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Nos Lecteurs ont la Parole

Les lecteurs ont dit... sur le 13 avril

Invités par « L'Orient-Le Jour » à commenter le quarantième anniversaire de la guerre du Liban, nos lecteurs se sont exprimés sur courrier@lorientlejour.com et sur Facebook. Récits de tragédies, et de drames, petits ou grands. Pour ne jamais oublier...

Quarante ans !

13 avril 1975-13 avril 2015. Quarante ans !
Cette année, le Liban commémore les 40 ans du début de la guerre qui a ravagé le pays durant 15 ans.
40 ans, tout rond. Un chiffre qui donne le tournis tant cela paraît long.
40 ans, tout long. Comme les longues nuits à ne pas dormir, entassés dans des abris de fortune pour échapper aux bombes. Longs, les soupirs des mères qui attendaient leurs enfants, partis au combat pour l'un ou l'autre camp. Longs, les « départs » et « arrivées » des obus qui ponctuaient nos journées et qu'on égrenait un à un comme qui récite sa leçon.
40 ans qui semblent bizarrement n'avoir pas servi de leçon. Les 18 confessions qui enrichissent notre société libanaise ne semblent toujours pour conscientes de l'importance de leur cohésion. Après les dissensions islamo-chrétiennes, voici venu l'ère des tensions intermusulmanes où sunnites et chiites reflètent la tension extérieure saoudo-iranienne.
40, comme les voleurs d'Ali Baba. Des années qui ont volé l'enfance, l'adolescence et la jeunesse de toute une génération. Des Libanais qui ont ouvert les yeux sur un cycle de violence qui n'en finit pas d'entraîner toute la région sur son passage.
40, comme cet âge qui fait peur aux femmes et plaît tant aux hommes.
À bien y penser, ce n'est pas les 40 ans de la guerre libanaise qu'il faut commémorer, mais plutôt le quarantième de sa mort qu'il faut célébrer. Le 40e marque une date symbolique pour faire son deuil. Profitons-en pour enterrer à jamais la hache de guerre et tourner une nouvelle page, écrite non pas avec le sang des victimes, mais la sève du printemps.

Elsa YAZBEK CHARABATI
Présidente de l'Association francophone de journalisme

* * *

Où sont mes filles ? Noyées ?

Mon souvenir le plus marquant de la guerre civile en une dizaine de phrases ?
Tous les textes du monde ne suffiraient pas pour décrire le bouleversement que ma famille a vécu.
La nuit du 5 août 1989, Nabil mon mari, nos deux filles Rouba (3 ans) et Maya (17 mois), et moi, tentions de fuir l'enfer libanais via le port de Jounieh vers Larnaca. C'était la soi-disant « guerre de libération » entre l'armée libanaise commandée par Michel Aoun et l'armée syrienne.
On nous informe qu'on est forcés de prendre la petite chaloupe pour rejoindre l'hydroglisseur qui s'était éloigné du port à cause des bombes. On était 14 à bord. Quelques moments plus tard, une bombe tombe dans l'eau et nous propulse de la chaloupe vers la mer.
Rouba était dans mes bras et Maya dans ceux de mon mari. Sous la force des vagues et du choc, elles sont arrachées de nos bras. Des secouristes me repêchent de la mer et me déposent sur l'hydroglisseur. Je ne savais plus où était ma famille. Pleurs, cris, hystérie, vomissements.
On m'informe ensuite que les enfants et leur père ont été secourus et sont restés à Kaslik. J'appelle à mon arrivée à Larnaca et j'apprends de mon mari qu'on lui avait dit que les enfants étaient avec moi.
Mes filles perdues, noyées en pleine nuit dans la mer sous les bombes. Comment peut-on oublier ? Comment peut-on pardonner ?
Guerre de libération ? Guerre de fous !

Joumana AZAR

* * *

 40 ans déjà. Ce fameux jour où toute a basculé... Mes souvenirs de cette maudite guerre à l'aube de mes 12 ans ? La peur, l'angoisse, la mort qui nous guettaient en revenant de l'école, en faisant nos petites courses dans le quartier, les abris de fortune la nuit pour se protéger des bombardements, l'école qui reprenait le lendemain comme si rien ne s'était passé, de nouveaux noms que l'on ignorait et qui meublaient nos conversations au quotidien : kalachnikov, orgue de Staline, M16... Justement, ces orgues de Staline (maudit soit celui qui les a inventés) avec l'angoisse du premier obus qui tombait, car l'on savait qu'il s'ensuivrait 5 ou 6 autres selon la même trajectoire. Comme ce premier obus tombé place Sassine, suivi bientôt par d'autres qui ont arrosé toute la rue jusqu'à la nôtre, près des Saints-Cœurs, à Sioufi. Le bruit assourdissant, les hurlements des femmes et surtout celui d'une seule : cette maman qui a vu son fils de 13 ans marcher, tituber, se traîner et puis tomber, atteint par l'éclat d'une vitre ou d'un obus. Il jouait au ballon devant sa maison. Il ne retournera plus chez elle. Dur de comprendre cette mort gratuite alors que l'on s'ouvre à la vie. Dur de grandir dans cette peur et dans l'incompréhension de la mort. Ce petit garçon et les hurlements de sa maman hanteront longtemps mes esprits. Aujourd'hui encore, 40 ans plus tard, lorsque je passe devant cette maison, je le revois faire ses derniers pas avant de s'effondrer au sol, laissant derrière lui une traînée de sang. Pourquoi, ce jour-là, suis-je sortie au balcon, pourquoi ai-je vu l'agonie de ce petit garçon ? Parce que j'attendais maman qui était sortie faire des courses place Sassine et que je ne savais pas si elle allait revenir ou pas...

