Plus de cent mille tués et disparus, un cycle de violences intermittentes qui n'en finit pas de finir, un pays entier qui continue de souffrir et des lendemains angoissants, annonciateurs de surprises calamiteuses : quarante ans durant, Israéliens, Syriens, Palestiniens et même milices libanaises de toutes idéologies et de toutes communautés se sont succédé pour mettre le pays à feu et à sang et tenter d'imposer par la force des armes leurs propres intérêts ou points de vue.
Deux personnalités de premier plan ont tenté d'apporter un éclairage sur un sujet qui les intéresse au plus haut point : Amine Gemayel, ancien président de la République et chef du parti Kataëb, directement impliqué dans les incidents de Aïn el-Remmaneh, le 13 avril 1975, et Mahmoud Abbas, président de l'Etat de Palestine et chef du Comité exécutif de l'OLP, dont la « cause » est irrémédiablement liée à l'histoire mouvementée du Liban.
Tous deux, dans leurs tribunes respectives, sont d'accord pour souligner que cette date n'est qu'un révélateur et un accélérateur d'interventions régionales et étrangères. Ils mettent ainsi en cause, explicitement pour l'un ou implicitement pour l'autre, Israël, la Syrie, certain pays arabes, ainsi que l'Iran et ses pasdarans.
Tous deux, chacun de son côté, analysent les tenants et les aboutissants d'un cataclysme qui laisse le Liban exsangue, pour tenter d'en tirer des leçons porteuses de paix au Liban et dans la région.
Ils crient cependant dans un désert d'indifférence !
La leçon du souvenir
Par Mahmoud ABBAS
Président de l’Autorité palestinienne
et président du Comité exécutif de l'Organisation de libération de la Palestine
Nombreux sont ceux qui situent le début à grande échelle de la guerre civile au Liban, il y a quarante ans, à l'épisode de Aïn el-Remmaneh, lorsque des civils palestiniens ont été tués dans un bus qui les ramenait au camp de Tell el-Zaatar, à Beyrouth-Est.
Ce qui s'était alors produit ne venait pas du néant mais avait des antécédents, si l'on perçoit aujourd'hui les choses d'un point de vue objectif, ou presque. Le conflit avait en effet été attisé sous l'effet des intérêts sectaires, des ingérences étrangères et du manque de réflexion bien mûrie portant sur les calculs de pertes et profits. Nul, en outre, n'a pris conscience du fait que les pires des guerres et les guerres les plus dangereuses sont les guerres civiles qui aboutissent au démembrement des sociétés, les voisins, voire même des frères, s'entre-tuant entre eux.
À quoi sert de retracer ce souvenir ? S'il s'agit de rouvrir les plaies anciennes et s'il s'agit pour chacune des factions parties prenantes dans le conflit à l'époque de réaffirmer sa propre vérité et de souligner que son adversaire faisait alors fausse route, cela serait une grave erreur.
Retracer le souvenir de ce qui s'est passé devrait être une leçon pour nous tous, d'autant que nous sommes témoins de conflits et de guerres civiles dont nombre de pays arabes sont le théâtre et qui menacent leur unité et leur indépendance, et au cours desquels la religion est exploitée alors qu'elle en est innocente.
Tous les citoyens et toutes les personnes de bonne intention, qu'ils soient libanais ou palestiniens, devraient prendre conscience du fait qu'ils ont, tous, perdu. Le modèle libanais de vivre-ensemble entre toutes les communautés, ce pays prospère qui était qualifié, à juste titre, de Suisse de l'Orient, ainsi que son information particulière, fenêtre du monde arabe sur le monde extérieur, étaient dans l'intérêt des Libanais, mais aussi des Palestiniens et de leur cause. C'est en effet dans ce pays qu'a été publiée la première revue du mouvement Fateh, avant sa fondation en 1965.
Nous, Palestiniens, avons plus que jamais besoin d'un monde arabe unifié, d'États arabes stables et prospères, dont la cause centrale serait notre cause, réellement et non pas en paroles. Cela est nécessaire afin que nous puissions rester ancrés à la terre de notre patrie, d'autant que nous n'avons pas d'autre patrie. Nous rejetons l'implantation et toute patrie de substitution. Nous sommes attachés à un État palestinien indépendant avec Jérusalem comme capitale, les réfugiés devant pouvoir faire valoir leur droit au retour, conformément à la résolution 194 des Nations unies et à l'initiative de paix arabe.
