Attention, risque de pénurie à l'horizon ! C'est en tout cas le message alarmiste porté par des importateurs qui affirment ne plus être en mesure d'assurer le réassort de certains de leurs produits : « Nos stocks de boîtes de thon sont épuisés ; de même, nous n'avons plus de vodka... » assure Georges Sfeir, des Établissement Antoine Massoud (Eam).
En cause ? La quasi-paralysie du port de Beyrouth, qui a pourtant assuré les entrées de 73 % des marchandises étrangères au Liban en 2014. Mais depuis la mi-février, lorsque les douanes et le ministère des Finances, son autorité de tutelle, ont décidé de contrôles renforcés sur tous les conteneurs d'importation, plus rien ne sort ou presque. « Nous avons une trentaine de conteneurs bloqués. Cela représente un énorme manque à gagner : 800 000 dollars environ sur les quinze jours de février », explique encore Georges Sfeir d'Eam. Des pertes auxquelles s'ajoutent les frais de location de conteneurs de stockage, estimés entre 300 et 500 dollars en moyenne par conteneur. Et surtout, le risque de perdre définitivement leur cargaison : « Nous importons notamment des produits frais. Même si nous les conservons dans des conteneurs réfrigérés, leur date de péremption va arriver à échéance. »
D'où une question : que se passe-t-il donc au port de Beyrouth ? Lors de sa récente visite au port, le ministre des Finances a affirmé qu'il entendait y éradiquer la corruption et la fraude fiscale. Dans sa ligne de mire, tout ceux notamment qui minorent les montants de leurs déclarations, de façon à payer moins de TVA ou de droits de douane, des taxes collectées au port par les douanes. « Nous avons pu détecter de nombreuses fraudes par le biais de fausses factures, établies le plus souvent avec la complicité des agents en charge du dédouanement », affirmait le ministre lors de cette inspection.
(Lire aussi : Les douanes maintiennent le « circuit rouge »)
Circuit rouge
Pour tenter de les contrecarrer, le ministre a donc imposé le passage obligatoire de tous les conteneurs par le « circuit rouge », qui requiert une inspection poussée. Auparavant, ce dispositif ne concernait, selon certaines sources au port, que 30 % environ des conteneurs. Les autres passaient directement par le « circuit vert », qui permet la délivrance automatique d'un bon à enlever, sans contrôle humain ni passage au scanner.
« Même si les douanes ouvrent tous les conteneurs, comment ses inspecteurs peuvent-ils évaluer la valeur de leur contenu ? Si on doit sérieusement envisager une opération mains propres, c'est au sein de l'administration douanière qu'il faudrait la mener », tempête un transitaire sous couvert d'anonymat.
Voilà bien le problème : aucun professionnel ne semble croire à la pertinence de l'opération. « Les grands fraudeurs sont connus et bénéficient de larges protections », assure un autre transitaire, toujours, qui poursuit : « On coincera tout au plus du menu fretin. Le jeu n'en vaut pas la chandelle. »
Une mise en cause qui revient à se demander s'il existe des moyens plus efficaces de lutter contre la fraude. Au premier rang des leviers possibles d'amélioration : l'informatisation des douanes pour « créer un environnement plus transparent » et réduire les risque de corruption en limitant l'intervention humaine, comme le préconisait Natalina Cea, directrice de la Coopération internationale des douanes italiennes, dans un entretien paru le 20 décembre dans L'Orient-Le Jour. Cette informatisation a démarré en 2013, mais n'a jamais été achevée. Motif ? « Le laxisme ou la paralysie des institutions politiques locales », selon Natalina Cea.
Pourtant, dans la plupart des grands ports, c'est l'ordinateur qui détermine le circuit des marchandises. « Ainsi, la nomenclature du produit est un élément important : selon sa nature, les marchandises sont contrôlées ou pas. Le code fiscal de l'entreprise, qui les réceptionne, est un autre élément : si l'entreprise est récente, ses marchandises seront automatiquement inspectées. Enfin, l'ordinateur détermine de manière aléatoire certaines inspections », avance un transitaire.
Face à la grogne montante, les douanes autorisent depuis vendredi le passage en circuit vert de marchandises importées par des entreprises dont le numéro d'identification fiscal est inférieur à 100 000. Un palier qui désigne des entreprises anciennes, supposément « plus respectables » aux yeux de l'administration. D'après un transitaire, 10 à 15 % des conteneurs étaient repassés en circuit vert ce vendredi. Les douanes ont également ouvert une nouvelle aire d'inspection, qui devrait entrer en activité. En attendant, « le temps que le port se désengorge, il peut encore se passer des semaines », déplore un transitaire.
Pour mémoire
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commentaires (3)
Minables et misérables marchands de Misère !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
15 h 44, le 30 mars 2015