Lamia SFEIR DAROUNI

* * *

 La douceur du soleil, l'illusion qui a volé en éclats, cet après-midi-là. C'était il y a longtemps, mais le souvenir de cet après-midi du 13 avril 1975 est tatoué sous ma peau. Âcre, amer, avec la saveur d'une journée de printemps. À la sortie de l'école, il fait chaud et mon frère et moi grignotons du lowz akhdar trempé dans du sel en attendant de prendre l'autobus. Nous étions surpris d'apprendre que notre chauffeur n'a pas pu arriver jusqu'à notre lycée, car la route était fermée. Des rumeurs parvenaient à nos oreilles d'enfants insouciants dans ce pays que l'on comparait au paradis. « Blocage, tirs, embuscade, bus, kidnapping, guerre. » On riait, et on se disait que c'est comme dans un film. Le soleil s'est couché et nous avons attendu inlassablement sur les marches de l'école que quelqu'un vienne nous ramener à la maison. En début de soirée, notre papa est arrivé le regard voilé et le teint blême nous chercher ; c'est alors que nous avons compris que c'était le début de quelque chose de nouveau et que la situation était grave. Dans les rues désertes de ce Beyrouth toujours animé, la menace était dans l'atmosphère, dans l'ombre. Cet après-midi-là, ce petit pays dans lequel on vivait s'est enlisé dans un terrible conflit sanglant. C'était il y a longtemps, l'après-midi où l'enfance a explosé en éclats et que Beyrouth a revêtu les voiles de ses veuves.

Frida ANBAR

* * *

Beyrouth, mars 1990. Je suis à l'université à Furn el-Chebbak. Comme d'habitude, des bombardements et des coups de mitraillettes retentissent aux alentours de la ville. À midi, les cours sont suspendus par précaution. La plupart des étudiants quittent l'établissement. Un ami plasticien me propose de découvrir son atelier qui se trouve au sous-sol. Je me laisse tomber tranquillement sur une chaise. Tout à coup, je sursaute sur place et me jette à terre. Les vitres se brisent. La fumée tout autour. L'odeur de soufre. Presque un champ de bataille. Mon ami et moi cherchons la sortie dans toutes les directions. Nous ne pouvons pas. Les obus arrivent de tous côtés. D'autres étudiants nous rejoignent dans l'atelier. Les éclats de balles commencent à crépiter contre le mur du couloir. Des cris s'entendent tout prés. Il s'agit de miliciens qui essayent d'avoir accès au bâtiment. Nous commençons à crier. Nous hurlons. L'un d'eux arrive à casser la porte. Il plaque sa mitraillette vers nous...

Raymond HOSNI

 

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Quarante ans !
13 avril 1975-13 avril 2015. Quarante ans !Cette année, le Liban commémore les 40 ans du début de la guerre qui a ravagé le pays durant 15 ans.40 ans, tout rond. Un chiffre qui donne le tournis tant cela paraît long.40 ans, tout long. Comme les longues nuits à ne pas dormir, entassés dans des abris de fortune pour échapper aux bombes. Longs, les soupirs des mères qui...

commentaires (3)

Souvenir poignant que l'enfer vécu par Joumana Azar . Comment pardonner ? Qui pardonner ??? Ces mêmes têtes qui ont détruit des familles et qui pensent encore nous gouverner . Ce sont eux qui auraient dû couler...il y a des limites à la détresse humaine....il y a des limites à la souffrance...

Tabet Ama

19 h 43, le 14 avril 2015

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Commentaires (3)

  • Souvenir poignant que l'enfer vécu par Joumana Azar . Comment pardonner ? Qui pardonner ??? Ces mêmes têtes qui ont détruit des familles et qui pensent encore nous gouverner . Ce sont eux qui auraient dû couler...il y a des limites à la détresse humaine....il y a des limites à la souffrance...

    Tabet Ama

    19 h 43, le 14 avril 2015

  • LA TINZIKER OU LA TIN3AAD !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 25, le 14 avril 2015

  • J ai eu beaucoup de chance... Dix novembre 1976 les syriens venaient d entrer en soi-disant liberateurs sous une pluie de riz...Par un coup de chance une bronchite attrappee avant ma cesarienne ne me permettait pas de tenir ma petite derniere agee d'une semaine dans mes bras ,lorsque je senti ma main tomber inerte ,le bruit de l obus me parvint une seconde plus tard un eclat s 'etait niche dans mon bras a l articulation du coude ,mon mari me porta vite a l hopital voisin ou je recus les premiers soins l hemorragie fut arretee mais les nerfs sectiones rendaient la douleur atroce ,malgre les nombreuses operations qui suivirent je garde les sequelles de l accident ,des sequelles qui on boulverse un peu ma vie et qui rendent parfois les choses simples difficiles a executer presque quarante ans plus tard,mais qui me rapellent chaque matin mon coup de chance . Dolly Talhame

    Dolly Talhame

    07 h 28, le 14 avril 2015

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