Les amateurs de gymnastique cérébrale le savent pertinemment bien : dans un puzzle, toute pièce ne peut être perçue indépendamment du tableau global que l'on tente patiemment de reconstituer. De manière un tantinet similaire, l'offensive déclenchée dans la nuit de mercredi contre la milice yéménite pro-iranienne des houthis par une vaste coalition de pays arabes et islamiques, conduite par l'Arabie saoudite, ne saurait être dissociée de l'enjeu géopolitique de l'aventure guerrière et déstabilisatrice dans laquelle s'est engagée depuis plusieurs années la République des mollahs iraniens afin de se forger, manu militari, une place prépondérante sur l'échiquier du Moyen-Orient.
Du Yémen à la banlieue sud de Beyrouth, en passant par l'Irak, la Syrie, Bahreïn ou Gaza, Téhéran fait preuve d'une folle démesure dans ses ambitions régionales. Dans un contexte marqué par le double péril des tensions sunnito-chiites et des velléités d'hégémonie perses sur le monde arabe, la réaction des États dits modérés ne pouvait se faire attendre davantage. Menacée directement à ses frontières par le coup de force des miliciens houthis et leurs alliés, l'Arabie saoudite s'est, finalement, départie de sa légendaire prudence et de sa traditionnelle réserve pour lancer, pour la première fois dans son histoire contemporaine, une fulgurante offensive militaire « à l'américaine » (avec tout ce que cela signifie comme moyens « hollywoodiens » mis en œuvre) afin de juguler l'irrésistible expansion de l'influence iranienne.
Une évidence s'impose d'emblée dans le sillage de cette situation nouvelle : le profil (communautaire) de la coalition qui a lancé l'opération « Tempête de la fermeté » ne trompe personne. Et la cible, chiito-perse, est tout aussi évidente, comme l'illustre la décision du Soudan de fermer toutes les représentations et associations iraniennes sur son territoire, ou la position adoptée par le Pakistan qui a tenu à souligner hier soir qu'une éventuelle agression contre l'Arabie saoudite entraînera une riposte pakistanaise appropriée. Nous assistons de ce fait, bel et bien, à un véritable sursaut sunnite de dimension régionale. L'appui ou la participation de pays tels que l'Égypte, le Maroc, la Jordanie et la Turquie – en sus, évidemment, des pays du Golfe – à l'offensive dont le Yémen est le théâtre ne laisse planer aucun doute sur la portée sunnite de l'opération, parallèlement au contentieux arabo-perse né des appétits outranciers du régime des mollahs.
Mais au-delà de cette double dimension explosive, l'appui sans équivoque des États-Unis à l'offensive saoudienne, sur le double plan logistique et des renseignements, illustrerait un autre paramètre non moins stratégique : Washington aurait peut-être voulu transmettre, hier, aussi bien à Téhéran qu'à ses alliés arabes un message dont il ressort que la signature d'un accord-cadre avec l'Iran ne signifie pas nécessairement l'octroi d'un blanc-seing régional au pouvoir en place à Téhéran. Bien au contraire, l'administration US pourrait, après la conclusion de l'accord tant attendu, se montrer plus ferme, plus vigilante face à la République islamique, en limitant ses ardeurs débordantes, en imposant des garde-fous, des lignes rouges, à son élan moyen-oriental... Sans pour autant faire pencher radicalement la balance dans un sens ou dans l'autre. Histoire, sans doute, de créer un nouvel abcès de fixation dans la région, au risque de plonger l'ensemble du Moyen-Orient, et pour de nombreuses années encore, dans des conflits sans horizon mais s'inscrivant dans un double cadre déstabilisateur sunnito-chiite et arabo-perse.
Les digues de la fermeté
OLJ / Par Michel TOUMA, le 27 mars 2015 à 01h44
commentaires (5)
Merci pour ces explications ca nous eclaire un peu ....
Soeur Yvette
17 h 12, le 27 mars 2015