Apparu le visage masqué, dos à la caméra, dans l'émission « Bila Houdoud » de la chaîne al-Jazira, Mohammad al-Joulani a explicité mercredi soir la doctrine du Front al-Nosra. En soi, cet entretien accordé à la chaîne qatarie n'est pas anodin lorsque l'on sait qu'elle fut longtemps un canal d'expression pour le réseau el-Qaëda et reste perçue depuis le début de la guerre en Syrie comme un relais de la propagande du Qatar, allié de la rébellion islamiste.
Selon Talal Atrissi, spécialiste du Moyen-Orient et professeur à l'Université libanaise, l'apparition de Joulani sur al-Jazira, instrument médiatique au service des ambitions de la politique étrangère de Doha, serait « une initiative voulue par le Qatar avec l'appui tacite de la Turquie et l'Arabie saoudite qui misent aujourd'hui sur le Front al-Nosra et cherchent à réhabiliter cette organisation face à l'État islamique (EI) », dont la stratégie converge moins avec celles de ces acteurs.
La grande discorde entre l'EI et al-Nosra se traduit depuis deux ans par plusieurs affrontements sur le terrain en Syrie, la rupture étant consommée lorsque al-Nosra prête définitivement allégeance à el-Qaëda. Aujourd'hui, les deux acteurs mènent une lutte acharnée pour étendre leur influence. Et il semble que pour asseoir sa position de leader du « jihadisme », al-Nosra ait besoin de redorer son image et se faire réintégrer comme organisation fréquentable. Si Joulani a bien réaffirmé l'allégeance du front à el-Qaëda lors de cet entretien, il s'est empressé de rassurer et d'offrir des garanties. Al-Nosra ne serait pas dans une logique de violence aveugle et n'a pas pour projet de s'attaquer à l'Occident, position qui contraste avec la férocité brutale des pratiques de Daech (l'EI). Dans les faits, al-Nosra a graduellement pris ses distances avec el-Qaëda dont le noyau dur organisationnel et idéologique a été détruit après 2001, et les structures locales qui ont revendiqué leur affiliation à la nébuleuse suivaient leur propre agenda politique. Talal Atrissi analyse, dans les propos de Joulani, les menaces en direction du régime de Damas et du Hezbollah comme un discours qui vise uniquement à présenter al-Nosra comme le seul acteur suffisamment puissant pour faire tomber le régime s'il bénéficie d'une adhésion et d'un soutien plus larges. « Joulani n'avait pas besoin d'aller annoncer sur al-Jazira qu'un conflit est en préparation avec le Hezbollah, il est déjà en cours, la bataille du Qalamoun en est un illustre exemple », explique-t-il.
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Limites de la campagne médiatique
L'analyse de la situation sur le terrain montre que si le rapport de force évolue au gré des contextes, le régime de Bachar el-Assad s'était révélé jusque-là plus solide que ne l'escomptaient ses concurrents régionaux. Les pertes territoriales des forces armées loyalistes n'accréditent cependant pas le scénario d'une désintégration totale du régime, mais laissent planer l'ombre de la partition de la Syrie. Si, comme l'affirme Talal Atrissi, ce coup de force médiatique est une reconnaissance tacite d'al-Nosra comme fer de lance de la lutte contre l'EI, que les puissances occidentales devraient appuyer sans réserve, il n'est pas sûr qu'il ait des retombées sur la position américaine dans le conflit syrien. Pour bon nombre d'observateurs, les États-Unis depuis le début de la crise ont apporté à la fois leur soutien au régime et à la rébellion pour affaiblir les forces en présence et prolonger la guerre d'usure dans laquelle s'enlisent les différentes parties. D'un côté, ils auraient mené des attaques ciblées contre les positions jihadistes, de l'autre, ils auraient encouragé leurs alliés régionaux à armer, financer et aider à mettre sur pied une structure dont al-Nosra constitue aujourd'hui la colonne vertébrale. Par ailleurs, la stratégie d'al-Nosra se heurte déjà à la redoutable stratégie de conquête territoriale de l'État islamique qui reste le groupe le plus autonome.
Malgré les propos de Joulani niant tout contact avec les services de renseignements étrangers, al-Nosra entretiendrait des liens avec la Turquie, le Qatar et Israël. Liens confirmés par les observateurs de l'Onu qui ont rapporté depuis 2013 un ensemble de faits corroborant cette thèse. Le rapport accablant de l'Undof (United Nations Disengagement Observer Force), qui observe les frontières de cessez-le-feu entre la Syrie et Israël au Golan, a révélé en 2014 un réseau de contact et de coopération entre des militaires israéliens et des jihadistes d'al-Nosra, les premiers apportant aux seconds un soutien logistique.
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Repères
Damas ne contrôle plus que sa frontière avec le Liban
et alors, je voudrai rapeler ici au Liban quand les israélien sont rentré pour la première fois au Liban ils ont ete accueillis par du riz et des pétale de rose !!! C'est presque pareil avec la Syrie !!
14 h 45, le 29 mai 2015