Je voudrais à cette occasion réaffirmer notre souci d'établir les meilleures et les plus étroites relations avec les institutions officielles libanaises ainsi qu'avec toutes les composantes de la société libanaise et toutes les communautés sans exception, dans le cadre du respect de la souveraineté du Liban et la non-ingérence dans ses affaires intérieures.
Assurer des opportunités de travail aux réfugiés palestiniens et leur octroyer des droits civils constituent un intérêt aussi bien libanais que palestinien, ce qui éviterait la marginalisation et couperait court à ceux dont l'agenda fait fi de l'intérêt du Liban et de la Palestine.
À l'occasion de ce souvenir, je voudrais rendre hommage à la mémoire des martyrs, tous les martyrs libanais et palestiniens, et d'autres nationalités. Je compatis avec leurs familles. Oublier et pardonner devraient être à la base de la leçon à tirer de ce qui s'est passé il y a quarante ans.
J'apprécie au plus haut point, à sa juste valeur, l'attitude du Liban frère, peuple et gouvernement, pour l'hospitalité qu'il a accordée à des dizaines de milliers de réfugiés venus de Syrie, dont notamment des réfugiés palestiniens qui ont été victimes de tueries et de la famine, aux mains de groupes terroristes, plus particulièrement dans le camp de Yarmouk. Dès le déclenchement des événements en Syrie, nous avions proclamé que nous ne sommes pas partie prenante dans le conflit interne. Nous avions demandé que les camps soient tenus à l'écart de ce conflit, et aujourd'hui, nous réitérons cette demande.
Encore une fois, nous soulignons que la leçon que nous devons tous tirer est que la lutte contre la discorde relève de la responsabilité des leaders politiques et des faiseurs d'opinion, en l'occurrence les intellectuels, les journalistes, les responsables de la société civile et les dignitaires religieux éclairés, afin que notre nation puisse occuper la place qui lui revient dans un monde qui ne reconnait que la force des sociétés et des États.
Qu'avons-nous retenu ?
Par Amine GEMAYEL
Président du Liban (1982-1988)
Président du parti Kataëb
La date du 13 avril 1975 a été communément adoptée comme étant le jour du déclenchement de la guerre du Liban. Une guerre qui a causé plus de 100 000 morts ou disparus, et des milliards de dollars de dégâts sur les infrastructures publiques et les biens privés. Mais l'aspect le plus insidieux et le plus durable, c'est l'impact désastreux de cette guerre sans fin sur les institutions de l'État et sur l'unité nationale.
En fait, cette guerre avait déjà commencé bien avant cette date. Il faut remonter à cinq ans plus tôt, c'est-à-dire au mois d'avril 1969, date des premières agressions des miliciens de l'OLP contre l'armée libanaise et contre le peuple libanais. Ces agressions sanglantes avaient provoqué une crise ministérielle de 7 mois, qui n'a été résolue qu'après l'imposition au Liban du sinistre Accord du Caire du 3 novembre 1969. Cet accord donnait à l'OLP une quasi-souveraineté aux dépens de la souveraineté nationale. Le territoire libanais devenait la patrie palestinienne de remplacement. ...
Forte de ces acquis, l'OLP va engager le Liban dans une guerre interne sans limites. Le 2 mai 1973, elle lance une attaque sanguinaire contre l'armée libanaise. Le président de la République autorisera alors l'intervention de l'armée de l'air pour contenir et mettre fin à cette agression.
La propagande palestinienne, épaulée par les partis libanais de gauche, cherchera à réduire l'origine du drame libanais à une malheureuse affaire d'attaque contre un autobus le 13 avril 1975, occultant tout ce qui s'était passé bien avant ce 13 avril, ne cessant de culpabiliser jusqu'à ce jour le Liban.
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Il faudrait remonter à quelques années plus tôt pour mieux comprendre la réalité du drame national.
Beaucoup de Libanais se souviennent de la crise de 1958 qui a duré plus d'un an, et qui a coûté la vie à des milliers de civils innocents. Le gouvernement avait été empêché de fonctionner normalement et des lignes de démarcations faites de sang et de larmes se sont dessinées un peu partout sur le territoire libanais. À cette époque, la tragique mode des tramways piégés dépassait en horreur les voitures piégées d'aujourd'hui.
