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Culture - Portrait

Arshile Gorky, emblématique peintre de la diaspora arménienne

D'exil en labeur, de génie méconnu en reconnaissance mondiale, de camouflage de sa propre vie à la révélation d'un talent de peintre exceptionnel, bouleversante « success story » posthume sur fond de malheur et de tourmente.

«The Artist and his Mother».

Une vie de roman. Tragique et rarement lumineuse. Digne d'un mélodramatique film hollywoodien qu'on rêverait tourné par la caméra d'un Atom Egoyan. Plus d'un siècle sépare cet enfant né en 1904 à Hayotz Dzor, près du lac de Van (dont le vrai nom est Vosdanik Manoug Adoian), de la commémoration du centenaire d'un génocide où l'existence s'est perdue entre exil et volonté de réinsertion.
Sous le pseudonyme d'Arshile Gorky, hommage à Maxime Gorki (Gorki voulant dire amer en russe), ardent défenseur de la cause arménienne, se révèle un artiste ténébreux. Crinière de geai, moustache noire fournie, regard ardent, geste brusque, fou de couleurs et de mouvements croqués sur le vif, le peintre du Moine noir, salué avec déférence par André Breton, a patiemment, tout en se jouant de lui-même et du public, bâti une légende monumentale. Celle d'un homme aux multiples masques jusqu'à ce que les aléas du quotidien et leur poisse le terrassent. Avec cancer, perte de la parole momentanée, accident de voiture qui le laisse temporairement paralysé, un atelier qui finit en cendres fumantes avec nombre de ses toiles et abandon de sa femme (à qui on prête une torride liaison avec le peintre chilien Roberto Matta!) emportant souvenirs et enfants dans son giron...
À quarante-quatre ans, la vie l'abandonne aussi (il se suicide par pendaison), mais il y avait déjà derrière lui une œuvre remarquable, unique, considérable.

Mère-patrie
Une légende tissée d'un tourbillon de malheurs et d'un travail vertigineux qui le fait entrer par la grande porte au panthéon de la peinture contemporaine. Désigné comme précurseur de l'expressionnisme abstrait américain, il n'en a pas moins été influencé par Cézanne, Picasso, Miro, Braque, Léger. S'il a tâté du cubisme et du surréalisme, c'est pour mieux trouver sa voie et ses voix ! Bien sûr en chantant avec éclat ses racines et ses souvenirs d'enfance du pays de Grégoire l'Illuminateur où se profilent des églises sur hauts plateaux battus par le vent et fleurissent abricotiers et cerisiers. Et où domine la figure tutélaire et aimée de la mère, métaphore à peine voilée de la mère-patrie. C'est ainsi qu'est perçue la toile la plus emblématique de l'histoire d'un peuple, d'un pays, intitulée The Artist and his Mother. Pour cette toile iconique, inspirée d'une photographie, de par son symbolisme, ses couleurs, sa composition, sa simplicité et la pose de l'enfant et de la mère, les critiques ont évoqué l'inspiration d'Ingres, les bas-reliefs de l'église Aghtamar, l'art funéraire égyptien, Cézanne et Picasso. Un mélange détonnant qui explique que l'œuvre trône actuellement au prestigieux Whitney Museum of American Art de New York.
Ami de Stuart Davis et De Kooning, c'est en tant que pair de Rothko, Pollock et Newman qu'on croise les tableaux de Gorky aujourd'hui aux cimaises des plus grands musées de l'Amérique, d'Erevan et au Tate de Londres.
Pour ne pas être enrôlé dans le service militaire ottoman, son père a fui la terre natale et voulu se tailler un destin outre-Atlantique. Mais c'était sans compter sur les funestes jours qui s'abattront sur le peuple du pays de Vartan à partir de 1915. Arshile et sa sœur Vartouhi verront leur mère mourir de malnutrition et de typhus dans l'infernal hiver 1918-1919 à Erevan où ils s'étaient tous réfugiés.

Au pays de l'Oncle Sam
Pour un horizon et un espoir neufs, à l'âge de seize ans, où pour Rimbaud on n'est pas encore très sérieux, s'impose l'émigration au pays de l'oncle Sam chez un père lui-même encore mal installé. Sans ressources, sans formation précise, la vie de bohème est ce qui attend le quotidien d'un adolescent déjà mordu par la passion de dessiner et de peindre. Inscription à New York Grand School of Art et très vite le talent du jeune homme est repéré. Sans transition, d'élève il devient professeur...
En quelques années, pris d'une fiévreuse fringale de créer, en une évolution fulgurante, de pasticheur inspiré et doué il se transforme en un passeur, figure titanesque de la peinture universelle, pour des énergies nouvelles. À travers une formulation picturale charnière entre les cultures moyen-orientales et
occidentales.
Ses traits sur la toile sont saisissants, sa luminosité, dans un spectre éblouissant de couleurs à la fois sensuelles, fraîches et chaudes, détonne, son lyrisme inquiet et abstrait séduit, les hantises de sa terre natale émeuvent.
Voilà un vocabulaire pictural riche et inventif qui fraye parfaitement avec les courants contemporains tout en se démarquant par sa singularité et la continuité d'une mémoire ancrée dans les plis et les strates des origines.

 

Pour mémoire
Riche kaléidoscope de toiles du pays d'Arshile Gorky

Une vie de roman. Tragique et rarement lumineuse. Digne d'un mélodramatique film hollywoodien qu'on rêverait tourné par la caméra d'un Atom Egoyan. Plus d'un siècle sépare cet enfant né en 1904 à Hayotz Dzor, près du lac de Van (dont le vrai nom est Vosdanik Manoug Adoian), de la commémoration du centenaire d'un génocide où l'existence s'est perdue entre exil et volonté de...

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