le Festival de Baalbeck. Lequel lui « tient particulièrement à cœur » pour le rôle qu'il a joué dans le lancement de sa carrière.
« Je me souviens qu'en 1978, alors que je venais de remporter le Prix de la Reine Élisabeth, j'avais eu l'honneur de me produire en récital au théâtre des Champs-Élysées à la demande du Festival de Baalbek, en remplacement de sa programmation annulée sur son site cette année-là, à cause de la guerre », dit-il.
Regrettant de ne pouvoir être présent à l'Iftitahiya de Baalbeck le 31 juillet, pour cause d'engagements préalables, le célèbre pianiste et compositeur a ainsi tenu à participer à son prélude présenté à Aix-en Provence, en interprétant une pièce de sa composition, intitulée Danse rituelle. Sa prestation filmée par le vidéaste Ali Cherri sera intégrée au grand spectacle de Ilik Ya Baalbeck.
« Ce morceau a quelque chose de primitif, qui convenait à un hommage à Baalbeck », estime Abdel Rahman el-Bacha. Expliquant avoir utilisé pour cette composition « un mode principal purement oriental que j'ai moi-même inventé de façon à ce qu'on puisse le jouer au piano. Avec quelque chose de l'ordre du quart de ton. Et, à un moment donné, une sorte de polymodalité (ou polytonalité) peut-être un peu proche de Bartók, dit-il. Cela sied, à mon avis, au site antique d'Héliopolis et traduit l'image que j'en ai. Celle d'une certaine liberté qui était tout à fait ancrée dans la terre arabe à une époque qui n'avait pas encore de références monothéistes ».

 

« J'avais saisi d'emblée que ce n'était pas un lieu ordinaire »

 


Etel Adnan.

 

«À part moi, seul le vent connaît le chemin... » Premiers mots du poème d'Etel Adnan, qui a ciselé pour Baalbeck un vrai bijou poétique et métaphysique. Avec la sensibilité et la profondeur qui la caractérisent, elle a puisé tout au fond de son être les souvenirs et les images évocatrices... « Quand j'ai eu l'occasion de parler de Baalbeck, tout à coup tout un monde s'est réveillé, confie Etel Adnan. J'ai connu Baalbeck quand j'avais 8 ou 9 ans. Et ce site extraordinaire, ses colonnes, ses monolithes de pierre et plus que tout ce lion sculpté dans l'une de ses frises sont peut-être l'impression la plus forte de mon enfance. Comme tous les enfants, j'avais saisi d'emblée que ce n'était pas un lieu ordinaire. »
«Plus tard, j'ai suivi de très près le festival. Je venais de Californie spécialement les étés pour ne pas rater sa programmation. C'était l'une des plus grandes réussites du Liban. La combinaison de son site impressionnant, du climat de la Békaa, de son organisation impeccable et des réceptions qu'offraient les présidentes après les représentations faisait du voyage jusqu'à Baalbeck une fête à la magie ininterrompue. Aucun festival n'a, à mes yeux, la magnificence de celui de Baalbeck », assure la peintre et poétesse avec une émotion non
dissimulée.
C'est cette même émotion qui lui a fait écrire « un vrai texte », dit-elle. Insistant sur le fait que bien qu'ayant été sollicitée par Nabil el-Azan pour écrire un poème pour Ilik Ya Baalbeck, ce n'est pas un travail de commande qu'elle a réalisé. « Mais un jaillissement personnel, émotionnel, spontané. Il est empreint de mélancolie, car nous sommes dans un moment mélancolique. Et cela depuis une quarantaine d'années. La guerre, ses suites et tout ce qui se passe maintenant nous portent à la tristesse. Mais, ce n'est pas parce qu'il y a des problèmes qu'il ne faut pas croire dans la culture, croire dans la joie qu'apportent tous ces festivals. Baalbeck en tête. Je ne crains pas pour le Liban pour autant. Je fais confiance aux Libanais qui sont courageux et donnent le meilleur d'eux-mêmes quand ils sont confrontés à de vrais défis », conclut-elle.

 

« Avec l'attachement que voue un fils pour sa mère... »

 


Naji Hakim.

 

Sa discrétion et sa modestie sont à la hauteur de son très grand talent. Naji Hakim, organiste et compositeur installé en France depuis plus de 40 ans (il a, d'ailleurs, été successivement l'organiste titulaire de la basilique du Sacré-Cœur puis de l'église de la Trinité à Paris), porte profondément le Liban dans son cœur. « Avec l'attachement que voue un fils pour sa mère », dit-il.
Du coup, lorsque le Festival de Baalbeck le sollicite, il répond tout de suite par la positive et fait même, malgré un emploi du temps chargé en déplacements, un crochet spécial par Aix-en-Provence pour être présent à la soirée d'hommage au théâtre du Jeu de Paume, où deux de ses compositions ont été programmées.
D'abord, Alaykielssalam, une mélodie maronite à la Vierge qu'il avait composée au cours de la guerre de juillet 2006, « en témoignage de paix, de joie et de solidarité », dit-il. Et dont il avait fait 3 versions: pour orgue, pour piano et pour orchestre. C'est la création mondiale de la version originale pour orgue (qui avait été enregistrée au Liebfrauenmunster d'Ingolstadten en Allemagne) qu'il a mis à disposition du concert-spectacle du Jeu de Paume pour servir de support musical à la projection vidéo d'images tirées des grandes heures du Festival de Baalbeck réalisée par Ali Cherri. «Elle sera également insérée dans le grand concert d'ouverture du 31 juillet, mais dans sa version pour orchestre», signale-t-il.
Et puis, pour ce même spectacle aixois, une autre de ses compositions, Esquisses persanes, a été jouée au piano par Simon Ghraichy, dont il dit : « C'est un brillant pianiste, qui a un sens théâtral certain. »
Par ailleurs, pour le grand spectacle du temple de Bacchus, Naji Hakim a spécifiquement composé une œuvre orchestrale. Intitulée Baalbeck, poème dansé, elle s'inspire du folklore libanais et, en particulier, de la fougueuse dabké. Son orchestration se distingue par l'utilisation de percussions typiques du Moyen-Orient, « comme la darbouka, le daf et le mejwez », explique ce musicien « très attaché aux cultures nationales en général et en particulier à celle du Liban ». Et qui a accompli le tour de force de réunir, sur un même diapason, celui d'une composition toujours empreinte de spiritualité, l'orgue et la dabké.

 

 

« Baalbeck porteuse du sens profond de nos peuples »

 


Adonis.

 

«Aussi amère et douloureuse que soit la réalité libanaise et arabe, il reste toujours quelque chose de l'ordre du symbole qui demeure le plus important », assure Adonis. Le célèbre poète libano-syrien a tenu à participer à Ilik Ya Baalbeck dans ses deux versions, aixoise et bientôt baalbeckiote, en dédiant expressément un poème à la Cité du Soleil.
«Car ce qui fait l'histoire des civilisations, ce ne sont pas les événements et les faits politiques, mais les créations et les réalisations d'envergure. Baalbeck en est l'une des plus emblématiques », assure-t-il. Et de poursuivre en expliquant que « ce site antique à la puissance immuable, en dépit de tout ce qui se passe autour comme destruction, barbarie et violence, est porteur, à mes yeux, du sens profond de nos peuples et civilisations. Mon poème (éponyme) est une célébration de Baalbeck, cette réalisation humaine qui fraye avec les dieux. Mais c'est aussi un acte de solidarité avec son festival qui a contribué à l'identité culturelle du Liban et de la région ainsi qu'avec ses responsables qui croient en la pérennité de son rôle ».

 

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