Les Libanais s'étaient alors divisés entre pro-Nasser et anti-Nasser, pour ou contre l'union avec l'Égypte et la Syrie. L'ambassadeur d'Égypte Abdel Hamid Ghaleb et le ministre syrien Abdel Hamid Sarraj tiraient ouvertement les ficelles de la rébellion de certaines factions libanaises contre leur propre pays. C'est le débarquement des marines américains, le 15 juillet 1958, qui avait refroidi les ardeurs du Caire et de Damas : un nouveau président a été élu et un gouvernement d'union nationale composé de quatre ministres devait aider à la pacification du pays et à la réconciliation des Libanais.
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De retour à la guerre des années 70 : la trêve mise en place grâce aux bons offices internationaux sera de courte durée.
Dès la fin de 1982, la première vague des miliciens chiites solidement encadrés par les pasdarans iraniens faisait son apparition au Liban. Il s'est ensuivi les premières attaques contre l'armée libanaise dans la banlieue sud, ainsi qu'à Baalbeck, où la caserne militaire Cheikh Abdallah a été réquisitionnée. Comme de coutume, c'est toujours l'autorité nationale libanaise – même consensuelle – qui est incriminée. À l'instar des événements de 1958, 1969, 1973 ou de 1975, une machine infernale de propagande et de désinformation machiavélique est mise en branle pour embrigader les uns, mais surtout pour intimider les autres.
J'avais à l'époque attiré l'attention sur les grands dangers qui guettent le Liban et toute la région du fait de l'influence envahissante des milices chiites et de leurs parrains. Dans un des mes ouvrages publié en France en 1987 par Gallimard, L'Offense et le Pardon, tout un chapitre est consacré à « L'intégrisme », ou « L'Empire masqué ». À cette époque, beaucoup se demandaient de quoi je parlais, mais, aujourd'hui, « l'Empire » a enlevé son masque.
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Si j'évoque tous ces événements tragiques de notre histoire contemporaine, c'est parce qu'ils ont failli et risquent toujours de remettre en cause notre Pacte national et l'entité libanaise elle-même. À un moment où toute la région est à feu et à sang, où certaines frontières nationales sont remises en question, où l'idéologie intégriste est en train de prendre le dessus sur les systèmes en place...
Toutes ces souffrances communes, ce calvaire sans fin, ce martyrologue qui n'a épargné aucune faction, ni religion, ni communauté, ces guerres intestines, sanglantes et stériles, très souvent fratricides, menées plus pour le pouvoir que pour une cause ou un programme, tout ceci ne nous incite-t-il pas à tirer les conclusions de ce drame national dont nous avons tous été la victime ? Et qui risque de venir à bout de notre entité nationale ?
À tour de rôle, les pays arabes, Israël, l'Iran et j'en passe ont mené leurs guerres sur notre territoire, mais nous avons prêté le flanc, et certains Libanais leur ont servi d'instruments dociles. Ceci ressemble à un suicide collectif.
Le grand journaliste et politologue libanais Georges Naccache écrivait dans L'Orient-Le Jour : « Deux négations ne font pas une nation. » C'est le moment, après une si longue épreuve nationale, de répondre à ce que je considère comme une interrogation. Sommes-nous toujours dans ce contexte des « deux négations », c'est-à-dire de groupements politiques qui se refusent les uns les autres?
Ou au contraire, avons-nous retenu la morale et les leçons de toutes ces souffrances et décidé d'aller ensemble, solidaires, protéger et reconstruire ce pays merveilleux, qui devrait être celui de la concorde et des libertés?
Moi-même, et beaucoup d'autres, avons fait ce choix.
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Un Pays qui abdique sa souvairenete sombre dans la tourmente. C est ce qui s'est passe depuis l'arrivee des sois sois-disants fedayin fuyant la Jordanie apres qu'ils aient essayes de s'en emparer. L'accord du Caire de 1969, impose au Liban par Abdel Nasser n'a fait qu'envenimer les choses. Pour le reste, les vras Libanais ont pris les armes pour defendre le Pays, alors que les autres, les sois disants forces islamo progressistes ont vendu leur ames au diable. Le reste est le resultat que nous avons aujourd'hui. Une domination perse a traver le hezbollah...
15 h 21, le 14 avril 2015